vendredi 28 octobre 2016

173 - Une jeune bergère

Puisque vous semblez avoir pris goût aux chansons de bergères (1), nous en remettons une couche cette semaine. Nous préférons vous avertir tout de suite que ce nouveau texte larmoyant, pris au premier degré, peut conduire à la consommation d'anti-dépresseurs. Aussi, c'est ailleurs que dans ses jérémiades que nous allons rechercher son intérêt.
Bien que collecté auprès de chanteurs de tradition, cette chanson n'est pas à proprement parler, traditionnelle. Il s'agit d'un poème mis en musique au dix-huitième siècle, qui a malgré tout trouvé sa voie dans la chanson populaire et dont le timbre original est répertorié dans la clé du caveau (2).
pour écouter la chanson et lire la suite :


Comme nous l'indiquions pour la chanson précédente, la seconde moitié du 18ème siècle a été fertile en chansons pastorales. La mode a touché jusqu'à la reine Marie-Antoinette qui fit construire une bergerie à Versailles. Les amours heureuses ou malheureuses des gardien(e)s de troupeaux ont donné un répertoire de chansons souvent anonymes, passées dans la tradition. Mais l'auteur du texte que vous venez d'entendre est, lui, parfaitement connu.
Nicolas-Germain Léonard, est né à la Guadeloupe le 16 mars 1744 et mort... à Nantes le 26 janvier 1793.
Poète relativement méconnu il était spécialisé dans un genre : l'idylle. C'est à dire la composition de poésies pastorales, imitant souvent les poètes anciens grecs et latins. Nous ne cherchons pas à nous accaparer Léonard ; c'est par accident qu'il est décédé à Nantes. Il y tomba gravement malade alors qu'il allait prendre le bateau pour retourner aux Antilles après un séjour en métropole. Il est mort à l'hôpital de Nantes le jour même où le navire allait appareiller.
En 1787, Il avait publié un recueil de poèmes, où se trouve un texte intitulé les regrets d'une amante (3) qui sert de base à notre chanson de la semaine. Ce qui est remarquable avec ce poème c'est qu'il soit passé de la littérature classique à la chanson populaire. Son timbre original est répertorié dans l'édition de 1811 de la clé du caveau sous le n° 609 (voir ci dessous). La mélodie que nous utilisons s'en éloigne très sensiblement. Elle a été recueillie au Québec, par Robert Bouthillier et adaptée aux paroles qui proviennent d'un cahier de chansons retrouvé en Loire-Atlantique. Le texte a été assez bien conservé si l'on excepte les déformations habituelles à toute transmission orale. Par rapport à l'original, c'est le cinquième couplet qui a subi le plus de modifications
Viens voir couler mes larmes / sur ce même gazon
Où l'amour par ses charmes / Égara ma raison
est devenu
J’ai jamais été si bonne / Assise sur le gazon
Galant, tu m’abandonnes / Dis-moi pour quelle raison
Pour le reste, la tonalité mélodramatique est bien restituée, dont nous persistons à dire qu'elle n'est supportable que prise au second degré. Si la chanson traditionnelle est toujours actuelle et si nous faisons beaucoup d'efforts pour qu'elle reste populaire, il faut bien reconnaître que toutes ces pastourelles et autres bergeries ne trouvent plus guère d'écho dans nos activités présentes.
Que cela ne vous empêche pas d'apprécier ces petits trésors échappés d'un passé lointain.
La semaine prochaine nous laisserons bergères et troupeaux paître en paix et changerons de sujet.

notes
1 – si celle de la semaine passée ne vous en a pas dégouté et que vous êtes revenus nous lire et nous écouter, c'est bon signe. Mais nous n'en abuserons pas; c'est promis
2 – juste pour les non initiés: la clé du caveau est un répertoire de timbres, c'est à dire d'airs sur lesquels on écrivait des chansons. La clé du caveau a été publié en 1811 et rééditée plusieurs fois jusqu'au début du 20ème siècle.
3 – ou les plaintes d'une amante, selon les sources

Interprète : Janig Juteau
source : cahier de chansons de Mme Marie Orain, de Campbon (44) – air communiqué par Robert Bouthillier, d'après une version recueillie au Québec
Non répertoriée dans les catalogues Coirault et Laforte
Timbre de la chanson n° 609 dans la clé du caveau - édition de 1811

Une jeune bergère

Une jeune bergèreLes yeux baignés de pleurs
A l’écho solitaire
Confiait ses malheurs
Hélas, l’onde parjure
Où vais-je recourir
Tout me trahit dans la nature
Je n’ai plus qu’à mourir

Laissez là ce bocageOù j’entendais sa voixCes tilleuls dont l’ombrageNous servit toutefoisCet asile champêtreEn vain va refleurirOh, doux printemps, tu viens de naîtreQuand moi je vais mourir

Autrefois sa musette
Soupirait nos ardeurs
Il paraît ma houlette
De rubans et des fleurs
A des beautés nouvelles
L’ingrat va les offrir
Et je l’entends chanter pour elles
Quand il me fait mourir

Que de soins, le perfide
Prenait pour me charmer
Comme il était timide
En commençant m’aimer
C’était pour me surprendre
Et pour me faire languir
Maintenant il peut bien attendre
Moi, je m’en vais mourir

J’ai jamais été si bonne
Assise sur le gazon
Galant, tu m’abandonnes
Dis-moi pour quelle raison
Tu vois couler mes larmes
Ce sont des larmes d’or
Tu te plaindras, amant fidèle
De m’avoir fait mourir

Un jour viendra, peut-être
Galant, tu m’verras plus
Amant, je te f’rai voir
Un regret superflu
Tu verras mon image
Qui te fera gémir
Tu te plaindras, amant fidèle
De m’avoir fait mourir
Tu verras mon image
Qui te fera gémir
Tu te plaindras, amant fidèle
De m’avoir fait mourir.


Pour compléter (et jouer au jeu des sept différences!) voici le texte original du poème
Les plaintes d'une amante

Une jeune bergèreLes yeux baignés de pleursA l’écho solitaireConfiait ses douleursHélas, loin d'un parjureOù vais-je recourir ?Tout me trahit dans la natureJe n’ai plus qu’à mourir

Est-ce là ce bocage
Où j’entendais sa voix
Ce tilleul dont l’ombrage
Nous servit tant de fois
Cet asile champêtre
En vain va refleurir
Oh, doux printemps, tu viens de naître
Et moi je vais mourir

Que de soins, le perfide
Prenait pour me charmer
Comme il était timide
En commençant d’aimer
C’était pour me surprendre
Qu'il semblait me chérir
Ah fallait-il être si tendre
Pour me faire mourir

Autrefois sa musette
Soupirait nos ardeurs
Il paraît ma houlette
De rubans et de fleurs
A des beautés nouvelles
L’ingrat va les offrir
Et je l’entends chanter pour elles
Quand il me fait mourir

Viens voir couler mes larmes
Sur ce même gazon
Où l'amour par ses charmes
Égara ma raison
Si dans ce lieu funeste
Rien ne peut t'attendrir
Adieu parjure ! Un bien me reste
C'est l'espoir de mourir

Un jour viendra, peut-être
Que tu n'aimeras plus
Alors je ferai naître
Tes regrets superflus
Tu verras mon image
Tu m'entendras gémir
Tu te plaindras, berger volage
De m’avoir fait mourir.

...et l'air de la Clé du caveau (d'après Wikisource)



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