Un requin dans le refrain d'une danse qui n'a rien d'un chant de marin, ce n'est crédible que si la chanson a été entendue au bord de la mer. Ce qui est évidemment le cas ici avec une des mélodies adaptées aux fameuses « bretonnes de Pornic ». Mise à part cette particularité halieutique, le scénario de la chanson met en scène un loup, qui n'a rien d'un loup de mer, et l'utilisation fantaisiste des restes d'une de ses victimes. Un thème largement répandu, mais dans une version très locale.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
La présence d'un requin dans le refrain n'est attestée que dans la version recueillie à Pornic. Rien d'étonnant pour un texte adopté et adapté dans le contexte d'un port de pêche. Car, avant d'être un port de plaisance, c'est la flottille de pêche qui occupait les quais du port. A l'époque où cette version à été notée, l'idée de faire du bateau pour le plaisir ou d'occuper ses loisirs à se grâler au soleil aurait suffit à vous faire passer pour un esprit dérangé, ou un « original ».
La version la plus proches au niveau de l'assonance est celle notée dans le Berry (Argenton sur Creuse) par Barbillat et Touraine (1) :
la portinquin, portinquaine, la portinquin,
tu m'entendras faire le quien
Les auteurs précisent que le quien, ou le quin, c'est le chien.
Même dans les nombreuses versions recueillies dans le Pays de Retz et les contrées limitrophes, cette chanson est affublée de refrains complètement différents :
Et youp, gens de Lignières vous ne m'entendez guère (Le Pellerin, Guérande, Legé, Chateaubriant)
semble le plus courant. On trouve aussi des :
Jean des bricornes (ou jeune vrionne) de la montagne...tralala (Sainte Pazanne, Herbignac)
Qui ne sont que quelques exemples parmi une foultitude d'interprétations différentes, parmi lesquelles le lot habituel de gai falaridondaine, falaridondé et l'entêtant troupiau, troupiau... !
Abel Soreau, qui en avait récolté un nombre important de Loire-Atlantique mais aussi de Mayenne et Vendée, avait retrouvé trace d'un Jean de Luignières qui le 7 juin 1443 sauva la ville de Beauvais d'une invasion anglaise (2). Comment ce personnage serait-il parvenu à s'immiscer dans une chanson qui n'a rien à voir avec le sujet, cela reste à déterminer.
Hormis notre secteur de prédilection, l'aventure du petit pastouriau est tellement répandue dans le folklore que nous renonçons a vous faire profiter du catalogue des refrains qui l'accompagnent. La plus riche moisson de versions de ce texte est réalisée dans l'ouest, Bretagne et Poitou. C'est d'ailleurs dans cette région qu'en a été recueillie la plus ancienne. Selon Armand Guéraud (3), elle est extraite de « Gente poitevinerie » édité en 1660. Et avec un refrain tout empreint d'une verve poétique aujourd'hui disparue :
Trou du cul
Prequé me clajolle, jolle
Trou du cul
Prequé me flajolle tu
Si le refrain suscite bien des interrogations, le texte lui même est relativement clair. Ce qui ne l'empêche pas de donner lieu à bien des variations. L'économie rurale autarcique est habituée à valoriser tous les morceaux d'une bête jusqu'aux os et à la peau. Ici, le bout de la queue va orner le chapeau ; ailleurs la peau entière fera un manteau. Mais le plus intéressant c'est l'utilisation musicale des os « pour faire un chalumeau », confirmant le statut d'air à danser du petit pastouriau. Le plus souvent la fête est prévue pour mardi-gras ou pour le dimanche des rameaux. C'est donc une chanson de saison que nous publions, même si ce n'était pas notre intention.
Les réjouissances donnent parfois lieu a plus de détails, comme dans la version collectée par Hervé Dréan chez M. Sébillot, à Herbignac :
Les
filles sautaient si haut
Qu'on voyait leur jarretiau,
Mais les gars 'taient curieux,
Voulaient voir bien plus haw
Nous ne reviendrons pas sur ces danses sauvées de l'oubli sous l'appellation « bretonnes de Pornic ». Reportez vous à une précédente publication (La Oie, n° 454 – déc. 2023) pour plus de détails. Il reste encore quelques zones d'ombre dans ce texte. Malgré les suppositions, le personnage cité, s'il se prénomme toujours Jean, est affublé de patronymes différents d'une version à l'autre : Jean de Rigneau, de Rio, de Lignières, de Lignolles, de Brenne, des bruyères, et de bien d'autres lieux. Sachant que le refrain s'adresse aussi parfois aux gens de Lignères, des bruyères, etc Si à l'origine ce refrain avait un sens il s'est perdu depuis longtemps. Vous voyez donc que la présence de notre requin n'a rien d'étrange dans un tel contexte.
J-L A.
notes
1 – Barbillat et Touraine, chansons populaires dans le Bas-Berry, tome 1 page 99 (1930 – plusieurs fois réédité)
2 – Abel Soreau – Vieilles chansons du pays nantais – 2 volumes, 490 chansons, ouvrage à paraître en septembre 2024 et à commander dès maintenant en pré-achat.
3 - chants populaires du comté nantais et du bas Poitou, Armand Guéraud, t.1, p. 276 (FAMDT, 1999) – titre de l'ouvrage original : Rolea divisi in beacot de peces ou l'Universeou poetevina – illustration : Google books
interprètes : Jean Auffray et Josiane Brétéché
source : 80 chansons du Pays de Retz, cahier du violoneux Poiraud, recopié par Michel Gauthier. - adptation selon les usages locaux
catalogue P. Coirault : 4602 – l'apprenti pastouriau
catalogue C. Laforte : I, J-12 – l'apprenti pastouriau
Quand j'étais chez mon père
Apprenti pastouriau
J'allais garder les vaches
Les moutons et les viaux
Mon Jean de Rigneau
Ah tu ne m'auras pas rinquinquin
Ah tu ne m'auras pas de requin
J'allais garder les vaches
Les moutons et les viaux
Je les menais dans le pré
Dans l'pré au bord de l'eau
Le loup vint à passer
Il a mangé le plus beau
Il a laissé qu' la tête
La peau et puis les os
Et un p'tit bout d'la queue
Pour mettre à mon chapiau
Pour aller à la messe
Le dimanche des Ramiaux
Quand j'étais chez mon père
Apprenti pastouriau
autre version, extraite du cahier du violoneux Poiraud (Pornic, vers 1860)
Quand j'étais chez mon père
Garçon p'tit paturiau
On m'envoyait aux landes
Garder mon troupiau
Mon Jean de Rigneau
Tu ne m'entenderas rinquinquin
Tu ne m'entenderas pas de requin
On m'envoyait aux landes
Garder mon troupiau
Le loup il est venu
Qu'a mangé le plus beau
Va mange grand loup mange
Mais laisse moi la piau
Et les os de l'échine
Pour faire un chalumiau
Pour faire danser les filles
A tche (que) printemps nouviau
Et sonner sur la lande
En gardant mon troupiau
et pour finir, la version la plus ancienne :
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