Dans ces temps difficiles, à tous points de vue, une chanson guillerette ou tout simplement optimiste serait la bienvenue. Une chanson d'amour qui finirait bien par exemple. Hélas, il faudra encore patienter pour retrouver le sourire. Notre proposition de la semaine finit dans les larmes et à aucun moment ne semble vouloir envisager une fin heureuse. Ce n'est même pas le voyage à la Martinique qui pourrait nous faire croire que la misère serait moins dure au soleil. Alors sortez vos mouchoirs et voyons la suite.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Parmi la quantité de chansons où un garçon vient faire ses adieux à sa belle, rares sont les situations où celle-ci parvient à le convaincre de l'accompagner. Quel que soit le motif de la séparation, la règle c'est que la jeune fille va attendre, telle Pénélope, le retour de son amant en lui promettant fidélité et en lui conseillant la prudence. Départs pour le régiment, pour la guerre, pour le tour de France...ces activités purement masculines ne supportent pas la présence d'une compagne. Il en est quelques unes qui se déguisent en soldat pour retrouver leur fiancé, ou s'engagent comme cantinière. Mais quand il s'agit d'embarquer à bord d'un navire au long cours, la fille est condamnée à attendre que le vaisseau revienne à bon port, où à se faire ursuline si l'amant ne revient pas.
Nous sommes donc ici dans une situation exceptionnelle. Qu'est ce qui a bien pu motiver le départ conjoint des deux amants ? La chanson ne parle pas d'un engagement dans la navale. Ce qui serait rédhibitoire, comme le souligne un vers bien connu d'un chant de marins :
A bord de ces trois mats carrés
On n'embarque pas de poulies coupées
Le départ dont il est question ici ressemble plus à un exil définitif ; une émigration vers les Antilles pour s'y installer à demeure, ce qui fut le cas de nombre de jeunes français partis exploiter des terres nouvelles, bien avant que les négriers ne trouvent plus simple d'y importer de force une main d'oeuvre africaine. Dans les propos du jeune homme il n'est en effet nullement question d'un retour. Angélique est donc prête à affronter les dangers de la navigation plutôt que de rester chez elle à mourir de chagrin.
Autre hypothèse confortée par la suite des événements : la santé de la belle ne lui laisse pas d'illusions sur son avenir. Quitte à mourir jeune elle préfère tenter l'aventure en suivant son amant. En tous cas, il faut une bonne raison pour que les deux partent ensemble.
Dans les trois versions entendues sur notre territoire, c'est le garçon qui se jette aux pieds de sa belle pour se faire pardonner son abandon. Ailleurs on trouve la situation inverse. Ainsi, dans une version recueillie en Nivernais par Achille Millien (1) c'est la fille qui implore son amant :
Je viens à vos pieds mon beau capitaine,
Je viens à vos pieds c'est pour m'engager
Il est toutefois difficile d'en tirer des conclusions car cette chanson n'a pas été recueillie à beaucoup d'exemplaires et majoritairement dans l'ouest (Bretagne, Normandie, Vendée).
La simple exclamation Oh la voilà
partie, la belle Angélique ne
laisse rien augurer de bon et la fin de la chanson a tout pour
contenter les amateurs de mélo. Mais c'est une si belle
chanson !
Promis, pour la rigolade on se rattrapera une autre
fois.
J.L. A.
notes :
1 – Chansons populaires du Nivernais et du Morvan – Achille Millien, Georges Delarue – Centre Alpin et Rodhanien d'ethnologie (1998) – tome 3, page 30
interprète : Janick Péniguel,
source : Lucie Dupin, de Bouaye (44) collectée par Raphaël Garcia, en décembre 1995 – texte complété par des emprunts aux collectes réalisées chez Mme Boureau à Oudon et Mme Poisson à St-Père en Retz
catalogue P. Coirault : Angélique à la Martinique (03213 – le départ du matelot)
Je viens à tes pieds ma charmante belle
Je viens à tes pieds c’est pour te dire bonsoir
Car demain je pars pour la Martinique
Chère amie, je suis en grand désespoir
Oh amant, tu t’en vas, que tu me fais de peine
Oh amant, tu t’en vas et tu me laisses là
Emmène-moi donc dans ton joli navire
Tu me tireras d'un grand embarras
Les flots mugissants, vous en serez contraires
Et vous feriez bien mieux d’rester dans vos cantons
Non cela ne se peut, ma charmante belle
Non cela ne se peut, naviguer tous deux.
Et si dans mes cantons, il faut que j’y reste
Ah, j’aurai bientôt terminé mes jours
Allons donc tous deux pour en finir du reste
Laisseriez-vous mourir une fille dans le chagrin
Oh la voilà partie, la belle Angélique
La voilà partie avec son beau marin
Tout en arrivant dedans la Martinique
La belle Angélique termina sa fin
Oh elle dit en mourant : oh brave capitaine
Faites mes adieux à tous mes parents
Et si jamais en France, dieu vous y ramène
Et je vous en prie, ne dites pas à maman
De sur ce navire on fit une chapelle
Où la belle Angélique, elle fut embaumée
Du soir au matin, son amant fidèle
Prie le tout puissant pour sa bien aimée
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire