vendredi 11 avril 2014

50 - C’est un jeune militaire

Qu'allait-il faire dans cette galère ?. Pour paraphraser Jean-Baptiste (1) c'est ce qu'on a envie de se demander au sujet du héros de la chanson. Qu'est ce qui pouvait bien pousser les jeunes gens de nos campagnes à s'engager, pour le regretter ensuite et déserter à la première occasion ?
Les chansons de déserteurs sont si nombreuses que cela mériterait une vraie étude. Celle de la semaine en cours a un dénouement heureux. On ne peut pas en dire autant de toutes. Dans la plupart, le message pour la belle se résume par « elle ne me reverra jamais, quelle fasse choix d'un autre amant ».
Dans l'abondance d'ouvrages consacrés à la chanson militaire, qui regorgent pourtant de chansons traditionnelles, le déserteur est passé sous silence. Comme c'est bizarre (2). Sans attendre Boris Vian, le déserteur a trouvé place dans de nombreuses chansons. Les raisons...
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... de s'engager, à une époque qui précédait la conscription obligatoire, sont diverses et variées : chagrin d'amour, envie de voir du pays, besoin de s'affirmer, besoin d'argent ou tout simplement manque de travail. En effet on aurait tort de croire que la « montée du chômage » est liée aux chocs pétroliers des années 70. Bien avant les avatars de la révolution industrielle et du dépeuplement des campagnes, la question de la subsistance s'est posée pour des générations de jeunes paysans. De ces familles systématiquement nombreuses seuls les aînés étaient généralement assurés de trouver un débouché localement. La tentation d'accepter des offres souvent mieux payées que de louer ses bras sur place était donc grande. Quand ce n'était pas tout simplement la réquisition du seigneur, du roi... ou de la république en danger.
Comme il est très difficile de dater cette chanson nous la prendrons donc au moment où le jeune soldat, victime du mal du pays, a pris la tangente dans l'espoir de trouver le réconfort dans les bras de sa blonde. Le point commun de ces chansons de désertion c'est l'arrestation par les gendarmes. Il est difficile d'échapper à la prison, et c'est là que les versions divergent. Tantôt cela finit mal, d'une manière définitive sur l'échafaud, ou par un retour au régiment. Tantôt, la blonde implore les gradés d'épargner son bien aimé. Parfois la ruse s'en mêle et le déserteur gracié par le fils du roi ne pense déjà qu'à la façon de recommencer.
Dans cette version, un peu idyllique, la grâce royale aboutit au mariage. Cette « happy end » (3) caractérise le type qu'on retrouve noté en pays nantais à la fois par Abel Soreau et par Armand Guéraud (4). Le déroulement est quasi identique si ce n'est que chez Guéraud le soldat originaire d'Angers est emprisonné à Rennes. On retrouve la même localisation dans la chanson, fragmentaire, collectée par Albert Poulain à St Jean la Poterie, dans le pays de Redon (5). Enfin, plus exotique, le régiment et la prison sont situés à Alger dans la version chantée par Roland Brou sur le CD « chansons à danser en presqu’île guérandaise » (6).
Chaque chanteur semble donc adapter le texte à son environnement. Collectée à Guémené (7) la chanson de la semaine se réfère à des éléments locaux. Le plus célèbre est situé à Nantes, sur la place du Bouffay, là ou se tenait la prison sous l'ancien régime. Il s'agit de la fameuse prison de Nantes dont un prisonnier s'évade en sautant dans la Loire. Elle disparut bien avant les comblements du fleuve, ce qui permet de dire sans trop se tromper que notre chanson de la semaine a de la bouteille (8).


Notes
1 – Poquelin
2 – Vous avez dit bizarre ! Une exception: les chansons du soldat, de Claudius Servettaz – centre alpin et rhodanien d'ethnologie – édité en 1997
3 – cherchez pas, c'est du breton.
4 – page 136 vol. 1 de chants populaires en Bretagne et Poitou d'A. Guéraud (FAMDT 1995)
5 – carnets de route d'Albert Poulain – publié par Dastum et les presses universitaires de Rennes en 2011
6 – disque enregistré par Dastum en 1999. Aujourd'hui épuisé et dont la réédition n'est pas envisagée, hélas, pour des raisons financières.
7 – Guémené-Penfao, en Loire-Atlantique et non pas la capitale de l'andouille, Guémené sur Scorff (56).
8 – Tout comme le rédacteur de ce blog, qui vous abreuve de notes et promettrait bien qu'il ne le fera plus. Mais on sait ce qu'il en est des serments d'ivrogne … !

C’est un jeune militaire

C’est un jeune militaire du bourg de Guémené (bis)
Qu’a voulu déserter, traridera derère
Qu’a voulu déserter sans avoir son congé

Mais l’pauvre gars sur la route trouve la maréchaussée (bis)
Soldat où est ton congé, traridera derère
Soldat où est ton congé qu’on lui a demandé

Le congé que je porte il est sous mes souliers (bis)
L’ont pris, l’ont garotté, traridera derère
L’ont pris, l’ont garotté, à Nantes l’ont emmené

Au bout de six semaines son procès fut réglé (bis)
Le pauvre infortuné, traridera derère
Le pauvre infortuné à mort fut condamné

Il fut jugé à pendre, pendre ou à rouer (bis)
Sur la place du Bouffay, traridera derère
Sur la place du Bouffay par un jour de marché

Mais voici qu’sur la place au milieu du marché (bis)
Par le roy envoyé, traridera derère
Par le roy envoyé apparaît un courrier

Soldat, quel est ton crime, demande le courrier (bis)
As-tu volé, pillé, traridera derère
As-tu volé, pillé, as-tu z’sassiné

Pour l’amour de ma mie qu’à Guém’né j’ai laissée (bis)
J’ai voulu déserter, traridera derère
J’ai voulu déserter sans avoir mon congé

Tiens, le roy te fait grâce et voici ton congé (bis)
Ta mie, à Guémené, traridera derère
Ta mie, à Guémené, va-t’en vite l’épouser.

source : Abel Soreau informateur : Sophie Lemarchand, de Guémené-Penfao – 27 septembre 1899
interprète : Bruno Nourry

référence du catalogue Coirault : 6805 les trois dragons déserteurs

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