Puisque
vous semblez avoir pris goût aux chansons de bergères (1), nous en
remettons une couche cette semaine. Nous préférons vous avertir
tout de suite que ce nouveau texte larmoyant, pris au premier degré,
peut conduire à la consommation d'anti-dépresseurs. Aussi, c'est
ailleurs que dans ses jérémiades que nous allons rechercher son
intérêt.
Bien
que collecté auprès de chanteurs de tradition, cette chanson n'est
pas à proprement parler, traditionnelle. Il s'agit d'un poème mis
en musique au dix-huitième siècle, qui a malgré tout trouvé sa
voie dans la chanson populaire et dont le timbre original est
répertorié dans la clé du caveau (2).
pour
écouter la chanson et lire la suite :
Comme
nous l'indiquions pour la chanson précédente, la seconde moitié du
18ème siècle a été fertile en chansons pastorales. La
mode a touché jusqu'à la reine Marie-Antoinette qui fit construire
une bergerie à Versailles. Les amours heureuses ou malheureuses des
gardien(e)s de troupeaux ont donné un répertoire de chansons
souvent anonymes, passées dans la tradition. Mais l'auteur du texte
que vous venez d'entendre est, lui, parfaitement connu.
Nicolas-Germain
Léonard, est né à la Guadeloupe le 16 mars 1744 et mort... à
Nantes le 26 janvier 1793.
Poète
relativement méconnu il était spécialisé dans un genre :
l'idylle. C'est à dire la composition de poésies pastorales,
imitant souvent les poètes anciens grecs et latins. Nous ne
cherchons pas à nous accaparer Léonard ; c'est par accident
qu'il est décédé à Nantes. Il y tomba gravement malade alors
qu'il allait prendre le bateau pour retourner aux Antilles après un
séjour en métropole. Il est mort
à l'hôpital de Nantes le jour même où le navire allait
appareiller.
En
1787, Il avait publié un recueil de poèmes, où se trouve un texte
intitulé les regrets d'une amante (3) qui sert de base à
notre chanson de la semaine. Ce qui est remarquable avec ce poème
c'est qu'il soit passé de la littérature classique à la chanson
populaire. Son timbre original est répertorié dans l'édition de
1811 de la clé du caveau sous le n° 609 (voir ci dessous). La
mélodie que nous utilisons s'en éloigne très sensiblement. Elle a
été recueillie au Québec, par Robert Bouthillier et adaptée aux
paroles qui proviennent d'un cahier de chansons retrouvé en
Loire-Atlantique. Le texte a été assez bien conservé si l'on
excepte les déformations habituelles à toute transmission orale.
Par rapport à l'original, c'est le cinquième couplet qui a subi le
plus de modifications
Viens
voir couler mes larmes / sur ce même gazon
Où
l'amour par ses charmes / Égara ma
raison
est
devenu
J’ai
jamais été si bonne / Assise sur le gazon
Galant,
tu m’abandonnes / Dis-moi pour
quelle raison
Pour
le reste, la tonalité mélodramatique est bien restituée, dont nous
persistons à dire qu'elle n'est supportable que prise au second
degré. Si la chanson traditionnelle est toujours actuelle et si nous
faisons beaucoup d'efforts pour qu'elle reste populaire, il faut bien
reconnaître que toutes ces pastourelles et autres bergeries ne
trouvent plus guère d'écho dans nos activités présentes.
Que
cela ne vous empêche pas d'apprécier ces petits trésors échappés
d'un passé lointain.
La
semaine prochaine nous laisserons bergères et troupeaux paître en
paix et changerons de sujet.
notes
1
– si celle de la semaine passée ne vous en a pas dégouté et que
vous êtes revenus nous lire et nous écouter, c'est bon signe. Mais
nous n'en abuserons pas; c'est promis
2
– juste pour les non initiés: la clé du caveau est un répertoire
de timbres, c'est à dire d'airs sur lesquels on écrivait des
chansons. La clé du caveau a été publié en 1811 et rééditée
plusieurs fois jusqu'au début du 20ème
siècle.
3
– ou les plaintes d'une amante, selon les sources
Interprète
:
Janig Juteau
source :
cahier de chansons de Mme Marie Orain, de Campbon (44) – air
communiqué par Robert Bouthillier, d'après une version recueillie
au Québec
Non
répertoriée dans les catalogues Coirault et Laforte
Timbre
de la chanson n° 609 dans la clé du caveau - édition de 1811
Une
jeune bergère
Une
jeune bergèreLes
yeux baignés de pleurs
A
l’écho solitaire
Confiait
ses malheurs
Hélas,
l’onde parjure
Où
vais-je recourir
Tout
me trahit dans la nature
Je
n’ai plus qu’à mourir
Laissez là ce bocageOù j’entendais sa voixCes tilleuls dont l’ombrageNous servit toutefoisCet asile champêtreEn vain va refleurirOh, doux printemps, tu viens de naîtreQuand moi je vais mourir
Autrefois
sa musette
Soupirait
nos ardeurs
Il
paraît ma houlette
De
rubans et des fleurs
A
des beautés nouvelles
L’ingrat
va les offrir
Et
je l’entends chanter pour elles
Quand
il me fait mourir
Que
de soins, le perfide
Prenait
pour me charmer
Comme
il était timide
En
commençant m’aimer
C’était
pour me surprendre
Et
pour me faire languir
Maintenant
il peut bien attendre
Moi,
je m’en vais mourir
J’ai
jamais été si bonne
Assise
sur le gazon
Galant,
tu m’abandonnes
Dis-moi
pour quelle raison
Tu
vois couler mes larmes
Ce
sont des larmes d’or
Tu
te plaindras, amant fidèle
De
m’avoir fait mourir
Un
jour viendra, peut-être
Galant,
tu m’verras plus
Amant,
je te f’rai voir
Un
regret superflu
Tu
verras mon image
Qui
te fera gémir
Tu
te plaindras, amant fidèle
De
m’avoir fait mourir
Tu
verras mon image
Qui
te fera gémir
Tu
te plaindras, amant fidèle
De
m’avoir fait mourir.
Pour
compléter (et jouer au jeu des sept différences!) voici le texte
original du poème
Les
plaintes d'une amante
Une jeune bergèreLes yeux baignés de pleursA l’écho solitaireConfiait ses douleursHélas, loin d'un parjureOù vais-je recourir ?Tout me trahit dans la natureJe n’ai plus qu’à mourir
Est-ce
là ce bocage
Où
j’entendais sa voix
Ce
tilleul dont l’ombrage
Nous
servit tant de fois
Cet
asile champêtre
En
vain va refleurir
Oh,
doux printemps, tu viens de naître
Et
moi je vais mourir
Que
de soins, le perfide
Prenait
pour me charmer
Comme
il était timide
En
commençant d’aimer
C’était
pour me surprendre
Qu'il
semblait me chérir
Ah
fallait-il être si tendre
Pour
me faire mourir
Autrefois
sa musette
Soupirait
nos ardeurs
Il
paraît ma houlette
De
rubans et de fleurs
A
des beautés nouvelles
L’ingrat
va les offrir
Et
je l’entends chanter pour elles
Quand
il me fait mourir
Viens
voir couler mes larmes
Sur
ce même gazon
Où
l'amour par ses charmes
Égara
ma raison
Si
dans ce lieu funeste
Rien
ne peut t'attendrir
Adieu
parjure ! Un bien me reste
C'est
l'espoir de mourir
Un
jour viendra, peut-être
Que
tu n'aimeras plus
Alors
je ferai naître
Tes
regrets superflus
Tu
verras mon image
Tu
m'entendras gémir
Tu
te plaindras, berger volage
De
m’avoir fait mourir.
...et
l'air de la Clé du caveau (d'après Wikisource)
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