Le retour du soldat dans ses foyers est
censé être un événement heureux. Dans les chansons populaires
c'est loin d'être toujours le cas. Passons rapidement sur celui qui
avait laissé sa femme avec un enfant et en retrouve deux, ou plus,
au retour. Généralement il retourne au régiment. Les engagements,
volontaires ou forcés, couvrant une période de plusieurs années,
la chanson a retenu plusieurs cas de militaires que ses proches, son
épouse en particulier, ne reconnaissent plus.
Parmi tous le moyens utilisés par les
deux amants pour se reconnaître on trouve les anneaux, alliances,
bagues et autres billets. Se remémorer les détails de la vie
antérieure peut aussi s'avérer utile. Au cas présent, c'est une
particularité physique qui sert d'identification : la tache de
raisin. Notons au passage que c'est toujours l'épouse qui a des
difficultés à reconnaître son mari, jamais l'inverse. Les années
d'absence et d'aventures ont donc eu plus d'influence sur l'apparence
du soldat que sur celle restée au pays.
Pour écouter la chanson et lire la suite
Comme cette chanson a été collectée
à de nombreuses reprises en Haute-Bretagne, en Vendée et dans tout
le massif central, certains détails nous aident à mieux comprendre
la situation. Notre chanson n'envisage que le retour du soldat.
D'autres versions débutent avec son départ et même avec son
mariage. Ce qui nous donne souvent un très jeune marié
C'est un jeune homme de dix huit ans
s'étant marié d'chez son père
est, par exemple, le début de la
chanson interprétée à la Bogue en 1989 par Mme Boixière (1). Cet
âge est confirmé par de nombreuses autres chansons. Compte tenu de
la longueur des campagnes – de deux à sept ans et demie selon le
cas - et de leur dureté, l'apparence physique du jeune homme a pu
évoluer. Son souvenir a pu aussi s'estomper.
Son retour est le plus souvent annoncé
par :
M'en revenant dans ma patrie
Ce qui peut s'interpréter comme le
signe d'une campagne à l'étranger, ou tout simplement par le fait
de remettre les pieds dans son pays natal, la notion de patrie ayant
eu un sens tout relatif avant qu'elle ne soit associée exclusivement
à la France. Notre chanson est plus précise sur la destination
géographique. Elle est la seule (à notre connaissance) à situer la
guerre en Italie. Ce qui laisse encore plusieurs possibilités sur la
date, nos souverains ayant eu une fâcheuse propension à faire
franchir les Alpes à leurs armées.
Le soldat rencontrant ses enfants les
désigne comme novices. Un terme dont le sens aujourd'hui est sans
doute plus restrictif qu'à l'époque où le texte a été composé.
Ici, ils sont deux ; parfois ils sont trois, qui gardent des
moutons. Sa femme, craignant les médisances, propose de le loger
chez des voisins. Il faut donc qu'il utilise ce signe distinctif,
cette « envie de raisin » pour que le malentendu soit
dissipé. Ce que ne dit pas la version briéronne chantée par Mme
Gouesmat, mais qu'on entend le plus souvent, c'est que cette tache
est située sur le pied droit. Tant pis pour ceux et celles qui
imaginaient quelque chose de plus intime !
D'après Jérôme Bujeaud, le fameux
collecteur poitevin du 19ème siècle, cette identification par un
détail physique n'est pas propre à la chanson populaire
francophone. Dans son ouvrage, il cite deux autres circonstances
similaires. La première dans une chanson grecque, « la
reconnaissance », où les marques sont situées sur la joue et
l'épaule. La seconde, la romance de Don Gafeyros, complainte
espagnole où c'est un doigt qui manque au héros.
Toutes ces aventures de retour du
soldat nous semblent sans doute plus familières grâce à
l'adaptation qui en a été faite au cinéma avec le retour de Martin
Guerre. A noter que dans une version auvergnate de cette chanson (2),
le soldat porte ce prénom :
Martin à la fleur de son âge à 18
ans et demie
Ce qui ne l'empêche pas d'avoir déjà
deux enfants !
notes
1 – Bogue d'or 1989 – cassette et
livret Dastum / Groupement culturel breton des Pays de Vilaine –
Des exemplaires de cet enregistrement sont toujours disponibles sur
le site de Dastum, et pour une somme dérisoire !
2 – chantée par Virginie Granouillet
– tirée du livre « des chansons tissées aux fuseaux »
d'Eric Desgrugillers et Didier Pierre (AMTA 2014)
interprètes : Françoise
Bourse et Annick Mousset
source :Antoinette
Gouesmat, née Legal demeurant au Pélo, en Saint-Lyphard (44) -
collectage d' Yves Maurice en octobre 1991
catalogue P. Coirault : La
tache de raisin (Aventures de mariage – N° 5304)
catalogue C. Laforte : Le
retour du mari soldat : la femme fidèle (2-I-06)
M’y revenant de l’Italie
Passant les faubourgs à Toulon
Passant les faubourgs à Toulon
J’ai rencontré deux jeunes novices
Chose qui m’a le plus fort étonné
C’est d’voir deux enfants si bien
nés
Je leur ai dit : mes chers enfants
Votre mère est-elle à la maison
Votre mère est-elle à la maison
Et votre père, vit-il encore
Ah vite, ah vite, mes chers enfants
Ah vite, dites-le moi donc
Maman nous a toujours bien dit
Que notre père était parti
Que notre père était parti
Qu’il était mort sous ces grands
guerres
Maman nous a toujours bien dit
Qu’il était mort pour la patrie
En arrivant dans son village
Vit une femme qui le regardait
Vit une femme qui le regardait
Il lui a dit : bonsoir, madame
Pourriez-vous donner à coucher
A un militaire en congé
Oh non, oh non, mon bon monsieur
Ici vous ne pouvez coucher
Ici vous ne pouvez coucher
Car j’ai grand peur aux bavardages
Allez au voisinage chercher
Peut-être que vous y trouverez
Au voisinage, je n’irai pas
Ici là je m’en vais coucher
Ici là je m’en vais coucher
J’vais t’y faire voir la marque
Tiens, cette grappe de raisin
Femme, la reconnais-tu bien
Te voilà donc, mari que j’aime
Que tant de fois j’ai soupiré
Que tant de fois j’ai soupiré
Tant de fois fait dire des prières
Puisque dieu nous a exaucés
Nous n’aurons plus qu’à remercier.
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