samedi 23 août 2014

68 – C'est notre chambrière

La chanson que vous allez écouter n’est pas le tube de l’été, mais a certainement été un tube. La preuve ? Elle s’invite dans toutes les collectes réalisées aux quatre coins de la francophonie (1). Avec une présence plus forte dans les régions de l’ouest et même une densité remarquable dans les pays Nantais et Rennais.
En résumé, c’est l’histoire d’un mec et de sa bonne amie prétendument malade. Pour la dépanner, il va traire les vaches. Un animal récalcitrant l’envoie valdinguer dans l’étable avec son seau de lait ; et il jure qu’on ne l’y reprendra plus. Neuf fois sur dix, cette aventure est attribuée à un moine, petit ou gros. Notre fable locale fait donc exception à la règle puisqu’elle met en scène un valet et une chambrière. Mais ce ne sont pas les seules différences.
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Cette chanson a été publiée par Soreau dans ses vieilles chansons du pays nantais, bien que notée au Grand Fougeray, hors Loire-Atlantique donc. Ce thème a été si souvent collecté des deux coté de la Chère (2) qu’il serait fastidieux d’en faire une liste. Guéraud, par exemple, en publie huit versions différentes, la plupart du sud de la Loire.
En Haute Bretagne et en Vendée, le petit moine est le plus souvent originaire de Sainte Anne d’Auray, lieu de pèlerinage depuis 1625, ce qui n’exclut pas que la chanson soit beaucoup plus ancienne. C'est en tout cas l'avis de Conrad Laforte. La satire des moines est en effet caractéristique du moyen-âge. La première publication de cette chanson intervint en 1724, par Robert Ballard (3). Toutes les versions ont en commun des assonances en è.
Si la fin est sans surprise, c'est l'invocation du saint patron par le moine ou le galant qui varie entre Saint Pierre, saint Gilles et, comme ici, Saint Yaum (Guillaume). Ajoutons que la maladie de l'amie est fréquemment un mal de doigt (4) ; ce qui est effectivement un handicap pour la traite !
Les traits communs de toutes les versions ayant été exposés, voyons maintenant les différences. A commencer par les refrains. On peut les classer dans plusieurs catégories :
  • la plus répandue utilise des onomatopées en « ouichtenlaire » ou « vouichte en vouichte »... Chez Ballard c'est « ouistenlaire ».
  • la seconde nous parle de la robe du moine : « sa robe volait » ou bien « comme il la secouait »
  • une troisième catégorie est plus portée sur les « lire lire » ou encore « larigo »
Ces remarques concernent donc 90 % des versions, mais qu'en est-il de la notre ?
Et bien, pour être plus rare elle n'en est pas pour autant unique. Tout d'abord la version de Ballard elle même ne parle pas de moine. « il était un homme, lequel d'amour vivait » Etant « imprimeur du Roy » a-t-il auto censuré le texte pour éviter de froisser les gens d'église ?
Les autres versions qui ne mettent pas en scène un moine sont concentrées dans l'est (Jura) où c'est tante Claudine qui a mal au doigt, et en Ille et Vilaine où Lucien Decombe a collecté une version quasi identique, près de Vitré.
Enfin, le refrain de la chanson, de structure toute différente, présente quand même des similitudes avec d'autres :
Joue de ton tambourin Pierre, joue de ton tambourinet (Soreau)
Choq' mon tambourin choq' – choq' mon tambourinet (Decombe)
Tourne tourne ton moulin tourne – tourne tourne ton moulinet (Orain – en Ille et Vilaine)
Tourne roule mon moulin tourne – tourne roule mon moulinet (Radioyes – St Martin sur Oust 56)
Le tour dau rouet mes gars, le tour dau rouet (Guéraud – dans le Choletais)

On pourrait certes se contenter de chanter cette mélodie – pas si éloignée de celle publiée par Ballard – sans se préoccuper de toutes ces considérations historico-géographico-musicologiques. Mais avouez que devant un tel enchevêtrement de thèmes, de refrains et de références il y a de quoi se poser des questions sur le cheminement d'une chanson de son origine jusqu'à nos oreilles. Une petite fable banale qui ouvre les portes des siècles passés et de tous les chanteurs qui l'ont portée jusqu'à nous par la seule tradition orale !
Et si ça vous donne le tournis : une aspirine, une tisane..et au lit ! Allez hop.

notes
1 – vous avez échappé aux « quatre coins de l’hexagone ». Si vous êtes en manque de clichés, on vous conseille les journaux télé.
2 – La Chère est la modeste rivière séparant les deux départements. Reportez vous deux semaines en arrière pour saisir toute la subtilité de l’expression « de l’autre coté de... »
3 – les rondes, chansons à danser, tome 1 ...par le sieur Ballard, seul imprimeur du roy
4– pour l’assonance il faut se souvenir que le doigt est souvent prononcé doegt

C’est notre chambrière

C’est notre chamberière qui est malade au lect (bis)
Et notre valet Pierre qui la reconsolait
Joue de ton tambourin, Pierre
Joue de ton tambourinet
Joue de ton tambourin, Pierre
Joue de ton tambourinet

Et notre valet Pierre qui la reconsolait (bis)
Il lui disait : ma Jeanne, Jeanne, veux-tu du lait
Joue de ton tambourin, Pierre
Joue de ton tambourinet
Joue de ton tambourin, Pierre
Joue de ton tambourinet

… A répondu la Jeanne, oui bien qu’elle en voulait…

… Pierre a pris une jatte, sous la vache il s’en vait…

… La vache était fringante, elle a joué du jarret…

… Elle a cassé la jatte, elle a gâté le lait…

… Elle a jeté le garce par-dessus le tabouret…

… Il a juré Saint Yaume c’est le nom qu’il portait…

… Que jamais dessous vache il ne s’accroupirait…

… Qu’il n’ë eu une coëffe ou ben un beau collet…

collectage : Abel Soreau
source : non précisé, Le Grand-Fougeray
interprète : Jean-Louis Auneau
Coirault. : Le moine qui trait la vache (Curés et moines – N° 09318)
Laforte. : Le petit moine qui mignonnait (I, C-19)

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