vendredi 18 avril 2014

51 - J’ai bien eu du plaisir

La semaine passée nous avons tenté de comprendre les diverses raisons qui pouvaient pousser un jeune homme à quitter son pays et sa belle pour s'engager dans la troupe. Évidemment il manquait une raison à ce départ : la contrainte. L'embarquement de force ou par ruse est fréquent chez les marins. Il est plus rare chez les fantassins. Dans les ports les jeunes gens désœuvrés qui commençaient à boire avec un inconnu se réveillaient parfois en pleine mer. La pratique du shangaÏage, ou enrôlement de force est plus rare dans l'histoire de l'armée de terre. Il est vrai qu'une fois à bord d'un bâtiment la désertion devenait difficile !

La raison de l'emprisonnement du héros de cette chanson reste assez obscure. Erreur de jeunesse ? conduite délictueuse ? Toujours est-il qu'on cherche à s'en débarrasser. Le voilà condamné à servir le roi Suzon. Si quelqu'un peut nous renseigner sur la réalité de ce personnage cela nous permettrait d'éclairer un peu cette histoire. Faute de mieux nous nous contenterons d'une possible interprétation erronée de la chanteuse...ou du collecteur.
Notons qu'au passage un de nos plus fidèles amis reprend du service...
écouter la chanson et lire la suite


Le rossignolet, ancêtre chantant du fax, de l'e-mail et du télégramme, est à nouveau sollicité pour le service du courrier. A partir de là, on rentre dans le sordide des négociations financières. La libération de l'être aimé est subordonnée au paiement d'une rançon. Parfois les beaux yeux d'une belle ou son « adresse » suffisent à obtenir la libération. Souvent l'autorité ne veut pas se laisser infléchir. Si Pernette avait eu des bagues à mettre au clou ou des biens de famille à engager elle aurait évité à son Pierre d'être « pendouillé ». Ici, l'attitude du père de la belle renforce l'idée que l'amant incarcéré n'était pas bien vu par la famille. Elle va devoir se débrouiller seule.
Ce n'est pas la seule chanson qui mentionne ce genre de tractations. La belle va finalement réunir cinquante pistoles et cinquante louis. Dans la chanson anglaise « Geordie » (1) qui se rapproche de la notre par cet épisode, la libération se négocie (selon les versions) jusqu'à cinq mille livres. Une belle somme pour l'époque (2) qu'il nous est difficile de comparer faute de cours du change. Au moins la raison de l'emprisonnement de Geordie est clairement indiquée : il avait tué un cerf sur les terres du roi ! Un motif qui en cachait certainement un autre plus politique.
Chers amis vos éclaircissements, vos suggestions seront les bienvenus pour nous aider à saisir toutes les subtilités de ce texte, qui reste malgré tout une histoire d'amour qui ne finit pas en tragédie.

Notes
1 – Geordie (ou Georgie) est une des grandes complaintes du folk anglais. Parmi toutes les versions enregistrées, écoutez celle interprétée par Martin Carthy (disque « Crown of horn » Topic 12TS300). Une petite merveille !
2 – oui, mais laquelle ? Selon les versions anglaises ou écossaises l'histoire se situerait du 15ème au 16ème siècle. Il reste à dater la nôtre.

J’ai bien eu du plaisir

J’ai bien eu du plaisir le temps de ma jeunesse
J’avais de sur ma table du pain aussi du vin
Le soir à la chandelle pour passer mon chagrin

Au loin m’en suis allé dans une hôtellerie
Dans une hôtellerie, auberge accoutumée
Les bourgeois de la ville m’ont rendu prisonnier

M’ont mis les fers aux pieds, pesant bien cinq cents livres
Le soir, quand j’y sommeille, je n’y fais que rêver
Le jour, quand j’m’y promène, je ne fais que pleurer

Rossignolet du bois, rossignolet sauvage
Va-t-en dire à ma belle que je suis t’en prison
Que je m’en vas t’en guerre servir le roi Suzon

La belle s’en est allée au château de son père
Disant : bonjour ma mère, mon papa où est-il
Donnez-moi du finance pour avoir mon ami

Le père y a répondu d’un air tout en colère
Belle, vendez vos bagues, vos bagues et vos diamants
Vous aurez du finance pour avoir votre amant

Elle en a bien vendu pour cinquante pistoles
Pour cinquante pistoles et pour cinquante louis
De bagues et de finance : elle a eu son ami.

interprète : Bruno Nourry
source / collecte : Abel Soreau, à Vallet, le 31 août 1904, auprès de Louise Denieul

catalogue P. Coirault : Celle qui achète la délivrance de son ami 00402

2 commentaires:

  1. toujours d'aussi jolies chansons! je me régale! et j'attends chaque semaine la nouvelle
    merci de nous les faire partager
    Marie-Annick

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  2. toujours aussi jolies les chansons, j'attends avec impatience chaque semaine pour découvrir la nouvelle! merci beaucoup de nous les faire partager
    Marie

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