C'est un ouvrage entier qu'il
faudrait pour faire le tour de cette chanson, probablement l'une des
plus anciennes qui soit parvenue jusqu'à nous. Alors, pensez si dans
le cadre d'un blog nos propos se limiteront à quelques réflexions
sur ce qui est un des thèmes les plus populaires de la tradition
orale, dans nos régions comme dans l'ensemble des pays européens.
C'est une chanson dialoguée, qui
est ici confiée à une chanteuse et un chanteur, ce qui n'est pas
l'usage courant ; tous les couplets sont habituellement chantés
par le ou la même interprête. Bienvenue dans un monde ou la poésie
populaire se nourrit de fantastique et d'imagination.
Pour écouter la chanson et lire
la suite
Transformations ou métamorphoses
sont omniprésentes dans les traditions orales qu'elles soient
contées ou chantées. Dans les contes ces changements brusques de
statut on généralement pour objectif d'échapper à la poursuite
belliqueuse d'un ennemi diabolique. Dans la chanson, le processus
concerne essentiellement les relations amoureuses. On sait tous
comment ça va finir, mais avant que le galant arrive à ses fins il
devra subir une série d'épreuves destinées à prouver à sa belle
la sincérité des ses sentiments. Un rite de parade amoureuse ou une
ancienne version du « cours après moi que je t'attrappe »
en quelque sorte. C'est sans doute une façon assez simpliste
d'expliquer le fonds de l'histoire. Des études savantes nous en
proposeraient peut être d'autres :; nous nous contenterons de
celle là.
Si le thème a donné lieu à de
multiples variantes dans le répertoire francophone, il est aussi
fort connu dans d'autres langues (1). Sans trop s'avancer on peut en
déduire qu'il s'agit d'une histoire très ancienne connue et
présente dans le fonds commun aux populations européennes.
Dans nos contrées, une version a
fini par être popularisée et supplanter les nombreuses autres,
comme bien souvent pour les chansons folkloriques. Elle débute par :
J'ai une bonne amie à
Quimperlé
J'irai la voir dimanche au soir
L'avantage de cette introduction
c'est qu'elle nous plonge tout de suite dans le contexte que nous
avons décrit : le rite de séduction. Notre chanson, collectée
en Brière auprès de Mme Simone Hervoche, est encore plus explicite.
Nous sommes dans le cadre d'une demande en mariage en bonne et due
forme. Mais la chanson prend tout de suite une tournure dramatique.
La fille en aime un autre et le galant, qui ne s'embarasse pas avec
les formalités, a déjà prévu de passer son rival par le fil de
l'épée. C'est probablement juste une figure de style qu'on retrouve
dans une autre chanson collectée dans le même secteur. Reportez
vous au texte de « Gai rossignolet du bois » (2) :
Je
prendrais mes beaux gants blancs
Ainsi
qu'ma belle épée
Je
tuerai le marié
J'aurais
sa mariée
Le soir à mes côtés
Il n'empêche que cette symbolique
a de quoi dérouter les âmes sensibles.
La suite nous offre une partie des
infinies possibilités de transformations qui vont du règne végétal
au monde animal et même plus loin. Des éléments lointains comme
les étoiles ou plus proches, comme les nuages, sont utilisés. Des
personnages bien terrestres sont aussi convoqués pour la
circonstance : tailleur, docteur, religieuse...Enfin, malgré
une origine de toute évidence pré-chrétienne la chanson finit par
intégrer des apports religieux. C'est Saint Pierre ouvrant la porte
du paradis qui conclut l'affaire. Une façon comme une autre de
racheter une conduite qui débutait par un assassinat !
Selon les endroits et les
interprètes la fille se transforme en: lièvre, biche, alouette,
caille, canne, pigeonne, colombe, truite, anguille, carpe, tanche; se
fait presque toujours religieuse et étoile, parfois soleil, rose, et
aussi herbe; plus radicalement elle devient malade, morte, sainte au
paradis ou ange.
Pour le garçon c'est encore plus
varié : chien courant, loup-garou, vache (pour brouter l'herbe !),
épervier, canard, pigeon, rossignol. Mais là où la liste diffère
c'est par le nombre de professions: jardinier, pêcheur, chasseur,
cueilleur, batelier, poissonnier, moissonneur, médecin, et, bien
sur, prêtre, moine ou confesseur, pour s'occuper de la nonne, de
même que cetains attributs des professions citées: arrosoir, nasse,
serpe. Dans le domaine extra terrestre le voici nuage, soleil
brulant, arc en ciel ou brouillard. Et si Saint Pierre est
régulièrement son dernier avatar, il prend parfois l'allure d'un
diable ou d'un cavalier blanc.
Vous pouvez retrouver d'autres
interprétations des métamorphoses sur des productions Dastum.
Ecoutez en particulier Petite parisienne, chantée par Marie
Barthélémy, de Sion les mines, sur notre double CD « Anthologie
du patrimoine oral de Loire-Atlantique (cf. rubrique éditions). Une
autre version avec le même incipit est sur le CD de Clémentine
Jouin, dans la série « grands interprètes de Bretagne »
(Dastum – 2015).
notes :
1 - notre connaissance est limitée
au breton à l'occitan, l'espagnol, le catalan, l'anglais,
l'italien...Des études sur le sujet citent le roumain, le grec, le
serbo-croate et le polonais ; liste non limitative
2 – chanson n° 227 de ce blog,
publiée en décembre 2017 – chanson collectée au Croisic
interprètes : Aurélie
Aoustin et Roland Guillou
source :Simone Hervoche, de
la Ville en Bois, en Herbignac (44) enregistrée le 22 février 1999
par Séverine Lenain-Boutoille
catalogue P. Coirault :
Les métamorphoses (Petites scènes d’amour - N° 01528)
catalogue C. Laforte :
Les métamorphoses (IV, Ma-07)
Je suis venu la belle vous
demander
Votre cœur en mariage si je
l’aurai
Mon cœur en mariage, il est
promis
Mon cœur, il est promis à un
autre amant
Tu n’auras pas mon cœur comme
tu l’attends
Si ton cœur est promis à un
autre amant ( bis )
Je prendrai mon épée et je le
tuerai
J’aurai ton cœur la belle par
amitié
Si tu prends ton épée pour le
tuer ( bis )
Je m’y ferais rose au rosier
blanc
Tu n’auras pas mon cœur comme
tu l’attends
Si tu t’y fais rose au rosier
blanc ( bis )
Je m’y ferai tailleur pour t’y
tailler
Je taillerai la rose par amitié
Si tu t’y fais tailleur pour m’y
tailler ( bis )
Je m’y sœur dans un couvent
Tu n’auras pas mon cœur comme
tu l’attends
Si tu t’y fais sœur dans un
couvent ( bis )
Je m’y ferai moine pour
confesser
Je confess’rai la belle par
amitié
Si tu t’y fais moine pour
confesser ( bis )
Je m’y ferai malade sur mon lit
blanc
Tu n’auras pas mon cœur comme
tu l’attends
Si tu t’y fais malade sur ton
lit blanc ( bis )
Je m’y ferai docteur pour t’y
soigner
Je soignerai la belle par amitié
Si tu t’y fais docteur pour m‘y
soigner ( bis )
Je m’y ferai étoile au
firmament
Tu n’auras pas mon cœur comme
tu l’attends
Si tu t’y fais étoile au
firmament ( bis )
Je m’y ferai nuage pour t’y
couvrir
Je couvrirai l’étoile par
amitié
Si tu t’y fais nuage pour m’y
couvrir ( bis )
Je m’y ferai morte sur mon lit
blanc
Tu n’auras pas mon cœur comme
tu l’attends
Si tu t’y fais morte sur ton lit
blanc ( bis )
Je m’y ferai Saint-Pierre au
paradis
Je t’ouvrirai la porte comme je
l’ai dis.
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