L'école est finie. Même si, tout au long de l'année, c'est le meilleur moment de la journée, il n'en reste pas moins la possibilité de se consoler avec des devoirs de vacances. Ouvrons donc nos cahiers, surtout s'il s'agit de cahiers de chansons. Chères têtes blondes qui vous êtes farcies l'apprentissage, par cœur, des fables de monsieur Jean de la Fontaine, voici le moment venu de rendre justice à notre ami le corbeau injustement abusé par un renard trop gourmand.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
La tradition orale que nous mettons en valeur sur ce site a souvent recours à l'écrit pour parvenir jusqu'à nous. Cette constatation joue dans les deux sens. Dans un premier temps, des textes d'auteurs qui auraient très bien pu rester anonymes ont bénéficié d'une diffusion par l'interprétation orale et populaire. Dans un second temps, ces même textes ont été sauvés d'un oubli probable par le truchement de l'écrit individuel, celui des répertoires patiemment copiés sur les cahiers de jeunes gens amateurs de chansons. Nous en avons à nouveau la preuve avec cette fable à rebours.
Dans le cahier de chanson de Mme Durand, retrouvé par sa fille et confié à Dastum 44, la chanson est intitulée « la mort du renard ». Elle suit ainsi la logique de la morale fabuliste puisque c'est encore un trait de caractère qui est brocardé. Dans la fable du sieur Jean c'est la vanité du corbeau qui lui joue des tours puisque « tout flatteur vit aux dépends de celui qui l'écoute ». Dans ce second épisode c'est le péché de gourmandise qui vaut au goupil un sort funeste. On est bien dans la même veine.
Cependant, les auteurs de cette chanson l'avaient titrée : « le corbeau vengé », insistant plus sur le conflit entre les deux personnages que sur la morale de l'histoire. Cette chanson n'est donc pas, à proprement parler, une œuvre folklorique. On en connaît les auteurs : L-B. Quinzard et Antonin Dunan, qui ont choisi de publier ces quelques vers sur un air bien connu. La publication date de 1850 et a été reprise dans les « Chansons nationales et populaires de la France, accompagnées de notes historiques et littéraires » par Dumersan et Noël Ségur (1). Comme il était souvent d'usage à l'époque, un certain Louis Soumis en a également publié un arrangement pour piano (2).
Pourtant, c'est bien par la tradition orale que cette chansonnette est parvenue jusqu'à nous. Elle traîne peut-être encore dans d'autres cahiers de chansons dont nous n'avons pas connaissance. Mais les moteurs de recherche sur la grande toile nous ont permis d'en découvrir d'autres occurrences, et ce dans des lieux bien éloignés de nous. La première dans une collecte de chansons enfantines réalisée en Wallonie (3) dans les années cinquante. La seconde recueillie en la province de Saskatchevan (4) ; eh oui, ce n'est pas la porte à coté ; il y a un océan entre les deux !
Si les deux auteurs n'ont guère laissé de traces dans l'histoire de la chanson, le choix du timbre a sans doute assuré la popularité de leur œuvre. Plus connu comme l'air de « la mère Michel », il a aussi servi de support à une parodie de la fable du corbeau et du renard que Dumersan a publié concomitamment, avec la mention « paroles d'un anonyme ». Pas facile de mettre en musique du La Fontaine. Le dit anonyme a donc laissé libre cours à son imagination et pris des libertés avec l'original. Le volatile laissant échapper son fromage se plaint de passer pour un serin. Laissant le fabuliste à sa morale, il ajoute au final :
Or donc, de ces couplets la moral'
la voici
Corbeaux petits et grands, retenez
bien ceci :
C'est qu'il est maladroit, a dit un vieux gourmand,
Quand on aim'le fromag' de parler en
mangeant
Notre chanson a donc des allures de second épisode. Le retour de la vengeance du corbeau – saison 2, en quelque sorte.
Nous avons choisi de vous donner le texte tel qu'il figure dans le cahier de chants en indiquant les quelques différences avec le texte originel. Bonne lecture et bonnes vacances.
J-L. A.
notes
1 – Les chansons nationales et populaires de la France accompagnées de notes historiques et littéraires par Dumersan et Noël Ségur, tome deuxième, page 64 ;
2 – précision apportée par Dumersan : La musique se trouve chez M. Paté, éditeur, 11, passage du Grand-Cerf, à Paris.
3 – enregistrement de Roger Pinon en 1954 chez Mme Felixia Wart-Blondiau (Source: Musée de la Vie wallonne)
4 - chantée par Soeur Marie-Madeleine Tournier du couvent des Filles de la Providence à St-Louis (source :société historique de la Saskatchevan)
interprète : Nicole Barbaud, avec Liliane Berthe, Christine Dufourmantelle et Jeannette Lebastard
source : cahier de chansons de Thérèse Durand, de Boussay (44)
timbre : sur l'air du tra la la – clé du caveau n° 2071
La mort du renard (titre du cahier) ou, Le corbeau vengé (titre originel)
Vous qui connaissez tous la fable du Corbeau,
Je viens à ce sujet vous conter du nouveau :
Hier, en traversant la forêt de Sénard,
Je fus témoin, hélas! de la mort du renard.
Sur l’air du tra la la la (bis.)
Sur l’air du tra déri déra Tra la la.
Son papa, sa maman, ses frères, son cousin,
Étaient à ses genoux dans un profond chagrin (1)
Lorsque le médecin, vieux renard de bon ton,
Déclara qu il était mort d’une indigestion !…
Sur l’air, etc.
Le père, honteux, confus, disait: O mes enfants!
Nous allons tous passer pour de fameux gourmands!
Partout on nous dira : Messieurs, ce n’est pas beau,
D’avoir mangé le fromage de ce pauvre corbeau (2)
Sur l’air, etc.
Quand la famille entière eut fini de pleurer.
Vite on se disposa pour aller l’enterrer.
Tous les renards en deuil, au nombre de cent dix,
Défilaient oubliant qu'ils étaient des bandits (3)
Sur l’air, etc.
Tout autour d'un grand trou la foule se rangea (4)
Quand le maire de l’endroit tout en larmes parla.
Je n’sais pas c’qu’il a dit, mais un fait bien certain,
C’est que tous ils avaient le mouchoir à la main.
Sur l’air, etc.
Lorsque maître Corbeau, sur un arbre perché,
S’écrie : le voilà mort, je n’en suis pas fâché !…
Il m’a pris mon fromage et me l’a tout mangé
Le destin l'a puni ; Dieu, vous m’avez vengé!..
Sur l’air, etc.
MORALITÉ.
La moral’ de ceci, c’est que le bien d’autrui,
Lorsqu’il est mal acquis, au lieu d’ profiter, nuit;
Et que si le renard n’eût pas été fripon,
Il ne serait pas mort d’une indigestion…
Sur l’air du tra la la la (bis.)
Sur l’air du tra déri déra
Tra la la…
texte originel :
(1) Étaient à ses genoux dans un cruel chagrin ;
(2) D’avoir pris le fromage de ce pauvre corbeau.
(3) Défilaient deux a deux, chantant De profundis…
(4) Sur la tombe arrivée, la foule s’inclina,
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