vendredi 10 janvier 2014

38 - Quand l’p’tit bonhomme revient du champ

Par ce temps pluvio-venteux qui n'incite guère à l'enthousiasme, comment retrouver la bonne humeur ? Mais en chantant bien sur ! Ou alors en suivant le mauvais exemple du personnage principal de notre chanson de la semaine, qui a choisi de se remonter le moral en s'adonnant à la boisson. Si la version proposée se termine sur une soupe aux poireaux qui nous laisse un peu sur notre faim, l'origine de son état ne fait aucun doute. Quelques recherches dans le voisinage nous le confirmeront.
Cette chanson a été collectée à Nivillac par Hervé Dréan (1), qui la chante lui même ici. On vous entend déjà protester que Nivillac se trouve dans le département du Morbihan. Certes ; mais non seulement la chanson se moque des frontières administratives, et encore celles ci correspondent elles vraiment aux réalités du terrain. Quand il a fallu découper les départements, sous la révolution, les limites choisies ont fait l'objet d'arbitrages compliqués. C'est ainsi que cinq communes situées au sud de l'estuaire de la Vilaine se sont retrouvées en Morbihan. Nivillac est l'une d'elles. Ces communes sont généralement désignées sous le nom de « pays mitao ».
Peu importe donc de quelle préfecture dépendait le chanteur enregistré. L'intérêt de cette chanson c'est qu'elle fait partie d'une grande famille. Les cousines se retrouvent dans les ouvrages de...
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...dans les ouvrages de collecteurs comme Guéraud, Bujeaud, Dolbeau (2) pour ne citer que les plus proches. Si le bonhomme s'appelle parfois Jean ou Martin, la femme au foyer est toujours dans le même état, traduit par toutes les subtilités des parlers locaux : accorquilloneuille en gallo des bords de la Vilaine, ébouriffinée dans le marais de Challans, égueurnuchaïe du côté de Sainte Hermine...pour en finir toujours de la même manière. Quelle que soit la soupe proposée, poireaux, choux, raves, ail... c'est la soupe au vin qu'elle préfère. Tout aussi intéressantes sont les similitudes entre les mélodies de ces chansons, sur des rythmes fort différents.
Mais le cousinage ne s'arrête pas là. C'est avec un des tubes de la chanson occitane qu'il faut chercher la parenté. « Quand le bouvier vient du labour », dans ses versions les plus récentes, raconte à peu près la même histoire, à la différence près que loin d'être ragaillardie par la soupe au vin, la femme va décéder et demande à être enterrée quelquefois « au fond de la mare », le plus souvent « au fond de la cave ». En Périgord, Rouergue, Aveyron, etc, quan lou bouié ven de laurar
il trouve sa femme touto descourlado, desconsolada ou encousoulaplo quand ce n'est pas la robe dégraffée ou déchirée.
Cette chanson du bouvier a une mélodie toute différente de la notre. D'après les érudits occitans, son origine remonterait à l'épisode sanglant des Cathares. Mais c'est une toute autre histoire. Il n'y était pas question de libations. Buvons (3) chers amis et chantons. Une façon comme une autre de rappeler à nos amis nantais que la première session de chants organisée par Dastum 44 aura lieu mardi 21 janvier à Nantes. Reportez vous au calendrier dans la rubrique activités. A bientôt.

Notes
1 – publié dans le volume 3 d' « instants de mémoire » - chants et musiques recueillis autour de la Roche Bernard par Hervé Dréan – éd. Musique sauvage (www.musique-sauvage.org)
2 - Guéraud - tome 2 p. 357 – chants populaires en Bretagne et Poitou – éd. Modal FAMDT
Bujeaud – tome 2 p. 300 – chants et chansons populaires des provinces de l'ouest
Dolbeau p. 368 répertoire musical recueilli en marais breton vendéen - L'Harmattan
3 – avec modération, cela va de soi.

Quand l’p’tit bonhomme revient du champ (bis)
Au soir de sa journée, au bois
Au soir de sa journée

Trouva sa femme dans son foyer (bis)
Toute accorquilloneuille, au bois
Toute accorquilloneuille

Lui a d’mandé : femme, qu’as-tu (bis)
As-tu mal à la tête, au bois
As-tu mal à la tête

Veux-tu manger d’la soupe de choux (bis)
Ou bien à la poreuille, au bois
Ou bien à la poreuille

Je m’en fous bien d’ta soupe de choux (bis)
Et comme ton bout d’poreuille, au bois
Et comme ton bout d’poreuille


source : Robert Blouet, à Nivillac (56), en mars 1978 (collectage : Hervé Dréan)
interprète : Hervé Dréan + réponses
catalogues: Coirault 11018 - le mari qui trouve sa femme ivre - Laforte 1F10

1 commentaire:

  1. Le fait qu'une collecte faite à Nivillac soit intégrée à celles de Loire-Atlantique ne me choque pas du tout et pour cause : au moment où on a constitué les départements, il a eu de nombreuses lettres de protestation des communes de La Roche-Bernard, Nivillac et Saint-Dolay qui voulaient appartenir à la Loire-Inférieure plutôt qu'au Morbihan. Les arguments étaient plutôt commerciaux à l'époque (les affaires se traitent à Nantes plutôt qu'à Vannes... etc.). L'histoire a bien mis un siècle à se tasser puisqu'on avait encore de temps à autre des pétitions jusque dans la seconde moitié du 19e siècle.
    Ce qu'il a d'amusant c'est que maintenant, lorsque dans mes enquêtes je demande si telle ou telle commune est Mitaod, on se réfère... au découpage départemental ! Si je demande par exemple à quelqu'un de Férel si Missillac était Mitaod, cela donne : "Ah non ! c'est en Loire-Atlantique"...

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