vendredi 4 avril 2014

49 - Le Jardinier français

Voici une chanson qui va vous épargner des abonnements à Rustica et au Chasseur français. C’est un vrai traité du jardinage et du maraîchage qui a été recueilli par Armand Guéraud. Celui ci en indique pour auteur l'abbé François Gusteau (1699 -1761). Originaire de la région de Fontenay le Comte en sud Vendée, cet ecclésiastique a écrit divers ouvrages dont un recueil de noëls et de poésies patoises.
Ce qui confirme que ce texte est bien du milieu du 18ème siècle c’est que l’énumération des produits du jardin dans ces couplets ne fait mention que de variétés anciennes. Abondance de choux, de pois, de salades et porées (1) qui pour la plupart faisaient l’ordinaire de nos ancêtres. En revanche nulle trace des incorporations plus récentes de la gastronomie française : la tomate, l’ endive et surtout la pomme de terre.

L’histoire de la consommation des fruits et légumes est jalonnée d’interdits religieux et de suspicions pour les produits nouveaux. Au moyen âge ce sont, malgré cela, les potagers des monastères et des châteaux qui comptaient le plus de variétés nouvelles ou sortant de l’ordinaire. Les croisades, la découverte de nouveaux mondes, les échanges ....
Ecouter la chanson et lire la suite


...de la renaissance ont peu à peu enrichi la table des citadins avec le développement des maraîchers autour des villes. Épinards, artichauts, melons sont ainsi arrivés dans les jardins. Mais les habitants des campagnes ont longtemps conservé des habitudes alimentaires basées sur la consommation de toutes les sortes de choux et de fèves. La mogette, variété de haricot blanc, n’a jamais autant été consommée qu’en Vendée.
Les fruits cités dans la chanson sont connus chez nous depuis des temps reculés. En revanche il n’y est pas question des fraises dont les variétés cultivées actuellement sont apparues au début du 18ème. Les oranges, pourtant si présentes dans les chansons traditionnelles n’étaient cultivées que dans des orangeraies et donc réservées à une élite (voir chanson N° 43). Les abricots qui se sont répandus au 18ème étaient déjà connus depuis la renaissance.
Quand aux vedettes de nos tables elles sont arrivées plus récemment. La pomme de terre originaire d’Amérique du sud, comme la tomate, doit son succès aux guerres franco-allemandes. Parmentier, prisonnier en Westphalie en 1763, avait pu l’apprécier, mais eu bien du mal à l’imposer à une population qui la trouvait juste bonne à engraisser les cochons et face à une rumeur qui l’accusait de propager des maladies. La tomate, déjà connue autour de la méditerranée, se répandit dans les temps de la révolution grâce aux marseillais, montés à Paris. On leur doit aussi une autre chanson (2), mais qui ne trouvera pas sa place dans ce blog !
Enfin, pour la bonne bouche, ni l’endive apparue vers 1850, ni la carotte, dont la consommation sous sa forme actuelle a été relancée au 19ème, ne sont cultivées par notre chansonnier.
Cette chanson est sans doute à rapprocher d’une habitude qui consistait à faire chanter les apprentis cuisiniers pour leur faciliter la mémorisation de recettes. Vous en trouverez un bel exemple chanté par Roland Brou et Patrick Couton sur leur CD « complaintes et chansons » (3). Ce texte, qui donne la recette du godiveau de poisson, date de l'époque de Louis XV, justement celle où l'abbé Gusteau écrivait ses poèmes.
Bon appétit et à la semaine prochaine.

Notes
1 - porée = poireaux
2 – allons, enfants de la partie, vous voyez bien ce qu’on veut dire.
3 – Brou & Couton – complaintes et chansons – publié en 2005

Chanson sur le jardinage,
applicable au climat de l'ouest de la France,
sur l'air du
bon branle ou Prête tes lunettes Colin

Je suis le jardinier français
Et voici ma science
En janvier mes labours je fais
Vers le vingt, je commence
A semer poireaux et oignons
Laitue, échalotes, chicons
Et pois en jeune lune
Ce qui couvert de paillassons
Quelque fois fait fortune

En février, ce rude (de) mois
Je sème ail et poraée
Choux à pommes et primes pois
Et fèves hasardées
Je prépare mes espaliers
Je taille pommiers et poiriers
Et les pruniers de même
Les abricotiers et pêchers
Se taillent en carême

En la pleine lune de mars
Je sème d’ordinaire
Céleri, raiforts, épinards
Salsifis, scorsonaire
Bettes, pourpier, panais, chervis
Chicons, laitues, appétits
Le melon et concombre
Se sèment alors chez gens hardis
Et ce n’est point z’à l’ombre

Je sème, vers la fin d’avril
Chicorée et laitue
Pourpier, basilic et persil
Si ma graine est perdue
Par le froid du précédent mois
Je sème une seconde fois
Des melons et le reste
Des mogettes et de longs pois
Que trop de chaud moleste

En mai, je sème des raiforts
Dans toutes les semaines
Et n’épargne point les efforts
Pour arroser mes graines
Je sème, en la même saison
D’autres mogettes, des pois longs
Basilic, chicorée
Salades de toute façon
Qu’humecte la rosée

En juin, j’arrose tous les jours
Et je surgis la terre
L’eau ne fait rien sans ce secours
Elle nuit au contraire
Je plante aussi dedans ce mois
Mon céleri, je sème pois
Navets et chicorée
Et d’autres graines, quand je vois
Que la terre est mouillée

Juillet est ressemblant à juin
En ce mois, mêmes peines
Ainsi j’arrose mon jardin
Et recueille mes graines
Des oignons, je romps les montans
Et je replante les choux blancs
Je sème des choux pommes
Epinards, choux-fleurs et piment
Oignons et choux de Rome

En août, je m’applique à semer
Des choux de toute sorte
Afin d’en avoir à manger
Dans l’hiver, saison morte
Je sème aussi des épinards
Qui courent de fort grands hasards
Je sème aussi des cardes
Que je replante au mois de mars
Si la chaleur les garde

Je sème en septembre, temps frais
Choux à pomme en des caisses
Mes choux-fleurs m’occupent après
Je les lie et les presse
Je sème ce qu’on sème en août
Je foule aux pieds, de bout en bout
Les planches de racines
Pour donner aux cardons leur goût
La paille, je destine

En octobre, peu de travaux
Le flambeau de la terre
Ne rendant plus nos climats chauds
Il n’est plus rien à faire
Cependant, vers la Saint-Venant
On sème l’ail communément
Ainsi que des pois primes
Qu’on expose au soleil levant
Selon le bon régime

On sème des pois et de l’ail
Dans le mois de novembre
On ajoute au même travail
Des fèves en décembre
Et l’on sème entre les choux-fleurs
Racines de toutes couleurs
Les artichauts s‘affrouent
Pour bien conserver leur chaleur
Et les treillis se clouent.

source : chanson d'auteur de l’abbé François Gusteau (publiée par Armand Guéraud)
interprète: Hugo Aribart

non répertorié dans les catalogues Coirault et Laforte

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