vendredi 23 août 2019

307 - Le matin je me lève (La Pernette)


L'a-t-on assez entendue cette Pernette qui veut son ami Pierre qui est dans la prison ! Et sa rengaine de refrain en tra la la la, gommant le caractère dramatique de la situation ! Dommage que ce “Ne pleure pas Jeannette” ait fait oublier la romance tragique de notre Pernette.
Ce n'est pas seulement pour se démarquer de cette version trop entendue que nous en avons choisi une qui s'en éloigne par le texte comme par la musique. C'est aussi pour mettre en valeur le répertoire d'un pays riche en traditions: la Brière. Suivez nos actualités et ne manquez pas le ciné concert “Brière en chantée” (1). En attendant, découvrons ensemble cette chanson.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


Si elle nous est donc surtout connue par sa version – plutôt récente - “Ne pleure pas Jeannette”, cette histoire remonte fort loin. Apparue dès le 12è siècle, d'après certains historiens (2), elle a connu une grande popularité et donné lieu a de multiples versions. Pourquoi faut-il donc que seule la version pour marches de mouvements de jeunesse ait été diffusée si largement. Nous avons déjà eu l'occasion de regretter, à propos d'autres chansons, cette fossilisation du folklore, qui nous prive d'une grande diversité.
Notre version, briéronne, a été publiée par Fernand Gueriff dans le premier tome du “Trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande” paru en 1983. Cette version a été collectée en 1901 par Abel Soreau. Dans le même ouvrage, Guériff donne une autre version tirée du fonds Clétiez. Le texte en est proche, la mélodie bien moins. Carte à l'appui, il essaie de nous prouver que la chanson est surtout connue dans le quart sud est de la France. Ses sources étaient sans doutes incomplètes car la chanson est répandue à peu près partout, y compris dans l'ouest.
Cette grande diffusion du thème a évidement donné de multiples interprétations musicales, même si un certain cousinage entre les airs se fait parfois sentir. Les refrains utilisés sont eux aussi diversifiés. Seul le déroulement de l'histoire semble immuable. La jeune fille se plaint du mal d'amour et les supplications des parents n'y feront rien: Elle rejette les prétendants de haut lignage (ici le baron est devenu un “seignou”) et s'obstine à préférer son ami emprisonné. La chanson ne dit rien des raisons de cette mise sous les verrous. Là n'est pas l'essentiel. L'amour est plus fort que le jeu des intérêts. Elle est prête à le suivre dans la mort.
Tout au plus la fin de l'histoire peut apporter quelques nuances, d'un interprète à l'autre. Tantôt ce sont les gens de la ville qui viendront lire dans le livre d'amour déposé sur la sépulture des jeunes gens. Tantôt ce sont les pèlerins de Saint Jacques qui la garniront de fleurs. Parfois c'est l'habituel messager des amoureux qui, perché sur la branche, joue les pleureuses:
Le rossignol y pleure
Les pauvres amoureux
Pendouillé, brandouillé, pendolé ou pendelé le condamné est habituellement pendu en branche. Mais ici on dresse plutôt la potence; c'est la Brière, c'est pas le far west ! L'arbre sera planté par la suite en réminiscence pour que son ombrage permette aux passants de se recueillir.
Ce garçon s'appelle toujours Pierre. Rien de plus normal; c'est, de loin, le prénom masculin le plus utilisé dans les chansons traditionnelles. Pour la jeune fille les textes hésitent entre Pernette ou Jeannette, mais aussi Suzette, Pierrette, Perrine, Marguerite, Fanfarnette (en Provence). Si notre chanson ne nous dit rien à ce sujet c'est que son originalité est de donner la parole à la fille. C'est elle qui raconte directement son histoire dès le début, contrairement à ce qui se passe dans la majorité des cas où la narration se fait à la troisième personne.
Enfin, pour ne rien perdre de nos bonnes habitudes, nous ne pouvions pas laisser passer la version de Molines en Queyras, recueillie par Julien Tiersot, qui situe l'action près de chez nous:
Dessus le pont de Nantes, on nous enterrera,
L'un pour l'amour de l'autre, ils sont morts tous les deux
Pour les personnes qui se demanderaient encore comment on peut enterrer quelqu'un “sur” un pont, nous vous renvoyons à une précédente explication (3). Le pont de Nantes (pas plus que le pont d'Avignon ou celui de Lyon) ne désigne pas l'ouvrage d'art, mais l'ensemble des passages, quartiers et accès qui permettent de franchir un fleuve.

Notes
1 – première de ce ciné concert samedi 7 septembre 2019 à Mesquer dans le cadre de la fête du Parc naturel régional de Brière. Si vous manquez cette édition, il y en aura d'autres.
2 – Coirault, Doncieux, Davenson et autres ont abondamment commenté cette chanson. Sa diffusion remonte au 15è siècle, mais le thème est bien antérieur.
3 – voir chanson n° 28 “le pont de Pirmil” - octobre 2013

interprète: Martine Lehuédé
source: Trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande, de Fernand Gueriff, tome 1, page 266 (chanson n° 29 des collectes d'Abel Soreau) – chanté par Jean-Marie Thobie, dit camarade, à la Chapelle des Marais en novembre 1901
catalogue P. Coirault : La Pernette (1402 - Traverses)
catalogue C. Laforte: I, B-3, La Pernette

Le matin je m'y lève
Trala la la la lère
Au petit point du jour

Je prends ma quenouillette et mon fusiau itou
Je le tourne et le tourne; je pense à mes amours
Le voudrais tu ma fille, épouser un seignou
Je ne veux point d'un prince, je ne veux point d'un seignou
Je ne veux que mon ami Pierre qui est sous les verrous
Il est jugé à pendre demain au petit jour
Si la potence est haute, qu'on m'enterre dessous
On plantera sur ma tombe un bel arbre d'amour
Toutes les dames de la ville viendront à l'ombre dessous
Dirent: tiens v'là la fille qu'est morte en ses amours !


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