On penserait, avec cette belle chanson,
tenir une de ces complaintes immémoriales issues d'une tradition
fort ancienne. N'est-il pas question d'un départ pour les croisades
? D'un chevalier casqué, qu'on imagine bien au pied d'une tour
courtisant sa belle ? Si le thème, en effet, nous plonge en plein
moyen-âge, l'origine de la chanson est beaucoup plus récente. En
outre, elle doit sans doute plus à la diffusion écrite qu'à la
transmission orale.
Cela ne l'empêche pas d'être un texte
magnifique, servi par une mélodie adaptée, qui mériterait mieux
que le peu d'interprétations modernes qu'elle a suscité.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Quantité de chansons ont exploité le
thème du retour du militaire trouvant sa femme remariée, ou, encore
mieux, revenant juste le jour des secondes noces. Ces aventures nous
offrent des dénouements tantôt heureux, tantôt tragiques. Dans
l'une d'elle, les parents, persuadés de la mort de leur fils,
imaginent être en présence d'un revenant. Mais celle ci est bien la
seule ou le spectre du fiancé s'invite à la table des noces. Comme
le dit l'auteur d'une autre chanson “ça présentait tous les
symptômes, tous les dehors de la vision, les faux airs de
l'apparition, en un mot c'était un fantôme” (1). Ces personnages
en chair et en os (surtout en os !) sont peu présents dans la
chanson traditionnelle. D'ailleurs, si ce texte est passé dans la
tradition orale, c'est à l'oeuvre d'un lettré que nous le devons.
Un auteur qui s'est inspiré de ce thème populaire.
Si l'on en croit Patrice Coirault,
c'est probablement la littérature de colportage qui a permis la
diffusion de ce texte. Un phénomène qu'on a trop souvent tendance à
minimiser, mais compte tenu des quantités de ces volumes diffusés
dans les bourgs et les campagnes, il faut revoir nos idées préconçues sur le soit disant illettrisme généralisé des classes
populaires. Almanachs et romans populaires ont tout de même trouvé
preneur dans des quantités qui feraient pâlir de jalousie n'importe
quel prix Goncourt. Evidemment cela n'explique pas la diffusion du
timbre des chansons; et c'est là que la tradition orale prend sa
revanche sur l'écrit. Mais l'histoire d'Alonzo et Imogine montre
bien l'importance du phénomène.
En effet, loin d'être une de ces
grandes complaintes venues du fonds des temps comme la mort du roi
Renaud ou la fille du roi Loys...cette tragique histoire d'amour n'a
sans doute pas une origine antérieure à la fin du 18ème siècle.
Un indice nous permet de l'affirmer: les sources écrites les plus
anciennes remontent, au mieux, aux années 1790. Pour ce que nous
avons pu en découvrir, l'origine de cette chanson à consonance hispanisante ne serait même pas française, mais l'oeuvre originale
d'un écrivain d'outre Manche.
Le site de la BNF (Gallica) nous
présente un document intitulé: Romance lugubre, Alonzo et la
belle Imogine : tirée du Moine, roman nouveau / musique et
accompagnement du C. Beauvarlet-Charpentier. Ce poème musical en
octosyllabes est la traduction fidèle de l'oeuvre d'un certain
Matthew Gregory Lewis (1775–1818) intitulée: Alonzo the Brave
and the Fair Imogine. Tout y est: le départ pour la Palestine,
le serment de fidélité et le retour du fantôme d'Alonzo venant
rappeler ses promesse à Imogine.
Les collectes de cette chanson ne sont
pas si nombreuses et proviennent majoritairement du grand ouest de la
France (Haute-Bretagne / Poitou). En Loire-Atlantique, plusieurs
versions ont été notées, celle ci en pays de la Mée, dans le pays
d'Ancenis (Guillard) dans le secteur de Saint Nazaire et la Brière
(Guériff / Le Floc'h) et au sud de Nantes (Guéraud).
A notre connaissance seulement deux
interprétations de cette chanson ont été enregistrées sur disque.
L'une chantée par Mathieu Hamon, dans le spectacle “Kharoub” qui
associe le quintet Hamon-Martin avec le chanteur palestinien Basel
Zayed (2). L'autre par le groupe vendéen Yole (2) où le prénom
d'Imogine est changé pour Adeline. Il est vrai que même dans une
période (la nôtre) où l'Etat civil s'enrichit chaque jour de
prénoms originaux, il reste encore déconseillé aux parents
d'appeler leurs enfants Imogine ou Thyrsis (3) s'ils ne veulent pas
qu'on se moque d'eux dans les cours de récréation !
Notes
1 – avec une différence majeure,
puisque dans la chanson de “Tonton Georges” le fantôme est de
sexe féminin.
2 - Hamon Martin quintet & Basel Zayed - Kharoub (Coop Breizh – 2017) et Atlantic, par Yole
(Frémeaux & associés / Elephant – 2000)
3 – voir chanson n° 316, l'amant
confesseur
interprète : Nolwenn Le
Dissez
source : Marie
Dupin-Piquet, à La Meilleraye-de-Bretagne (Loire-Atlantique),
enregistrée en 1963 par Jean Tricoire
catalogue P. Coirault :
Alonzo et Imogine (Aventures de mariage – N° 05312)
catalogue C. Laforte : non
catalogué
Autrefois disait un guerrier
A la belle et tendre Imogine
Il est vrai je suis chevalier
Et je pars pour la Palestine
Ah, que de pleurs en ce moment
Que tes yeux ont pour moi des charmes
Il reviendra un autre amant
Dont la main essuiera tes larmes
De t’oublier, non, non, jamais
Cher Alonzo, répond la belle
Mort ou vivant, je t’aimerai
Je te serai toujours fidèle
Plusieurs années sont écoulées
Un baron de haute origine
Par les cadeaux qu’il a payés
Demanda la main d’Imogine
L'éclat brillant de ses bijoux
Charme la belle et l'enchante
Elle l'accepte pour époux
La fête arrive, elle est brillante
Jeux et festins allaient commencer
Pour faire une épouse nouvelle
Le baron vint pour se placer
Un étranger est auprès d’elle
Son casque le couvrait si bien
Afin que chacun l’examine
Immobile, il ne disait rien
Toujours regardait Imogine
D’un ton qui masque la frayeur
A l’étranger elle s’adresse
Otez votre casque, seigneur
Et partagez notre allégresse
Quand son casque fut enlevé
On vit un spectre épouvantable
Debout, debout, l’affreux géant
Dit à la tremblante Imogine :
Reconnais-tu bien maintenant
Alonzo mort en Palestine
Un jour ta bouche me jura
Qu’aux amants tu serais fidèle
Puisque tous tes serments sont faux
Que tu veux assouvir ma flamme
Je t’entraine dans mon tombeau
Chevalier, elle était ma femme
Il saisit de son bras nerveux
Son infidèle qui l'implore
Mais, ils ont péri tous les deux
Et leurs cris s'entendent encore
Depuis elle revient tous les ans
Dans ses habits de fiancée
Au lieu où elle fît le serment
D’Alonzo d’être accompagnée.
Lorsque j'étais enfant, j'ai 81ans, ma grande tante née en 1890, m'avait appris cette complainte que je suis surpris de retrouver sur internet. J'avais oublié certaines paroles par contre je me souviens parfaitement de l'air.
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