Peut être préférons nous les belles
chansons d'amour qui mettent en valeur de généreux sentiments ;
ou encore les mélodies qui racontent une histoire épique ou une
complainte interminable. Pour autant, ne négligeons pas les chansons
de moindre envergure qui représentent un patrimoine aussi riche.
Dans ces formes brèves, nous avons sélectionné cette semaine une
de ces chansons à la dizaine qui constituent une bonne part du
répertoire de chants à la marche et de chants à danser dans
l'Ouest de la France et en Haute-Bretagne en particulier.
Dans ces quelques lignes il est
question de pommiers, dont les fruits méritent quelques
commentaires. Mais auparavant nous nous intéresserons à leur
propriétaire.
Pour écouter la chanson et lire la
suite :
Le principe des chansons avec des
chiffres décroissants c'est, généralement, de commencer par dix et
de reprendre les mêmes paroles : Jean Carnauw a dix
pommiers, puis neuf,
huit... jusqu'à un, et même parfois zéro (Jean
Carnauw n'a plus de pommiers...!). Ces dizaines se comptent...par
centaines, en Haute Bretagne et dans les départements voisins.
L'histoire du pommier qui fleurit et ne donne pas de fruits est
connue dans toute l'aire du pays gallo comme chanson à danser la
ronde ; c'est à dire toutes sortes de rondes auxquelles se sont
adaptées les paroles : ridées, guédillées, ronds de Saint
Vincent ou de Guérande...Cette adaptabilité en a fait une des plus
répandues.
Son personnage principal se nomme ici
Jean Carnaud, que nous orthographions Jean Carnauw (ou Jean Carnao)
pour être au plus près de la prononciation en gallo. Ce nom varie
d'un canton à l'autre et d'un refrain à l'autre. Nous avons
retrouvé dans cette zone géographique :
Jean Renaud – Jean Relaou – Jean
Carnaut - Jacques Arnaud (Jacques Ernao) – le père Matao – le
père Michao (le grand Michao) - Jeanne Guérau – Jean Menau...mais
le plus fréquemment cité reste Jean Renaud. Le cousinage entre
Carnauw, Arnauw ou Ernao et Renaud est assez évident ; surtout
si on veut bien considérer que nous nous situons dans des contrées
ou le « e » muet est rarement prononcé : Renaud =
R'naud.
Ce Jean Renaud a-t-il une parenté avec
celui de la complainte ? Vous savez, celui qui revient de guerre
tenant ses tripes dans ses mains. Renaud est un prénom ou un nom
assez courant dans les chansons anciennes. On peut donc le considérer
comme une sorte de générique. Pas plus de lien avec celui ci
qu'avec Renaud le tueur de femmes (cf chanson n° 100 – avril
2015).
Notre version adjoint
exceptionnellement à Jean Carnauw un autre personnage nommé
Zacharie. Nous ne l'avons pas retrouvé ailleurs qu'à Hoscas,
village de la Grande-Brière, où cette phrase a pu être ajoutée en
référence à un personnage local. Plus personne ne se souvient
pourquoi mais on continue à la chanter ainsi. On retrouve, dans le
pays de Loudéac, un refrain à danser noté avec ces assonances en
« i » (1) :
dansons encore un p'tit p'tit
ce p'tit bale ce p'tit bale
dansons encore un p'tit p'tit
ce p'tit bale dans notre courtil
Un autre élément important de cette
chansonnette c'est le pommier. Ce n'est sans doute pas un hasard si
ce texte est surtout populaire dans l'ouest de la France et dans des
régions de production cidricole. Mais le pommier ne peut se limiter
à son aspect matérialiste. Il est un élément, voire un personnage
biblique. C'est son fruit qui a tenté Eve et causé le péché
originel ; même si la localisation du jardin d'Eden ferait
plutôt penser au figuier. C'est aussi le pommier miraculeux qui,
selon les évangiles apocryphes, s'abaisse pour que la Vierge puisse
cueillir son fruit lors de la fuite en Egypte. Sa présence dans la
chanson est peut être bien aussi symbolique et pas seulement
anodine.
Nous l'avons dit, ces chansons courtes
et énumératives ont servi pour accompagner la marche et surtout la
danse. Le refrain ne laisse aucun doute à ce sujet. Le saut dont il
est question est aussi un mot désignant la danse en général, comme
ronde, bal, branle...ou d'autres termes anciens. Aujourd'hui encore
il est employé avec ce sens dans certaines régions, comme le Béarn
(2). Nous avons donc là un refrain en forme de pléonasme. Sauf si
on imagine que le verbe sauter est employé dans un tout autre sens,
populaire ou argotique, désignant une autre façon de croquer la
pomme !
Bon, allez, tout ça ne vaut pas un
coup de cidre !
A la semaine prochaine
Notes
1 - chansons des pays de l'Oust et du
Lié, par Alain le Noac'h et Marc Le Bris - vol. 5 P. 41
2 - où les sauts béarnais
utilisent des chansons de neuf plutôt que des dizaines
interprète : Dominique
Garino + réponses
source : répertoire de la
famille Garino à Hoscas (commune d'Herbignac - 44)
catalogue Coirault : 10023
(nombres en croissant) – les pommiers qui ne produisent pas de
pommes
Jean Carnauw a dix pommiers
Qui n'amènent jamais de pommes
Qui n'amènent jamais de pommes
Qui fleurissent et qui boutonnent
Qui n'amènent jamais de pommes
Dansons encore un petit saut
Sous le pommier à Jean Carnauw
Dansons encore un petit
Sous le pommier à Zacharie
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