Les années passent et le temps fait son œuvre inéluctable. Seules les chansons traditionnelles ne prennent pas une ride. Pour vous en convaincre, voici une nouvelle version d'un thème que nous avons déjà utilisé et qui mérite bien une autre écoute, tant il est répandu et diversifié dans nos répertoires. Parmi les sujets qui ont inspiré les interprètes, celui du plongeur noyé est l'un des plus présents dans les collectes. Avis aux âmes sensibles, celle ci finit mal : son héros a eu la chance de survivre à un naufrage, mais à la fin c'est la mer qui a le dernier mot.
Pour écouter la chanson et lire la suite:
Quelle qu'en soit l'origine (1) l'histoire du plongeur qui périt pour gagner l'amour d'une fille éplorée est un des thèmes les plus répandus dans la tradition. De lacs en rivières et autres fontaines profondes, la recherche symbolique des clefs d'or ou de la bague si chères à la jeune fille finit toujours de façon tragique. Avec une chanson qui prend naissance à bord d'une frégate, c'est la mer qui prend l'homme (même si l'homme a pris la mer). Mais franchement quelle déveine ! Sortir vivant d'une catastrophe maritime où un équipage entier est allé au fond, pour tenter à nouveau d'affronter les flots et y laisser sa peau. Oui, mais entre temps l'amour est passé par là. Ce qui nous confirme que les chansons d'amour finissent mal, en général.
Arriver à citer dans le même paragraphe Renaud et les Rita Mitsouko, pour une chanson trad, faut le faire. C'est pourtant bien la variété, pour ne pas dire la multiplicité des versions qui caractérise cette aventure aquatique. Au nombre de celles-ci il faudrait encore ajouter la plus répandue des chansons en langue bretonne faisant référence aux ponts de Nantes : « War bont an Naoned ». Mais revenons à nos moutons ou plutôt, à nos amoureux.
Dans cette version le garçon est un quartier-maître. Il a pris du galon par rapport à la précédente version publiée (1) où il n'était que gabier. Nous n'avons toujours pas plus d'informations sur ce navire, ici baptisé la Dénoé, mais qui s'appelle plus souvent la Danaé et plus rarement l'Adélaé. Un naufrage causant la perte de cinq cent matelots aurait laissé des traces dans les archives maritimes. S'agissant d'une chanson collectée près de l'estuaire de la Loire on ne peut s'empêcher de rapprocher cette hécatombe du tragique naufrage du Saint Philibert en 1931 avec ses huit de rescapés sur 450 passagers. Cet événement aurait-il influencé les paroles de notre version ? Sans vouloir chercher des références historiques c'est plutôt à l'imaginaire que puise la chanson. Son originalité est de mêler un récit maritime à un aventure qui se contente aussi bien d'eau douce que d'eau salée.
Certains détails de la chanson montrent bien le rôle de l'interprète dans la transmission et l'appropriation d'un texte. Par exemple la phrase « en arrivant à bord » dénote par rapport à l'ensemble du texte où, à cet endroit, on devrait trouver une rime interne féminine. On aurait sans doute pu dire « arrivant sur la plage », par exemple. Un autre élément qui figure rarement dans d'autres versions c'est la proposition de la fille de donner « ses amours à moitié ». Ce à quoi le garçon aurait pu répondre « je veux votre cœur tout entier ». Hormis ces exceptions, la belle propose plus souvent son amitié, un sous entendu qui ne trompe personne ; et surtout pas le marin qui s'empresse de plonger à la recherche des clefs d'or. Là aussi la symbolique laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Dans plusieurs autres versions, la jeune fille pleure...son avantage. Bien évidemment, le garçon aura beau plonger il n'y aura rien à faire,
Car jamais avantage / perdu n'est retrouvé ! (2)
La principale originalité de notre chanson est son refrain, assez peu courant pour accompagner cette histoire. On trouve majoritairement des refrains du type
Larguez les ris dans les basses voiles, ou
A prendre un ris dans la grand voile
sans oublier celui associé à des versions du sud de la Loire comme celle précédemment publiée dans ce blog (1)
Mettez le pied là, tra la, la, la, la / mettez là le pied
La frégate et son marin noyé sont très présents dans les collectes réalisées en Loire-Atlantique, ainsi que sur les côtes de Vendée et jusqu'en Normandie. De nombreux enregistrements sur disque en ont été réalisés dès les années 40 / 50 et au delà, par des gens comme Les compagnons du large, Marcel Nobla, les Quatre barbus, Marcelle Bordas ou Marc Ogeret, avant que les publications du Chasse-Marée (entre autres) ne lui redonnent un coup de jeune. La version de Mme Lucie Rastel, collectée par Raphael Garcia et chantée par lui-même figurait sur le CD « Chansons à danser en Presqu'ile guérandaise » (Dastum – Tradition vivante de Bretagne n° 11 – 1999). Ce disque n'étant plus disponible notre nouvel enregistrement vous donne une nouvelle chance d'apprendre cette chanson.
J-L. A.
notes
1 – voir à ce sujet quelques explications à propos d'une autre version du plongeur noyé : Dans la prée à mon père, chanson n° 11 de ce blog (juin 2013) ainsi qu'une autre version : C'était une frégate, chanson n° 20 de septembre 2013, pour l'histoire de la Danaé.
2 – finale de la version publiée par le commandant Armand Hayet (chansons de bord....Paris - 1927)
interprètes : Jeannette Lebastard (solo) + Josiane Brétéché et Liliane Berthe (réponses)
Source : Lucie Rastel, de Saint-Lyphard (Loire-Atlantique) collectage de Raphaël Garcia (date inconnue)
catalogue P. Coirault : Le plongeur noyé (Eau - N° 01723)
catalogue C. Laforte : Le plongeur noyé (I, B–12)
Y’a une frégate en mer, nommée la Dénoë (bis)
S’en va de côte en côte sans jamais rien trouver
Serais-je donc toujours malheureuse en amour
S’en va de côte en côte sans jamais rien trouver (bis)
Elle trouva une pierre, la frégate a coulé
Serais-je donc toujours…
… Cinq cents hommes d’équipage, tous les cinq cents noyés…
… Il n’y’a que le quartier-maître qui sait fort bien nager…
… En arrivant à bord, trouva fille à pleurer…
… Lui a demandé : « belle, qu’avez-vous à pleurer…
… J’ai beau pleuré, dit-elle, et beau m’y chagriner …
… Les clés d’or de ma mère dans la mer sont tombées…
… Je donn’rais bien, dit-elle, qui irait me les chercher…
… Je donn’rais bien, dit-elle, mes amours à moitié…
… Le jeune homme se dépouille, dans la mer s’est jeté…
… Au premier coup de plonge, il n’a rien trouvé… [!]
… Au second coup de plonge, les clés d’or ont sonné…
… Au troisième coup de plonge, le jeune homme s’est noyé…
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