mercredi 24 janvier 2024

457 - C'est la douzaine que j'aimerai

 Dix, douze et plus si affinités ! Les chansons énumératives offrent plein de possibilités. Dans nos contrées (1) les chansons à la dizaine fournissent une bonne partie du répertoire à danser ou à marcher. Celles qui utilisent la douzaine, moins fréquentes, ont toutes un caractère particulier. Vous en trouverez d'autres exemples dans ce blog. Mais, au cas présent, c'est l'aspect « performance chantée » qui prédomine et pour une fois nous vous présentons une chanson où la forme l'emporte sur le fond.

pour écouter la chanson et lire la suite:

Les exemples enregistrés ou imprimés de cette chanson ne sont pas si nombreux. Patrice Coirault n'en recense que 5, essentiellement dans l'ouest de la France. Les autres viennent du Nivernais (Millien) et du pays niçois. Est-ce à dire qu'elle n'est pas très répandue ? Ou bien qu'elle n'a pas retenu l'attention des collecteurs ? La notre a été enregistrée dans le nord du département, à Ruffigné, par Patrick Bardoul. Vous pouvez en entendre la version originale sur dastumedia, l'informateur – pour utiliser le terme convenu – étant resté anonyme.

Il est vrai que le texte de la chanson ne peut prétendre figurer parmi les monuments de la poésie populaire ; tout comme la plupart des énumératives. Ce n'est donc probablement pas la raison de son manque de diffusion. Peut être la difficulté de mener au bout ces douze couplets a-t-elle refroidi les candidats interprètes !

En revanche, cette performance vocale présente un avantage certain, celui de la réversibilité. D'une version à l'autre, on passe indifféremment de :

On dit que j'ai un amoureux

à

Ma mère dit j'ai une bonne amie

Une chanson non genrée ! Voilà qui devrait plaire à ceux et celles qui ont des problèmes avec la tradition.

Attention de ne pas confondre cette chanson avec la « demi douzaine d'amants » (2) bien plus présente dans le répertoire. Au contraire de celle ci, elle détaille pour chaque amant les raisons du rejet ou du choix final qui se porte assez souvent sur un musicien ou un chanteur. Coirault et Laforte n'ont pas réussi à s'accorder sur le titre générique l'un préférant la douzaine (ou la demie) l'autre la dizaine.

On en revient donc à ce débat entre dix et douze qui nous entraîne dans des univers allant de l'imaginaire aux mathématiques. Le système décimal et ses commodités d'utilisation pour le calcul, l'emporte donc largement dans le répertoire traditionnel où le recensement des formulettes et autres chansons à décompter relève de la quête sans fin. L'utilisation de la « base douze » est encore fréquente dans l'utilisation quotidienne, pas seulement pour les œufs ou les huîtres. Dans les chansons, la douzaine s'attache à des textes bien particuliers qui ont souvent un rapport avec le calendrier ou la religion. Les deux références les plus évidentes dans ce domaine sont les douze apôtres et surtout les douze mois de l'année. Le calcul du temps, impératif lié à l'évolution des techniques, est intégralement en base douze : mois, heures, minutes, secondes. Cela se traduit d'un coté par des chansons comme « Il n'y a qu'un dieu », même quand la parodie s'empare du sujet (Il n'y a qu'un cheveu sur la tête à Mathieu, La foi de la loi). D'un autre coté on trouve toutes les chansons énumérant les mois. Par exemple, voyez (et écoutez) dans ce blog la chanson des mois (janvier près d'un bon feu n°230 et 251, en 2018 ) ou encore plus connue : la perdriole (chanson n° 339 en mai 2020).

Avec notre affaire d'amants ou de petites amies à la pelle on est assez loin de ces considérations qui allient la magie des chiffres avec celle de l'imaginaire. Comme nous le disions en introduction, la forme de la chanson « à accumulation » prend le pas sur le fond de l'affaire. On voit mal en effet comment un texte aussi succinct pourrait être une manière d'ironiser sur les nombreuses conquêtes d'un Don Juan de village ou d'une amoureuse insatiable.

Pour conclure sur ce type de chants nous laissons la parole au regretté Marc Robine avec sa présentation de ce thème, dans l'Anthologie de la chanson française (3) « Ces airs à accumulation font généralement passer de bons moments à tout le monde, car ils établissent un climat de complicité amusée entre celui ou celle qui les mène et ceux qui les écoutent. Il faut, en effet, bien prendre son élan et sa respiration, si l'on veut envoyer toute la récapitulation sans faiblir. Et chacun guette avec espièglerie, l'instant où le meneur s'emmêlera dans son énumération ou se retrouvera à court de souffle ». Nous n'aurions pas su dire mieux. Alors, à vous de jouer maintenant.

J-L A.


notes

1 – question de culture : l'ouest de la France privilégie les dizaines, majoritairement décroissantes. Plus au sud ce sont les chansons de neuf qui tiennent ce rôle.

2 – référence du catalogue de Patrice Coirault : la demi-douzaine d'amants (4922 – avant le mariage) - référence du catalogue Laforte : IV, Ha-04, la dizaine d'amants

3 - Marc Robine, Anthologie de la chanson française, page 599 (Albin Michel - 1994)


interprètes : Françoise Bourse et Agnès Pihuit

source : collectage de Patrick Bardoul à Ruffigné (44) en 1981 – informateur non identifié (voix masculine)

catalogue P. Coirault : la douzaine d'amants (10003 – nombres en croissant)

catalogue C. Laforte : IV, Bb-02, La douzaine que j'aime


Ma mère m'a dit j'ai une bonne amie (bis)

J'en ai une

J'en ai plus

J'en ai eu

J'en aurai

Celle que j'aime, que j'aime, que j'aime

C'est la douzaine que j'aimerai


Ma mère m'a dit j'ai deux bonnes amies (bis)

J'en ai deux

J'en ai une

J'en ai plus

J'en ai eu

J'en aurai

Celle que j'aime, que j'aime, que j'aime

C'est la douzaine que j'aimerai


Ma mère m'a dit j'ai trois bonnes amies (bis)

etc


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