mercredi 26 juin 2024

468 - Sur la table d’un boulanger

Dans cette période où même le temps fait grise mine, voici encore une chanson qui fait allusion à la guerre. Ce n'est évidemment pas son sujet principal puisqu'il y est avant tout question de l'amour et de ses péripéties. De plus, certains indices permettent de penser que ce texte n'est pas vraiment récent, voire même d'inspiration fort ancienne. Certains des termes employés ont pu changer de sens ou d'utilisation de nos jours. Le ton et les arguments de la chanson n'étant pas non plus de ceux qu'on utilise aujourd'hui.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Toutes ces précautions oratoires ne sont là que pour attirer votre attention sur le caractère ancien de ce texte. Ce qui ne l'a sans doute pas empêché de trouver un écho chez des interprètes contemporains. L'amour contrarié par des questions de différences sociales ou de départ à la guerre est un thème qui n'a pas d'âge et transcende les générations.

Encore une fois la chanson traditionnelle nous présente une situation où les relations amoureuses sont entravées par la situation sociale. Même s'il n'est pas question du grand écart entre un savetier et un financier, par exemple, on sent bien que l'aisance ou la réputation de certaines professions joue en défaveur de certains rapprochements. Nous l'avons déjà vu avec les petits couturiers ou avec les cordonniers. Dans cette version la chanson oppose boulangers et forgerons ; dans d'autres (1) ce sont les cabaretiers et les vignerons. Il paraîtrait d'ailleurs plus logique que la chanson ait été composée « à la table d'un cabaret » ce qui renforcerait son caractère de chanson à boire.

Le boulanger n'est sans doute pas le plus riche des bourgeois de la ville. Mais sa réputation durant tout l'ancien régime, est entachée par la succession de disettes où la profession est couramment accusée d'accaparer les grains quand ce n'est pas d'affamer les pauvres gens. Pas facile dans ces circonstances d'être en première ligne. A l'opposé la jeune fille a des parents forgerons dont elle nous dit qu'ils ne sont pas bien riches. Dans une version recueillie par Achille Millien c'est la fille d'un vigneron de la plus basse condition.

L’amour se fiche des écus ! comme l'a si bien chanté Gaston Couté (2). Il y aurait bien une solution que la chanson nivernaise de Millien évoque :

Que Dieu bénisse les vignerons

d'avoir de si jolies filles

Nous la renfermerons dans un couvent

De peur de la laisser voir aux amants

Dans une version collectée à Teillé, par Pierre Guillard, Mme Dupin chante :

Oh oui je vous aime autant de fois

Comme j'ai aimé la fille du roi

Ce qui justifie la réponse de la jeune fille dans l'avant dernier couplet.

Et comme si cela ne suffisait pas, voici que se profile le spectre du départ à la guerre. Malgré les serments du garçon, sa bonne amie sait bien que cette perspective peut signifier un éloignement définitif. Ce ne sont pas les chansons traditionnelles qui manquent pour la conforter dans cette idée.

Cette idylle finira-t-elle bien ? Notre chanson ne se prononce pas là-dessus. Les autres versions que nous avons pu consulter non plus. C'est donc que le propos se limite aux difficultés exprimées, avec une finale qui pourrait en faire une chanson du répertoire de compagnonnage. L'évocation des « francs-maçons » paraît plus faire écho aux méthodes d'apprentissage de certaines professions qu'à la franc-maçonnerie telle qu'elle est perçue de nos jours. Née dans les métiers (maçonnerie) à haute technicité des bâtisseurs de cathédrales et autres monuments, la transmission de certains savoirs professionnels était assurée par des maîtres regroupés en sociétés. Les chansons de compagnonnage évoquent souvent des amours contrariées par le départ du garçon, cette fois pour faire son tour de France.

Votre perspicacité vous aura fait noter que le collectage de cette chanson dépasse les limites administratives de notre circonscription. Sans vouloir justifier quoi que ce soit, retenez d'abord que les chansons populaires se fichent complètement des limites administratives ; et ensuite que la commune de Pénestin, située au sud de l'estuaire de la Vilaine, faisait autrefois partie de l’évêché de Nantes, jusqu'à ce que les tripatouillages et échanges entre circonscriptions ne la placent dans le Morbihan au moment où ont été fixées ces fameuses limites. Et toc !

J-L. A.


notes

1 - ces autres versions sont celles des recueils de Tiersot, Millien, D'Indy...mais aussi de collectes plus locales.

2 – l'amour anarchiste – très beau texte de Couté, qui pourtant, là aussi, finit mal.


interprète : Liliane Berthe

source : collectage d' Hervé Dréan, Kloë Chatal, Jean-Louis Le Fur, Yannick Robert, à Pénestin (Morbihan), date non précisée

catalogue P. Coirault : La jolie fille du vigneron (Dissensions I - N° 02523)



Là, sur la table d’un boulanger

Ayant sa mie à son côté (bis)

En lui disant belle Nanon

Si tu voudrais nous marierons


Du mariage faut pas parler

Car à la guerre faudra y’aller (bis)

Non (z’) à la guerre, j’y n’irai pas

Ton petit cœur m’empêchera


Ton petit cœur et tes beaux yeux

M’ont rendu le cœur amoureux (bis)

Ton petit cœur, tes doux regards

M’ont fait coucher le soir bien tard


Je n’y suis pas la fille d’un roi

Ni la fille d’un riche bourgeois (bis)

Je suis la fille d’un forgeron

Dans la plus haute garnison


Les forgerons n’sont pas bien riches

Mais ils ont tous les moyens d’vivre (bis)

Les forgerons, les francs-maçons

Ce sont tous des meilleurs garçons.


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