vendredi 6 décembre 2019

318 - On dit partout que j’aime


Quel véritable plaisir de pouvoir découvrir, semaine après semaine toute la diversité des chansons de tradition orale ! On passe ainsi, sans transition, des plus sombres complaintes aux poésies les plus aériennes. Si notre précédente livraison sentait le moisi et l'odeur du sang, celle ci embaume la rose et est bercée par le chant des oiseaux. Si bien des chansons traditionnelles sont composées dans un langage à double sens où chacun peut trouver son compte, celle ci s'adresse exclusivement aux amoureux dans un langage qui est tout sauf explicite. Ce qui explique peut être pourquoi elle reste relativement rare dans le répertoire populaire.
Pour écouter la chanson et lire la suite:

Peut être que le seul point commun entre la chanson précédente (Alonzo et Imogine) et celle ci serait leur mode de diffusion. En effet, les références du répertoire de la chanson française de P. Coirault font apparaître un plus grand nombre de diffusions par la littérature de colportage que d'autres recueils. Cette chanson est assez peu courante dans nos collectes. Elle n’apparaît qu'à un seul exemplaire dans la base Dastumedia. Elle semble aussi connue en Vendée.
Mais laissons ce critère de rareté pour essayer de décrypter le message qu'elle contient. Pour ce qui des symboles, c'est un véritable catalogue du langage amoureux: jardin, fontaine, rose et autres fleurs, sommeil et rêves, papillons et jusqu'à l'habituel rossignol trop bavard, tout y est pour convertir le poème en langage codé. Un peut trop même, ce qui tend à transformer les symboles en poncifs.
On notera que l'amoureux de la chanson fait tout pour ne pas réveiller sa belle. Est ce que la peur de franchir le pas, de passer d'un amour contemplatif à une vraie relation, ne serait pas le fond de l'affaire ?. La peur de s'engager, avec toutes les conséquences que celà entraîne est-elle contenue dans ces vers où la fragilité de la rose et du papillon servent de prétexte à la retenue du galant ?
Notre version ne donne la parole qu'à l'amant qui ne souhaite pas troubler le sommeil de sa belle. Il existe pourtant d'autres exemples de cette chanson où la jeune fille finit par se réveiller et entame un dialogue dont nous n'avons, ici, qu'une ébauche dans les deux derniers couplets. En effet, l'avant dernier nous la présente plus comme la victime d'une panne de réveil qui va être à la bourre en arrivant à la pointeuse.
Les vers notés en Savoie par Servettaz (1) présentent l'affaire différemment:
J'ouvre les yeux, je vois
Mon Colin dont je rêve
Faut-il que je me lève
Pour aller avec toi ?
quand la nôtre ne pense qu'à ses brebis !
Arrêtez, arrêtez, s'écrie le jeune homme, tout comme ici. Mais l'épilogue savoyard donne à nouveau la parole à la belle réveillée:
Mais pourquoi tu m'arrêtes?
Sois toujours mon vainqueur
Je suis prête à me rendre
A t'y donner mon cœur
D'un amour rêvé, idéalisé par le galant, sa maîtresse le transforme en un désir bien concret. Voilà qui conforte l'idée que nous nous sommes faite de cette chanson où la belle au bois dormant n'attend, en fait, du prince charmant que de passer de la théorie aux travaux pratiques.

note
1 - Vieilles chansons savoyardes, de Claudius Servettaz (1910) réédité par les éditions des régionalismes (2010)

Interprète : Janick Péniguel
source:  Mme Bruneau, de La Limouzinière (Loire-Atlantique), enregistrée en 1976 par Denis Angibaud (document original disponible sur Dastumedia)
catalogue P. Coirault : La beauté que j’adore dort bien tranquillement (Endormies – N° 01602)

On dit partout que j’aime
Moi, je n’m’en défends pas
Ma maîtresse a des charmes
Que bien d’autres n’ont pas

Elle est jeune, elle est belle
Elle a su m’y charmer
Je ne puis m’en défendre
En voyant sa beauté

Le matin je m’y lève
Faire un tour au jardin
Pour y couper mes peines
Et verdir mon chagrin

Le plaisir que j’y trouve
Dans ce jardin fleuri
J’ai trouvé sans surprise
Ma maîtresse endormie

Il y a là sur la rose
Un papillon léger
De la cueillir, je n’ose
Car je crains le danger

Il y a sur la fontaine
Le jour de la Saint-Jean
Le rossignol qui chante
Le plaisir des amants

Chante rossignol, chante
Chante un peu plus bas
Car ma mie a sommeil
Ne la réveille pas

Il y a longtemps je rêve
Le soleil m’a surpris
Il est temps que je m’y lève
Pour poursuivre mes brebis

Où allez-vous si vite
Mon aimable beauté
Pour vous mon cœur bat vite
Arrêtez, arrêtez.

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