samedi 7 janvier 2017

182 - Remue tes canettes

Derrière ce titre énigmatique se cache une chanson très connue sous le titre « Mon père me marie au fils d'un avocat ». Cette gauloiserie parfois titrée « le combat entre les draps » nous ramène à une époque où la nuit de noces était autant un sujet d'attentes que de plaisanteries. L'éducation sexuelle des jeunes filles par leur mère y laisse à désirer. Elle est simpliste et tardive !
Cette chanson est connue au moins depuis le 16ème siècle. Elle est répandue dans tout le folklore francophone avec une grande diversité d'airs, de formes et de refrains. Celui ci, entendu dans le pays d'Ancenis, est une rareté.
pour écouter la chanson et lire la suite


C'est peu dire que cette chanson est très répandue puisque c'est par douzaines qu 'elle a été collectée dans toute la Haute-Bretagne. Ceci pour ne parler que du pays gallo, qui n'en a pas l'exclusivité. Mais, de toutes les versions imprimées ou enregistrées, celle collectée à Mouzeil par Pierre Guillard est la seule à nous proposer ce refrain. La grande majorité de ces chansons est basée sur la formule :
Oh la la que ça ne va guère
Oh la la que ça ne vas pas.
Une majorité relative puisqu'on trouve une telle variété d'airs et de rythmes que les refrains sont parfois liés à la danse locale : rond en pays de Loudéac, ridées du coté de Ploermel, etc. Quelques refrains nous proposent même des onomatopées suggestives associées au déroulement de l'action. On croirait entendre grincer les ressorts du sommier :
kouin, kouin, kouin deri kouin kouin kouin (à Lassay, en Mayenne)
laderi couic couic laderi ponpon (version chantée par Gisèle Gallais)
tire la rouli roulette laridon ridou ridou (collecte de Jean Tricoire en pays de Chateaubriant)
La jeune mariée appelle non pas directement sa mère mais sa servante qui s'appelle Catherine, Augustine, Joséphine...ou le plus souvent Marguerite, ce qui permet de supposer l'existence d'une version originale ou Marguerite devait déjà être présente.
Il en est de même pour Nicolas, qui tient généralement le rôle du petit frère :
Ni toi ni ta petite sœur
ni ton frère Nicolas
Mais c'est parfois le prénom du père (collectes de François Simon dans les Mauges)
Ta mère en est pas morte
Ni ton père Nicolas
Et encore assez souvent le dit Nicolas serait en odeur de sainteté puisque l'épitaphe précise que la fille
Est morte en faisant sa..
..prière au grand Saint Nicolas
Mais ici Saint Nicolas n'est qu'une métaphore pour désigner le sexe masculin
Ce grand saint que les hommes
Portent la tête en bas
comme le précise une version plus paillarde de la chanson.
La première version imprimée de cette histoire se trouve dans un recueil de 1607, conservé à la BnF (1). Nous vous en donnons le texte intégral après celui de notre chanson. Vous remarquerez que le refrain :
Courage, courage ma fille
Non tu n'en mourras pas
est désormais devenu un simple couplet. Faute de connaître l'origine exacte de cette chanson on ne peut que s'émerveiller du nombre de variantes et de l'inventivité des interprètes qui ont su l'adapter aux circonstances. L'héroïne n'est pas nommée, sauf dans quelques versions où il est question de « la petite Jeannette (ou Huguette) » ; des prénoms déjà bien utilisés dans d'autres chansons gauloises voire paillardes. L'histoire sort parfois des coutumes de la nuit de noces pour s'adapter aux aventures d'une nonne. Plus question de matelas dans ces circonstances mais des sacs de pois, un tas de bois ou même directement sur le foin !
Peut être ne faut-il chercher aucune explication précise à l'expression « remue tes canettes à tour de bras » si ce n'est que les bras qui enserrent la mariée se transforment parfois en :
Il m'a serré si fort
qu'il m'a cassé un bras
Le refrain le plus proche du notre est celui d'une version vendéenne recueillie par l'Arexcpo :
Quand je remues, tu r'mues, ça r'mue
Quand je remues, tout bouge
Pour en finir avec les refrains, on a retrouvé (une seule fois) ce texte associé au refrain son voile par ci son voile par là...(2)
Quand à la présence du fils d'un avocat elle n'inspire guère qu'une certaine méfiance vis à vis de cette corporation, comme dans la chanson de la marchande d'oranges. A moins qu'il n'y ait là une fine allusion qui nous échappe.

notes
1 - Airs de Cour comprenans le trésor des trésors, la fleur des fleurs et eslite des chansons amoureuses, extraites des œuvres non encore cy devant mises en lumière des plus fameux et renomez poètes de ce siècle – à Poitiers par Pierre Brossart - 1607
2 – cf. chanson n° 180 de décembre 2016, dans ce blog

interprète : Martine Lehuédé et Janig Juteau
source : M. Pichard, de Mouzeil (44) - collectage de Pierre Guillard, le 7 décembre 1986
catalogue P. Coirault : On ne meurt pas de ça (Gauloises – N° 11601)
catalogue C. Laforte : Le mari avocat (1-D-07)

Remue tes canettes

Mon père me maria, remue tes canettes (bis)
Au fils d’un avocat, remue tes canettes à tour de bras
Au fils d’un avocat

La première nuit d’mes noces, remue tes canettes…
Avec lui je coucha

Il me serra si fort / Si fort entre ses bras

J’appelle la servante / Catherine, lève-toi

La mère qu’est aux écoutes / Entend ce discours-là

Endure, endure, ma fille / On n’en meurt pas pour ça

Et puis si tu en meurs / Sur ta tombe on mettra

Ci-git une pucelle / Qui est morte en faisant ça

En faisant sa prière / Au pied d’Saint Nicolas


Mon père m'a donnée (chanson à danser)
Extrait des : Airs de Cour comprenans le trésor des trésors, la fleur des fleurs et eslite des chansons amoureuses, extraites des œuvres non encore cy devant mises en lumière des plus fameux et renomez poètes de ce siècle – à Poitiers par Pierre Brossart - 1607

Mon père m'a donnée à un jeune avocat
La première nuitée qu'avec moi il coucha la la
refrain
Courage, courage ma fille
Non tu n'en mourras pas
Il me vint sans parler frapper de son matelats
Je me prins à crier, venez à mon trépas
Ma mère oyant ma plainte, vint qui me consola
Me disant n'ayes crainte, non tu n'en mourras pas
Car j'estais de ta sorte quand on me fit cela
Et si j'en fusse morte tu ne serais pas la
Au sort si tu y meurs, enterrée tu seras
Et avec force pleurs, Las ! On te portera
Au plus haut de la ville ton sepulchre sera
Et par un homme habille ces mots on gravera
Cy gist la jeune fille qui mourut de cela
Ça été la première, la dernière sera


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