vendredi 9 septembre 2016

166 - Sur le pont du nord

Voilà le sort des enfants obstinés...la morale habituellement associée au dénouement de cette chanson résonne encore dans nos oreilles d'enfants. L'histoire des danseurs noyés est de celles qui ont connu un retentissement bien au delà du seul domaine de la chanson traditionnelle. Elle a été enregistrée à plusieurs reprises par des artistes dits « de variété » et ainsi bénéficié d'une propagation sur les ondes. Elle est aussi un classique du répertoire enfantin. Comment mieux faire passer aux jeunes générations l'intérêt d'obéir à ses parents !.
Mais pourquoi avoir choisi une version de Loire-Atlantique qui ne met pas en scène les fameux pont de Nantes, théâtre habituel de cette mésaventure ?
Pour lire la suite et écouter la chanson :


Même si une grande majorité des versions de cette chanson situent l'action à Nantes, il semble bien qu'à l'origine c'est d'un pont du Nord qu'il est question. Les ponts de Nantes sont présents dans un grand nombre de chansons types et la contamination a pu se faire d'une chanson à l'autre. C'est une hypothèse, pas une certitude. Rappelez vous que ce qu'on désigne sous le terme de pont n'est pas seulement l'ouvrage d'art qui enjambe une rivière en lui-même, mais l'ensemble d'arches, de rues, de terrains, de faubourgs, etc qui se trouvent au point de franchissement d'un fleuve. Nous l'avons déjà évoqué dans ce blog à propos des ponts de Nantes et d'autres aussi célèbres dans la chanson : Lyon, Avignon. N'imaginez pas un bal organisé sur une chaussée étroite, encombrée, fragile et suspendue au dessus d'une rivière. Aujourd'hui à Nantes les ponts se comptent à la dizaine. Jadis, une seule ligne de ponts permettait de franchir la Loire et ses divers bras. En revanche, entre ces ponts existaient des espaces peu urbanisés et propices à organiser des réjouissances ; des quartiers parfois mal famés ; ce qui peut justifier la réticence des parents à laisser une jeune fille y aller danser.
Voilà pour la réalité géographique, passons maintenant à la fiction. Cette chanson nous parle le plus souvent du ou des ponts de Nantes. D'autres localisations existent :
Le pont du Nord, que personne n'arrive à situer exactement puisqu'on en parle dans des chansons d'origines très différentes. Et il arrive parfois qu'après la noyade les cloches de Nantes se mettent à sonner !
Le pont des Morts, qui est une variante locale adaptée d'après un pont de la ville de Metz
Le pont de Londres, pour un certain nombre de chansons canadiennes alors que le pont de Nantes est cité lui aussi dans un pas mal de textes collectés outre-Atlantique. La présence des anglais au Canada justifie sans doute cette référence à Londres
Le pont de l'Anse, variante québécoise assez rare, adoptée en raison de son assonance proche de Nantes.
L'origine de cette chanson remonte fort loin. Le premier texte y faisant allusion est une romance du 12ème siècle, citée par Martine David et Anne-Marie Delrieu dans leur ouvrage « aux sources des chansons populaires » :
C'est la jus c'on di ès prés
Jeu et bal i sont criés
Emmelos i veut aller,
A sa mère en acquiert grés
par Dieu ma fille, vous n'irés
Trop y a de bachelers au bal
Emmelos est passé de mode depuis longtemps et c'est plus couramment Adèle, Hélène, Agnès ou Jeannette qui arrivent à convaincre le frère de leurs servir de chaperon.
Depuis ces temps lointains la chanson a suivi une carrière qui l'a fait passer de la tradition populaire aux rondes enfantines, adaptées comme souvent au 19ème siècle. Avec la naissance des ondes radiophoniques et du disque elle a connu son heure de gloire chantée par Guy Béart et Nana Mouskouri, sous le titre « les ponts de Nantes ».
Pour ne pas faire preuve d'un chauvinisme excessif, notre interprétation de cette semaine laisse de coté les ponts de Nantes pour celui du Nord. Elle a été entendue de Marie Barthélémy, l'une des chanteuses du pays de Chateaubriant qui possédait un répertoire des plus étendu.

interprète : Daniel Lehuédé
Source : Marie-Josèphe Barthélémy, de Limèle, en Sion-les-Mines (Loire-Atlantique) collectée le 20 mars 1991 par Patrick Bardoul, Robert Bouthillier, Lydie Pécot et Pierre Guillard
catalogue P. Coirault : Le pont du Nord (Petites aventures au bord de l’eau - N° 01725)
catalogue C. Laforte : La danseuse noyée (I-B-02)

Sur le pont du nord

Sur le pont du Nord un bal est assigné (bis)
Adèle demande à sa mère à y aller
Luron lurette, maluron de luré

La belle demande à sa mère à y aller (bis)
Oh non, ma fille, tu n'iras pas danser
Luron lurette, maluron de luré

Oh, non, ma fille...
Les routes sont larges mais les ponts sont étrèt’s1

Elle monta dans sa chambre, elle se mit à pleurer

Son frère arrive dans un bateau doré

Qu'as-tu, qu'as-tu donc ma sœur à pleurer

C'est maman qui ne veut pas que j'aille danser

Prends ta robe blanche et ta ceinture dorée

Le frère, la sœur, tous deux s'y sont noyés

Les cloches du Nord se mirent toutes à sonner

La mère demande qu'est ce qu'il est arrivé

Ce sont vos fils qui sont morts et enterrés

Voilà l'histoire des enfants entêtés


Qui vont au bal sans y avoir songé.

7 commentaires:

  1. Merci de ces explications et de cette belle version qui est bien meilleure que celle des chanteurs de variété (ce qui n’est pas étonnant).

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  2. Merci pour cette explication et ces quelques mots d'histoire! Très intéressant!

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  3. enfin une explication complète de cette chanson qui a accompagné mon enfance et me laissait songeuse ; Merci

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  4. Voici une chanson que je ne peux entendre sans avoir les larmes aux yeux, car j ai un fils aîné .... et une fille qui se nomme Adèle 😕. Merci pour cette analyse claire et instructive.

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  5. Quel triste écho avec le drame qui a conduit à la mort de Steve.

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    1. Une résonance bien particulière qui n'a pas échappé à certains artistes qui se sont déjà emparés de cette chanson pour en faire une version actualisée !
      Heureusement, dans la chanson trad. on n'a pas besoin de lacrymogènes pour verser une larme.

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