lundi 29 septembre 2025

487 – J'aime la farine

 Ce sont les filles de Saillé qui ont juré...de faire parler d'elles encore une fois dans une chanson. Tenaces les demoiselles ! Passé l'incipit de cet air à danser, elles cèdent la place à un autre élément incontournable du folklore : le blé. Le village des filles et la céréale ont au moins un point commun : petits par la taille mais de grande renommée. Voilà donc présentés les deux protagonistes d'une fable qui reste quelque peu énigmatique. Y-a-t-il un message caché dans ces quelques vers ? Vous pourrez y réfléchir en dansant le rond paludier.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Comme nous le signalions dans un précédent commentaire (1), le village de Saillé, en la commune de Guérande, tient une place particulière dans la chanson traditionnelle. Deux chansons rien que pour ses filles, les saillotines, ont déjà été publiées sur ce site ; et une pour le moulin, inactif aujourd'hui mais qui nous ramène tout droit au sujet du jour. Ce village était aussi une paroisse indépendante dont le curé, François Thuard, a publié quatre recueil de ses chansons. Certaines ont désormais été folklorisées et figurent en bonne place dans les collectes.

Mais laissons là toutes ces filles et intéressons nous au sujet principal : le blé. En voilà un qui est omniprésent dans la tradition, sans avoir besoin de se mettre en avant. Combien de chansons où il est question de moissonneurs, de semailles, de gerbe, de meunier(e)s, de boulanger(e)s, d'aventures au moulin, de navires de blé ? (2). Il se glisse même dans des chansons revendicatrices (3). S'il prend tant de place c'est qu'il est, dans la société préindustrielle et même jusqu'à une période plus récente, la base de l'alimentation du peuple. Quand on parle de gagner son pain cela inclut, bien sur, d'autres aliments. De même quand on parle de blé cela ne désigne pas uniquement le froment comme on le comprend de nos jours. « Nos ancêtres entendaient par là toutes les céréales panifiables - froment bien sur, mais aussi orge, avoine, épeautre, seigle (encore à la fin du 18è siècle, en France, la céréale la plus cultivée), méteil (un mélange souvent à égalité de froment et de seigle), sarrasin » (4). L'agronome du 17è siècle, Olivier de Serres en donnait pour définition : « ce mot de bled est pris généralement pour tous les grains jusqu'aux légumes bons à manger ». Ce qui inclut dans des régions défavorisées le sarrasin ou la châtaigne, base de toute une économie rurale. Bref, ce grain de blé est un personnage qui est parfois affublé d'un nom, comme John Barleycorn (Jean grain d'orge) dans le folklore anglo-saxon.

Dans notre chanson, ses aventures se déroulent selon la forme habituelle des textes à transformations qui détaillent tout le processus, de la récolte jusqu'à la consommation ; avec, ici, des conséquences peu ordinaires. Pour retrouver un autre exemple de cette forme, écoutez la chanson n° 442 de juin 2023 « Beau vin d'é où sors-tu ? ». Le refrain qui nous sert aussi de titre n'est pas des plus courants. Dans une autre version il est dit : « j'ai de la farine ». Est-ce un écho à la fameuse rengaine « dansons la capucine ; y'a pas de pain chez nous, y'en achez la voisine... » ?

Si les filles ont reçu en héritage trois grains de blé ce n'est peut être pas un hasard. Cela correspondrait en fait au devenir des récoltes à une époque où les rendements n'étaient pas ceux d'aujourd'hui. Un grain, symbole d'une partie de la récolte, sert à faire le pain ; le second, qui a germé, sert aux semences ; le troisième, hélas, subit les aléas du temps : la pourriture et plus généralement toutes les pertes occasionnées par les rongeurs par exemple. Même si les proportions ne sont pas exactes, cette explication des trois grains est plausible. Si vous en avez une autre n'hésitez pas à le faire savoir.

De la mouture au moulin jusqu'au four du boulanger, on suit la logique de la transformation. Là où ça se corse c'est que tout finit par aller de travers. D'abord gâté, puis brulé, au dernier couplet il entraine la mort ds'une consommatrice. A notre connaissance aucune autre de ces chansons n'aboutit à une fin aussi tragique. Tout au plus, dans les transformations liées à la boisson (vin, bière ou cidre) le produit fini termine son existence (et la chanson) en étant « pissé contre un mur ». Quelle est la raison de ce dénouement malheureux ? Nous n'avons pas d'explication. D'autant plus que cette chanson ne semble connue que sur un secteur restreint, ce qui empêche toute comparaison. Outre la présente version, la base dastumedia vous en propose une autre, enregistrée en 1974 par Francine Lancelot chez Marie-Louise Tatevin, à Mesquer. Il n'y est plus question des filles de Saillé mais de celles de la Chapelle. Pour le reste peu de différences si ce n'est le final où « une jeune fille s'est étranglée ». L'histoire s'arrête là ; on ne sait pas si le SAMU est intervenu à temps.

Alors, nous direz vous, toutes ces explications pour en arriver là ? Oui,certes, mais si vous avez mieux à proposer n'hésitez pas ; laissez nous votre commentaire.

J-L. A.


notes

1 – chanson n° 484 d'aout 2025 : c'est sur la route de Saillé

2 – pour ne citer que les moulins : 52 la cuisinière du moulin à vent 0414 – 265 la meunière du moulin 0918 – 400 autour du moulin à vent 0122 – 451 Satan dans le moulin à vent 1123, et bien sur, 232 - le moulin de Saillé 01 2018

3 – le scandale du blé – chanson n° 128 novembre 2015

4 – explications tirées de : L'identité de la France, de Fernand Braudel, t. 3, p. 117


Interprètes : Roland Guillou , réponses : Nicolas Largy, Hervé Crusson, Yannick Elain

Source : Collecté par Joséphine Legal auprès de Pierre Tartoué de Saillé – date inconnue.



C'sont les filles de Saillé qui ont juré (bis)

Elles ont eu en héritage trois grains de blé laridondé

J'aime la farine dondaine, j'aime la farine dondé (2 fois)


Elles ont eu en héritage trois grains de blé


Y en a un qui a pourri, l'autre a germé


L'autre on l'envoie au moulin pour mouturer....


Le meunier qui l'a moulu l'a mélangé...


La meunière qui l'a sassé, l'a tout gâté...


Le boulanger qui l'a cuit , l'a tout brûlé...


La bonne femme qui l'a mangé en a queurvé…


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