lundi 10 septembre 2018

263 la fille aux oranges


On ne présente plus cette marchande d'oranges et ses relations délicates avec le fils d'un avocat. Ce thème fait partie des chansons pour lesquelles on trouve le plus grand nombre de versions. C'est particulièrement vrai dans toute la Haute-Bretagne, mais son succès déborde largement le cadre de nos anciennes provinces. On va jusqu'à en trouver des versions bilingues parmi les nombreuses notées outre-Atlantique.
Celle ci vient du répertoire d'un des grands interprètes auxquels Dastum a consacré un CD : l'accordéoniste Jean Debeix, alias le Père Jean (1).
pour écouter la chanson et lire la suite :


Le scénario de cette chanson est immuable jusqu'à la rencontre avec le fils l'avocat. L'arbre est tant chargé d'oranges qu'il est plus que temps de les cueillir et d'aller les vendre là où elles trouveront preneur. Une belle métaphore dans une chanson qui n'en manque pas. A elle seule elle aurait pu faire classer l'histoire parmi celles des filles pressées de se marier. Malheureusement elle ne choisit pas le bon prétendant. C'est un avocat, ou son fils plutôt, un godelureau qui s'imagine qu'une situation de notable peut tout permettre. Il aurait du savoir que la chanson traditionnelle se moque justement de ces gens de loi et de leur arrogance. Mais il a de l'argent, c'est celui de ses parents et la fille naïve se laisse convaincre : « ma mère vous les paiera ».
A partir de là plusieurs conclusions existent pour cette chanson :
- La première, celle qui prévaut généralement, consiste à terminer là cette aventure en laissant l'imagination de l'auditeur la compléter. C'est le cas de notre version. Tout au plus quelques couplets peuvent s'y ajouter pour constater que la fille s'est fait avoir et qu'à défaut de mère au domicile du garçon on ne trouve :
...qu'un vieux bonhomme
qui allumait sa pipe avec la queue de son chat
- La seconde issue détaille d'une façon plus réaliste la suite des événements. Soyons clairs : ça se passe mal. Métaphore ou pas, c'est pratiquement d'un viol qu'il s'agit. Le garçon obtient ce qu'il veut de la fille qui s'inquiète des conséquences :
Tu diras à ta mère « c'est le fis d'un avocat »
mais la chanson n'en rapporte généralement que les séquelles:
Il la serra si fort qu'il lui cassa un bras
On sait ce que représente cette « fracture » qu'on retrouve dans d'autres chansons ou une orange (tiens, tiens!) a cassé la jambe de l'amoureuse. Faut-il y voir une tentative de morale du genre : si tu fréquentes les mauvais garçons tu finiras en cloque ?
- La troisième fin est plus heureuse. Plus rusée qu'on ne l'imaginait, la marchande d'oranges parvient à s'échapper :
Elle saute par la fenêtre
Dans la rue elle s'en va
et n'oublie pas de nous confirmer toute la symbolique de l'acte inachevé :
j'ai sauvé mes oranges
Un autre les aura
Après la fille, l'orange est donc bien l'autre vedette de cette chanson. Ce fruit était encore un produit de luxe dans nos campagnes, donné en cadeau aux enfants pour Noël jusqu'au début du vingtième siècle. Son utilisation dans la chanson est tantôt symbole de pureté ou de virginité (la fleur d'oranger) tantôt celui de la fertilité, et assez souvent la cause d'une grossesse non désirée. Que voilà un beau sujet d'études ! Mais l'érudition n'est pas l'objet de ces pages qui cherchent juste à vous donner envie de découvrir un répertoire si riche et varié.
Aussi en resterons nous là.
Si ça vous a donné soif, allez vous presser une orange !

notes
1 – grands interprètes de Bretagne, volume 3, le Père Jean, sonneur d'accordéon des pays de Redon et de la Mée (paru en 2008) – sur ce CD la chanson est interprétée par sa fille. Le CD est en promo ; profitez-en.

interprètes : Jean Ruaud, Jean-Louis Auneau
source : version chantée par Hélène Nevoux fille de l'accordéoniste Jean Debeix (le père Jean)
catalogue P. Coirault : 2205 – la marchande d'oranges chez l'avocat
catalogue C. Laforte : I, H-01 – la fille aux oranges

Derrière de chez mon père, draw, draw (x2)
Un oranger l’y a lonlaine
Un oranger l’y a lonla

Qui amène tant d’oranges
Que la branche en cassa

Elle demande à son père
Quand on les cueillira

A la Saint-Jean ma fille
La saison en sera

V’là la Saint-Jean qu’arrive
Et personne les cueilla

Elle prit son échelette
La [coubeille] à son bras

Elle choisit les plus mûres
Les vertes elle les laissa

Dans son chemin rencontre
Le fils d’un avocat

Où allez-vous donc la belle ?
A la foire à [Loyat]

Que portez-vous la belle
Dans ce petit panier là ?

Ah ce sont des oranges
Que j’y porte à [Loyat]

Vendez-moi trois douzaines
Ma mère vous les paiera


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