mercredi 3 avril 2024

462 - Mon Jean de Rigneau

Un requin dans le refrain d'une danse qui n'a rien d'un chant de marin, ce n'est crédible que si la chanson a été entendue au bord de la mer. Ce qui est évidemment le cas ici avec une des mélodies adaptées aux fameuses « bretonnes de Pornic ». Mise à part cette particularité halieutique, le scénario de la chanson met en scène un loup, qui n'a rien d'un loup de mer, et l'utilisation fantaisiste des restes d'une de ses victimes. Un thème largement répandu, mais dans une version très locale.

Pour écouter la chanson et lire la suite : 

La présence d'un requin dans le refrain n'est attestée que dans la version recueillie à Pornic. Rien d'étonnant pour un texte adopté et adapté dans le contexte d'un port de pêche. Car, avant d'être un port de plaisance, c'est la flottille de pêche qui occupait les quais du port. A l'époque où cette version à été notée, l'idée de faire du bateau pour le plaisir ou d'occuper ses loisirs à se grâler au soleil aurait suffit à vous faire passer pour un esprit dérangé, ou un « original ».

La version la plus proches au niveau de l'assonance est celle notée dans le Berry (Argenton sur Creuse) par Barbillat et Touraine (1) :

la portinquin, portinquaine, la portinquin,

tu m'entendras faire le quien

Les auteurs précisent que le quien, ou le quin, c'est le chien.

Même dans les nombreuses versions recueillies dans le Pays de Retz et les contrées limitrophes, cette chanson est affublée de refrains complètement différents :

Et youp, gens de Lignières vous ne m'entendez guère (Le Pellerin, Guérande, Legé, Chateaubriant)

semble le plus courant. On trouve aussi des :

Jean des bricornes (ou jeune vrionne) de la montagne...tralala (Sainte Pazanne, Herbignac)

Qui ne sont que quelques exemples parmi une foultitude d'interprétations différentes, parmi lesquelles le lot habituel de gai falaridondaine, falaridondé et l'entêtant troupiau, troupiau... !

Abel Soreau, qui en avait récolté un nombre important de Loire-Atlantique mais aussi de Mayenne et Vendée, avait retrouvé trace d'un Jean de Luignières qui le 7 juin 1443 sauva la ville de Beauvais d'une invasion anglaise (2). Comment ce personnage serait-il parvenu à s'immiscer dans une chanson qui n'a rien à voir avec le sujet, cela reste à déterminer.

Hormis notre secteur de prédilection, l'aventure du petit pastouriau est tellement répandue dans le folklore que nous renonçons a vous faire profiter du catalogue des refrains qui l'accompagnent. La plus riche moisson de versions de ce texte est réalisée dans l'ouest, Bretagne et Poitou. C'est d'ailleurs dans cette région qu'en a été recueillie la plus ancienne. Selon Armand Guéraud (3), elle est extraite de « Gente poitevinerie » édité en 1660. Et avec un refrain tout empreint d'une verve poétique aujourd'hui disparue :

Trou du cul

Prequé me clajolle, jolle

Trou du cul

Prequé me flajolle tu

Si le refrain suscite bien des interrogations, le texte lui même est relativement clair. Ce qui ne l'empêche pas de donner lieu à bien des variations. L'économie rurale autarcique est habituée à valoriser tous les morceaux d'une bête jusqu'aux os et à la peau. Ici, le bout de la queue va orner le chapeau ; ailleurs la peau entière fera un manteau. Mais le plus intéressant c'est l'utilisation musicale des os « pour faire un chalumeau », confirmant le statut d'air à danser du petit pastouriau. Le plus souvent la fête est prévue pour mardi-gras ou pour le dimanche des rameaux. C'est donc une chanson de saison que nous publions, même si ce n'était pas notre intention.

Les réjouissances donnent parfois lieu a plus de détails, comme dans la version collectée par Hervé Dréan chez M. Sébillot, à Herbignac :

Les filles sautaient si haut
Qu'on voyait leur jarretiau,

Mais les gars 'taient curieux,

Voulaient voir bien plus haw

Nous ne reviendrons pas sur ces danses sauvées de l'oubli sous l'appellation « bretonnes de Pornic ». Reportez vous à une précédente publication (La Oie, n° 454 – déc. 2023) pour plus de détails. Il reste encore quelques zones d'ombre dans ce texte. Malgré les suppositions, le personnage cité, s'il se prénomme toujours Jean, est affublé de patronymes différents d'une version à l'autre : Jean de Rigneau, de Rio, de Lignières, de Lignolles, de Brenne, des bruyères, et de bien d'autres lieux. Sachant que le refrain s'adresse aussi parfois aux gens de Lignères, des bruyères, etc Si à l'origine ce refrain avait un sens il s'est perdu depuis longtemps. Vous voyez donc que la présence de notre requin n'a rien d'étrange dans un tel contexte.

J-L A.


notes

1 – Barbillat et Touraine, chansons populaires dans le Bas-Berry, tome 1 page 99 (1930 – plusieurs fois réédité)

2 – Abel Soreau – Vieilles chansons du pays nantais – 2 volumes, 490 chansons, ouvrage à paraître en septembre 2024 et à commander dès maintenant en pré-achat.

3 - chants populaires du comté nantais et du bas Poitou, Armand Guéraud, t.1, p. 276 (FAMDT, 1999) – titre de l'ouvrage original : Rolea divisi in beacot de peces ou l'Universeou poetevina – illustration : Google books


interprètes : Jean Auffray et Josiane Brétéché

source : 80 chansons du Pays de Retz, cahier du violoneux Poiraud, recopié par Michel Gauthier. - adptation selon les usages locaux

catalogue P. Coirault : 4602 – l'apprenti pastouriau

catalogue C. Laforte : I, J-12 – l'apprenti pastouriau


Quand j'étais chez mon père

Apprenti pastouriau

J'allais garder les vaches

Les moutons et les viaux

Mon Jean de Rigneau

Ah tu ne m'auras pas rinquinquin

Ah tu ne m'auras pas de requin


J'allais garder les vaches

Les moutons et les viaux

Je les menais dans le pré

Dans l'pré au bord de l'eau


Le loup vint à passer

Il a mangé le plus beau


Il a laissé qu' la tête

La peau et puis les os


Et un p'tit bout d'la queue

Pour mettre à mon chapiau


Pour aller à la messe

Le dimanche des Ramiaux


Quand j'étais chez mon père

Apprenti pastouriau


autre version, extraite du cahier du violoneux Poiraud (Pornic, vers 1860)


Quand j'étais chez mon père

Garçon p'tit paturiau

On m'envoyait aux landes

Garder mon troupiau

Mon Jean de Rigneau

Tu ne m'entenderas rinquinquin

Tu ne m'entenderas pas de requin


On m'envoyait aux landes

Garder mon troupiau

Le loup il est venu

Qu'a mangé le plus beau


Va mange grand loup mange

Mais laisse moi la piau


Et les os de l'échine

Pour faire un chalumiau


Pour faire danser les filles

A tche (que) printemps nouviau


Et sonner sur la lande

En gardant mon troupiau


et pour finir, la version la plus ancienne :





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