vendredi 18 mars 2016

144 - M'y revenant de l'Italie (la tache de raisin)

Le retour du soldat dans ses foyers est censé être un événement heureux. Dans les chansons populaires c'est loin d'être toujours le cas. Passons rapidement sur celui qui avait laissé sa femme avec un enfant et en retrouve deux, ou plus, au retour. Généralement il retourne au régiment. Les engagements, volontaires ou forcés, couvrant une période de plusieurs années, la chanson a retenu plusieurs cas de militaires que ses proches, son épouse en particulier, ne reconnaissent plus.
Parmi tous le moyens utilisés par les deux amants pour se reconnaître on trouve les anneaux, alliances, bagues et autres billets. Se remémorer les détails de la vie antérieure peut aussi s'avérer utile. Au cas présent, c'est une particularité physique qui sert d'identification : la tache de raisin. Notons au passage que c'est toujours l'épouse qui a des difficultés à reconnaître son mari, jamais l'inverse. Les années d'absence et d'aventures ont donc eu plus d'influence sur l'apparence du soldat que sur celle restée au pays.
Pour écouter la chanson et lire la suite


Comme cette chanson a été collectée à de nombreuses reprises en Haute-Bretagne, en Vendée et dans tout le massif central, certains détails nous aident à mieux comprendre la situation. Notre chanson n'envisage que le retour du soldat. D'autres versions débutent avec son départ et même avec son mariage. Ce qui nous donne souvent un très jeune marié
C'est un jeune homme de dix huit ans
s'étant marié d'chez son père
est, par exemple, le début de la chanson interprétée à la Bogue en 1989 par Mme Boixière (1). Cet âge est confirmé par de nombreuses autres chansons. Compte tenu de la longueur des campagnes – de deux à sept ans et demie selon le cas - et de leur dureté, l'apparence physique du jeune homme a pu évoluer. Son souvenir a pu aussi s'estomper.
Son retour est le plus souvent annoncé par :
M'en revenant dans ma patrie
Ce qui peut s'interpréter comme le signe d'une campagne à l'étranger, ou tout simplement par le fait de remettre les pieds dans son pays natal, la notion de patrie ayant eu un sens tout relatif avant qu'elle ne soit associée exclusivement à la France. Notre chanson est plus précise sur la destination géographique. Elle est la seule (à notre connaissance) à situer la guerre en Italie. Ce qui laisse encore plusieurs possibilités sur la date, nos souverains ayant eu une fâcheuse propension à faire franchir les Alpes à leurs armées.
Le soldat rencontrant ses enfants les désigne comme novices. Un terme dont le sens aujourd'hui est sans doute plus restrictif qu'à l'époque où le texte a été composé. Ici, ils sont deux ; parfois ils sont trois, qui gardent des moutons. Sa femme, craignant les médisances, propose de le loger chez des voisins. Il faut donc qu'il utilise ce signe distinctif, cette « envie de raisin » pour que le malentendu soit dissipé. Ce que ne dit pas la version briéronne chantée par Mme Gouesmat, mais qu'on entend le plus souvent, c'est que cette tache est située sur le pied droit. Tant pis pour ceux et celles qui imaginaient quelque chose de plus intime !
D'après Jérôme Bujeaud, le fameux collecteur poitevin du 19ème siècle, cette identification par un détail physique n'est pas propre à la chanson populaire francophone. Dans son ouvrage, il cite deux autres circonstances similaires. La première dans une chanson grecque, « la reconnaissance », où les marques sont situées sur la joue et l'épaule. La seconde, la romance de Don Gafeyros, complainte espagnole où c'est un doigt qui manque au héros.
Toutes ces aventures de retour du soldat nous semblent sans doute plus familières grâce à l'adaptation qui en a été faite au cinéma avec le retour de Martin Guerre. A noter que dans une version auvergnate de cette chanson (2), le soldat porte ce prénom :
Martin à la fleur de son âge à 18 ans et demie
Ce qui ne l'empêche pas d'avoir déjà deux enfants !

notes
1 – Bogue d'or 1989 – cassette et livret Dastum / Groupement culturel breton des Pays de Vilaine – Des exemplaires de cet enregistrement sont toujours disponibles sur le site de Dastum, et pour une somme dérisoire !
2 – chantée par Virginie Granouillet – tirée du livre « des chansons tissées aux fuseaux » d'Eric Desgrugillers et Didier Pierre (AMTA 2014)

interprètes :  Françoise Bourse et Annick Mousset
source :Antoinette Gouesmat, née Legal demeurant au Pélo, en Saint-Lyphard (44) - collectage d' Yves Maurice en octobre 1991
catalogue P. Coirault : La tache de raisin (Aventures de mariage – N° 5304)
catalogue C. Laforte : Le retour du mari soldat : la femme fidèle (2-I-06)

M’y revenant de l’Italie
Passant les faubourgs à Toulon
Passant les faubourgs à Toulon
J’ai rencontré deux jeunes novices
Chose qui m’a le plus fort étonné
C’est d’voir deux enfants si bien nés

Je leur ai dit : mes chers enfants
Votre mère est-elle à la maison
Votre mère est-elle à la maison
Et votre père, vit-il encore
Ah vite, ah vite, mes chers enfants
Ah vite, dites-le moi donc

Maman nous a toujours bien dit
Que notre père était parti
Que notre père était parti
Qu’il était mort sous ces grands guerres
Maman nous a toujours bien dit
Qu’il était mort pour la patrie

En arrivant dans son village
Vit une femme qui le regardait
Vit une femme qui le regardait
Il lui a dit : bonsoir, madame
Pourriez-vous donner à coucher
A un militaire en congé

Oh non, oh non, mon bon monsieur
Ici vous ne pouvez coucher
Ici vous ne pouvez coucher
Car j’ai grand peur aux bavardages
Allez au voisinage chercher
Peut-être que vous y trouverez

Au voisinage, je n’irai pas
Ici là je m’en vais coucher
Ici là je m’en vais coucher
J’vais t’y faire voir la marque
Tiens, cette grappe de raisin
Femme, la reconnais-tu bien

Te voilà donc, mari que j’aime
Que tant de fois j’ai soupiré
Que tant de fois j’ai soupiré
Tant de fois fait dire des prières
Puisque dieu nous a exaucés
Nous n’aurons plus qu’à remercier.


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