vendredi 13 juillet 2018

257 - Le mariage du pinson et de l'alouette


Si les mariages princiers font le succès des magazines, ce sont les mariages d'oiseaux qui sont les plus chantés. Le mélange des races ne gêne pas l'imagerie populaire qui ne s’embarrasse ni de préjugés ni de considérations ornithologiques ou scientifiques.
Nous avons déjà publié une version de ces noces d'oiseaux, qui a été le premier enregistrement de ce blog (1). Elle met en scène le petit peuple des campagnes, confronté aux manières arrogantes du chat, seigneur de la maison. Cette situation n'est pas si innocente. Y'aurait il un message caché derrière ce que nous prenons trop souvent pour des enfantillages ?
Pour écouter la chanson et lire la suite


Cette chanson vient du fond des âges ; expression facile pour définir un texte qu'il est impossible de dater. Elle est pourtant le reflet d'une organisation sociale qui oppose des gens ordinaires et des seigneurs.
Pinson, alouette, corbeau, rats et souris symbolisent bien les gens du peuple des campagnes, vivant au jour le jour et pour qui l'organisation des noces représente un défi économique.
C'est tout différent pour le marcou (2). Cet animal est bien connu pour être le seigneur de la maison. Contrairement au chien, il n'est pas au service de ses maîtres. C'est souvent l'inverse qui se produit.
Nous avons donc là deux classes sociales bien différentes. D'un coté des animaux sauvages, craintifs, se méfiant des humains. Il sont aussi laborieux mais leur avenir est rarement assuré. De l'autre un noble animal, reconnu et adulé par les hommes, faisant régner sa loi.
Certes, dans cette version apparaît un personnage peu courant. Ce gros chien qui apporte le pain. Habituellement cette mission est dévolue à un autre oiseau. D'ailleurs, si ce bon Saint-Bernard avait assisté à la noce, le chat aurait regardé à deux fois avant d'y semer la zizanie.
On aurait facilement tendance aujourd'hui à classer ce type de chanson dans le folklore enfantin ; en particulier parce qu'elle met en scène des animaux. Son texte est bâti comme une fable qui utilise les animaux pour représenter les activités humaines. L'intervention finale du chat rappelle celle de Raminagrobis, mettant tout le monde d'accord d'un coup de griffe. Mais d'Esope à La Fontaine, les fables n'ont jamais été composées uniquement pour l'édification de la jeunesse. Leur sens a toujours servi à dire d'une manière détournée ce qu'on ne pouvait pas exprimer ouvertement. Quand on y regarde bien, le symbole du seigneur opprimant le peuple, jusqu'à exercer un droit de vie et de mort sur ses sujets, paraît évident.
Le mariage des oiseaux, chanson rebelle, révolutionnaire ou symbole de la lutte des classes ? On aura vraiment tout lu sur ce blog !
- mais n'est-ce pas cela qui le rend intéressant ?
- Si, si !
-Alors, merci, et à la semaine prochaine

Fernand Guériff, à qui nous devons la publication de cette version, précise qu'elle a été notée au 19è siècle par l'ingénieur René Pocard de Kerviler, maître d’œuvre pour le bassin de Penhoet, à Saint Nazaire. Il était aussi folkloriste et musicien. Il recueillit cette chanson d'une parente : Joséphine Kerviler, agée de 70 ans en 1880.

notes
1 – et donc chanson n° 1 en avril 2013
2 - nom habituel du chat en pays gallo

interprète : Nicolas Pinel
source : Joséphine Kerviler, région Nazairienne, fin XIXe, publié par Fernand Guériff, tome III, p. 144
catalogue P. Coirault : Le mariage de l’alouette et du pinson (Enumératives Oiseaux – N° 10501)
catalogue C. Laforte : Les noces du pinson et de l’alouette (IV, Ma-13)


C'est l'alouette et le pinson
Qui veulent tous deux s'y marier
Ils veulent tous deux s'y marier
Ils n'ont pas de pain à gagner

refrain
C'est alouette, ma tour lirette
C'est l'oiseau de tout lui faut

Ils veulent tous deux s'y marier
Ils n'ont pas de pain à gagner
Mais voilà que passe un gros chien
Qui dans sa gueule leur porte un pain

… Du pain nous en avons assez
Mais de la viande il nous faut

… Et voilà que passe un corbeau
Qui, dans son bec, porte un gigot

… Du gigot, en avons assez
Mais, pour du vin, il nous en faut

… Et voilà que passe une souris
Qui sur son dos porte un baril

… Du vin nous en avons assez
Mais un violon pour danser

… Et voilà que passe un gros rat
Un violon dessous son bras

… Mais le chat saute du grenier
Qui tombe sur mon violonier !


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