Faudrait pas que ça devienne une habitude, mais pour une fois ce blog va suivre l'actualité. Profitons des commémorations et du 80ème anniversaire du débarquement en Normandie pour glisser dans notre répertoire une composition plus récente que nos habituelles chansons sur les guerres. Quittons les retours de croisades et autres sagas napoléoniennes pour faire place à une histoire bien plus proche qui a laissé des traces aussi dans la chanson
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Les soldats qui hantent les chansons traditionnelles sont tantôt ceux des armées féodales ou de celles des rois. Ils sont aussi ceux levés en masse pour défendre la jeune république révolutionnaire. Ils sont encore ceux qui ont suivi aveuglément l'empereur à travers l'Europe, en perpétuant le souvenir jusque dans les élucubrations de son neveu, monsieur Badinguet. De la défaite de 1870 à la grande guerre, ce sont les élans patriotiques et revanchards qui encombrent les cahiers de chansons que nous ont laissé les pioupious s'ennuyant ferme dans leurs casernes. Puis le mode de diffusion des chansons ayant considérablement évolué avec l'arrivée des enregistrements sur disques, la tradition a quelque peu laissé tomber le sujet. Il aura donc fallu le traumatisme de 1940 et les années d'occupation pour que la période de la libération nous donne à nouveau quelques sujets. Car, si cette chanson brocarde facilement le führer et son armée de vert de gris, ce n'est pas une chanson de résistance. Elle ne date pas des années sombres mais bien du moment où le danger a disparu. C'est une chanson de la libération.
Il peut vous sembler étrange de trouver ce texte parmi les habituelles chansons d'amour ou d'aventures issues de la tradition orale que nous publions d'ordinaire. Toute personne s'intéressant un peu au collectage des chansons traditionnelles sait que la notion de chanson populaire est très extensive chez les « informateurs ». Le répertoire de la plupart des chanteuses et chanteurs collecté(e)s comporte aussi bien des complaintes très anciennes que des rengaines d'un passé plus proche. Cette proximité correspond également au vécu des personnes enregistrées. Rien d'étonnant donc à ce que ce répertoire inclue des complaintes criminelles du vingtième siècle et, comme c'est le cas ici, des textes se référant à une actualité marquante. Le point commun entre ces deux formes est l'utilisation de timbres, c'est à dire d'airs connus. Ils peuvent s'adapter sinistrement au contenu, mais utilisent parfois des airs à la mode et guillerets pour des sujets qui le sont beaucoup moins.
Cette chanson, probablement composée à Rennes (c'est là qu'elle a été imprimée) a été diffusée sur feuille volante. Elle utilise l'air d'une rengaine en vogue au début des années quarante dans un style qui se moque gentiment du « populo ». L'original est disponible en vidéo sur le net. Vous pourrez vous faire votre opinion. Quoi qu'il en soit, ce style paraît bien s'adapter aux circonstances. Au lieu de se moquer des paysannes normandes, on se moque de la déroute de ceux qui voulaient et croyaient dominer le monde. C'est d'autant plus facile quand on est sur de ne plus avoir à subir les exactions des fameux vert de gris, symbole de l'uniforme porté par les envahisseurs. N'oublions pas cependant qu'avant la guerre, Georgius avait utilisé le thème de la folie d'Hitler avec son tube : Il travaille du pinceau (1). N'oublions pas non plus les chansons de Pierre Dac et autres, diffusées par la radio de Londres qui ont pu être une source d'inspiration.
Parmi ce vocabulaire guerrier et revanchard, une pointe d'ironie permet de dédramatiser l'horreur de la guerre. Il est vrai que c'est plus facile quand c'est l'ennemi qui utilise l'excuse du front élastique ; un terme couramment utilisé pour masquer une retraite précipitée. Le militaire parle alors de replis sur des positions préparées à l'avance. En dépit de cette langue de bois et toutes les censures cela ne trompe personne. Malgré l'absence d'informations libres, les allemands interrogés à la fin de la guerre ne s'étaient fait aucune illusion. Le Reich ne cessait (selon lui) de remporter d'éclatantes victoires. Cependant, elles se situaient de plus en plus près de chez eux !
Pierre Dac, toujours lui, avait d'ailleurs composé une chanson intitulée « la défense élastique » (2). Un petit chef d’œuvre qui a fort bien pu inspirer le refrain de notre chanson.
J-L. A.
notes
1 - Il travaille du pinceau (Ackerman/ Georgius - 1939) https://www.youtube.com/watch?v=UH7ewvy4UQ8
2 - La défense élastique (Dac/Trémolo – 1944) https://www.youtube.com/watch?v=SCSALI7KF4c
Interpréte : Jean-Louis Auneau
Source : archives Dastum 44, fonds Dastum 44 (4212.a-0036) – paroles de « Beuché »
Timbre : J’y vas-t-y, j’y vas-t-y pas ? (musique d’A. Willemetz et Pearly, 1942)
1. Casqué, botté et fort de son armure
Avançant d’un cœur léger
Un jour j’ai vu l’étranger
Cueillir la France comme une pomme mûre
Livrée pieds et poings liés
J’ai vu l’Allemand piller
Il avait vaincu sans gloire
Se grisant de sa victoire
On dit d’l’autre côté d’la Manche
Qu’il n’avait qu’la première manche.
Refrain
Qui donc a voulu la guerre ? c’est Hitler !
Il pensait bouffer la France toute entière
Pour avoir un si bel appétit
Adolphe, tu es vraiment trop p’tit
Tu as cru nous avoir eus et battus
Mais c’est toi qui est fourbu et vaincu.
Derrière ton fameux front élastique
Tous tes vieux généraux, hélas ! tiquent.
Te voilà dans le pétrin
Anglais, Américains
Maintenant vont te casser les reins.
2. De la Russie, violant les plaines immenses
Il veut entrer à Moscou
Mais Staline lui dit : casse-cou !
Il crie, il jure, implore la Providence
Mais ses troupes rétrogradent
Au lieu de prendre Stalingrad
D’Odessa jusqu’aux Carpates
Tous les Boches se carapatent
Fritz écrit à Dorothée
On prend la déculottée !
3. J’ai vu, perdu, battu à plate couture,
Le chancelier chanceler
Y’a qu’ça qu’il n’a pas volé
Tous les nazis sont en déconfiture
Hitler perd tous ses alliés
Il en devient fou à lier.
Musso, Goëring et consorts
Posent leur chique et font le mort.
Au monde, pour payer leur dette,
faudra leur couper la tête.
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