L'a-t-on assez entendue cette Pernette
qui veut son ami Pierre qui est dans la prison ! Et sa rengaine de
refrain en tra la la la, gommant le caractère dramatique de la
situation ! Dommage que ce “Ne pleure pas Jeannette” ait fait
oublier la romance tragique de notre Pernette.
Ce n'est pas seulement pour se
démarquer de cette version trop entendue que nous en avons choisi
une qui s'en éloigne par le texte comme par la musique. C'est aussi
pour mettre en valeur le répertoire d'un pays riche en traditions: la
Brière. Suivez nos actualités et ne manquez pas le ciné concert
“Brière en chantée” (1). En attendant, découvrons ensemble
cette chanson.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Si elle nous est donc surtout connue
par sa version – plutôt récente - “Ne pleure pas Jeannette”,
cette histoire remonte fort loin. Apparue dès le 12è siècle,
d'après certains historiens (2), elle a connu une grande popularité
et donné lieu a de multiples versions. Pourquoi faut-il donc que
seule la version pour marches de mouvements de jeunesse ait été
diffusée si largement. Nous avons déjà eu l'occasion de regretter,
à propos d'autres chansons, cette fossilisation du folklore, qui
nous prive d'une grande diversité.
Notre version, briéronne, a été
publiée par Fernand Gueriff dans le premier tome du “Trésor des
chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande”
paru en 1983. Cette version a été collectée en 1901 par Abel
Soreau. Dans le même ouvrage, Guériff donne une autre version tirée
du fonds Clétiez. Le texte en est proche, la mélodie bien moins.
Carte à l'appui, il essaie de nous prouver que la chanson est
surtout connue dans le quart sud est de la France. Ses sources
étaient sans doutes incomplètes car la chanson est répandue à peu
près partout, y compris dans l'ouest.
Cette grande diffusion du thème a
évidement donné de multiples interprétations musicales, même si
un certain cousinage entre les airs se fait parfois sentir. Les
refrains utilisés sont eux aussi diversifiés. Seul le déroulement
de l'histoire semble immuable. La jeune fille se plaint du mal
d'amour et les supplications des parents n'y feront rien: Elle
rejette les prétendants de haut lignage (ici le baron est devenu un
“seignou”) et s'obstine à préférer son ami emprisonné. La
chanson ne dit rien des raisons de cette mise sous les verrous. Là
n'est pas l'essentiel. L'amour est plus fort que le jeu des intérêts.
Elle est prête à le suivre dans la mort.
Tout au plus la fin de l'histoire peut
apporter quelques nuances, d'un interprète à l'autre. Tantôt ce
sont les gens de la ville qui viendront lire dans le livre d'amour
déposé sur la sépulture des jeunes gens. Tantôt ce sont les
pèlerins de Saint Jacques qui la garniront de fleurs. Parfois c'est
l'habituel messager des amoureux qui, perché sur la branche, joue
les pleureuses:
Le rossignol y pleure
Les pauvres amoureux
Pendouillé, brandouillé, pendolé ou
pendelé le condamné est habituellement pendu en branche.
Mais ici on dresse plutôt la potence; c'est la Brière, c'est pas le
far west ! L'arbre sera planté par la suite en réminiscence pour
que son ombrage permette aux passants de se recueillir.
Ce garçon s'appelle toujours Pierre.
Rien de plus normal; c'est, de loin, le prénom masculin le plus
utilisé dans les chansons traditionnelles. Pour la jeune fille les
textes hésitent entre Pernette ou Jeannette, mais aussi Suzette,
Pierrette, Perrine, Marguerite, Fanfarnette (en Provence). Si notre
chanson ne nous dit rien à ce sujet c'est que son originalité est
de donner la parole à la fille. C'est elle qui raconte directement
son histoire dès le début, contrairement à ce qui se passe dans la
majorité des cas où la narration se fait à la troisième personne.
Enfin, pour ne rien perdre de nos
bonnes habitudes, nous ne pouvions pas laisser passer la version de
Molines en Queyras, recueillie par Julien Tiersot, qui situe l'action
près de chez nous:
Dessus le pont de Nantes, on nous
enterrera,
L'un pour l'amour de l'autre, ils
sont morts tous les deux
Pour les personnes qui se demanderaient
encore comment on peut enterrer quelqu'un “sur” un pont, nous
vous renvoyons à une précédente explication (3). Le pont de Nantes
(pas plus que le pont d'Avignon ou celui de Lyon) ne désigne pas
l'ouvrage d'art, mais l'ensemble des passages, quartiers et accès
qui permettent de franchir un fleuve.
Notes
1 – première de ce ciné concert
samedi 7 septembre 2019 à Mesquer dans le cadre de la fête du Parc
naturel régional de Brière. Si vous manquez cette édition, il y en
aura d'autres.
2 – Coirault, Doncieux, Davenson et
autres ont abondamment commenté cette chanson. Sa diffusion remonte au 15è siècle, mais le thème est bien antérieur.
3 – voir chanson n° 28 “le pont de
Pirmil” - octobre 2013
interprète: Martine Lehuédé
source: Trésor des chansons
populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande, de Fernand
Gueriff, tome 1, page 266 (chanson n° 29 des collectes d'Abel
Soreau) – chanté par Jean-Marie Thobie, dit camarade, à la
Chapelle des Marais en novembre 1901
catalogue P. Coirault : La
Pernette (1402 - Traverses)
catalogue C. Laforte: I, B-3, La
Pernette
Le matin je m'y lève
Trala la la la lère
Au petit point du jour
Je prends ma quenouillette et mon
fusiau itou
Je le tourne et le tourne; je pense à
mes amours
Le voudrais tu ma fille, épouser un
seignou
Je ne veux point d'un prince, je ne
veux point d'un seignou
Je ne veux que mon ami Pierre qui est
sous les verrous
Il est jugé à pendre demain au petit
jour
Si la potence est haute, qu'on
m'enterre dessous
On plantera sur ma tombe un bel arbre
d'amour
Toutes les dames de la ville viendront
à l'ombre dessous
Dirent: tiens v'là la fille qu'est
morte en ses amours !
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