dimanche 14 septembre 2025

486 - Ce n'est pas la caille que j'entends chanter

 Non, ce n'est pas la caille le personnage principal de cette histoire d'oiseaux. C'est une nouvelle fois le rossignol, celui qui chante en latin ou en français pour donner des conseils aux amoureux. Le programme des réjouissances qu'il annonce est bien chargé ; un vrai parcours du combattant où on découvre qu'il ne suffit pas de séduire sa belle, mais encore de circonvenir toute la parenté pour espérer un mariage heureux. Sympa le rossignol ! Mais, entretemps, la caille a eu la bonne idée de se mettre en avant pour faire parler d'elle. Ce que nous faisons bien volontiers

pour écouter la chanson et lire la suite : 

Un peu vexée de s'être laissée distancer par le rossignol, l'alouette ou les canards... la caille nous incite à faire une mise au point. La chanson traditionnelle est son domaine. Elle n'en veut pour preuve que certaines chansons que nous avons déjà publiées. Dans la première, elle se moque de ceux qui s'attaquent à son nid (Enfant petit – n° 5 en mai 2013). Elle nous rappelle au passage que plumer la caille fait moins référence à la gastronomie qu'à la conquête d'une jeune fille par un garçon entreprenant. Paradoxalement c'est l'effet inverse que la caille dénonce le plus souvent. Soit le galant est intimidé par les pleurs de la belle, soit il s'endort trop vite à coté d'elle ; ce qui nous vaut la formule consacrée : « quand tu tenais la caille au nid il fallait la plumer » (cf. Mariez me donc, chanson n° 347 en juillet 2020). Elle ne brille pas que par les allusions grivoises. Elle prouve qu'elle peut être aussi savante que le rossignol ou autres. Voyez la chanson des Dames de Paris (n° 294 de mai 2019) où elle nous dit dans son latin « que les hommes ne valent rien ».

Cette carrière dans la chanson est un peu une revanche pour un oiseau qui, comme sa consœur la perdrix, a plus ou moins disparu du paysage rural pour cause de cultures ou de chasse intensives. Du fameux trio « la caille, la tourterelle, la jolie perdrix » seule la deuxième s'en sort mieux, le plus souvent en se réfugiant en ville. Il reste à la caille de nous fournir des œufs trop petits pour avoir l'honneur d'une omelette et justes bons à agrémenter une salade ! « oh caille, pauvre caille ! » comme on le chante généralement sur un air de bourrée.

Quel triste sort pour une vedette de la chanson traditionnelle. Mais, nous direz vous, l'essentiel de notre chanson du jour ne réside pas dans les exploits d'un volatile qui a la mauvaise idée de nicher dans les blés. Comme le rossignol commence à s'impatienter, revenons donc à ses conseils pour courtiser les filles. De nos jours ces précautions sont devenues superflues. Les amoureux ne s'embarrassent plus de ce genre de préliminaires. Les chansons traditionnelles venant d'une époque plus lointaine, il faut se rappeler l'importance du consentement familial pour l'union de deux jeunes gens. Voilà pourquoi il faut aussi se mettre en bons termes avec le père, la mère, les frères et sœurs. Certaine chanson parle même d'une méchante tante qui s'oppose à un mariage. Les cadeaux qui peuvent nous sembler insignifiants représentaient, autrefois, une toute autre valeur  : liqueurs, café, tabac...On retrouve ce dernier ingrédient dans une chanson cajun de la Louisiane qui évoque le même thème (1)

J’ai fait l’amour chez ‘n onc’ Bob,

Ca m’a couté une livre de tabac.

Du coté de la Haute-Bretagne on trouve deux versions intéressantes de ces conseils aux amoureux. L'une, enregistrée sur le double CD du pays de Ploërmel (2), ne parle pas des parents mais exhorte à la patience ; l'autre, chantée par Léonie Brunel (2), finit plutôt mal pour le galant :

qu'allait trop voir les filles le soir après souper

et qui n'avait semble-t-il pas compris l'intérêt de se mettre la famille dans sa poche, finit chassé à coup de trique de la chambre de sa belle.

Notre chanson, collectée à Saillé en plein pays de marais salants, est bien entendu utilisée pour mener le rond paludier. Au même endroit en 1953 Fernand Gueriff en avait recueilli une version moins complète. Ce qui fait l'originalité des paroles livrées par Pierre Tartoué c'est le passage où on se rapproche de la chambre :

J’retir’rai pas ma robe Sans que vous n’veniez m'aider

Ce qui laisse supposer une fin plus heureuse, mais dont les conditions sont fort bien détaillées dans les couplets suivants. Sacré famille !

J-L. A.


notes

1 – enregistré, entre autres, par les frères Balfa sur plusieurs disques, ou à retrouver sur ce site

2 – chanteurs, sonneurs et conteurs du pays de Ploermel – la Bretagne des pays (Dastum 2016) chanson 1-25 et Léonie Brunel- grands interprètes de Bretagne n° 8 (Dastum / l'Epille 2018) chanson n°2. Les deux sont disponibles ici.


Interprètes : Aurélie Aoustin, réponses : Annick Mousset, Janick Péniguel, Frédérique Pipolo

source : Collecté par Joséphine Legal auprès de Pierre Tartoué de Saillé

Catalogue P. Coirault : Comment courtiser les filles (0108 - Lyriques)


Ce n'est pas la caille que j'entends chanter (bis)

C'est le rossignol falaridaine

Qui dans son chant disait falaridé


C'est le rossignol qui dans son chant disait

Vous n'aurez point les filles fa la ridaine

Sans les demander falaridé


Vous n'aurez pas les filles sans les demander

A leur père, à leur mère S'ils veulent les marier..


Et le soir quand y a bal faut aller les chercher...


Il faut les mener boire, pas les laisser payer...


Quand le bal est fini, Il faut les ramener...


A deux pas de leur porte...Il faut les embrasser...


Et retirer votre robe ...et aller vous coucher....


J’retir’rai pas ma robe Sans que vous n’veniez m'aider


Quand on d'mande à la mère faut aussi lui donner


Des p'tits verres de liqueur et des tasses de café


Quand on d'mande à la sœur faut aussi lui donner


Des jupons de dentelle et des mouchoirs brodés


Quand on demande au père faut aussi lui donner


Du tabac dans sa poche du vin dans son cellier


Quand on demande au frère faut aussi lui donner


De l'argent dans sa poche des filles à caresser

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire