mercredi 10 janvier 2024

456 - Pourquoi boirions nous de l'eau

 En pleine vague du dry january loin de nous l'idée de faire de la provocation. Mais vous aurez beau chercher des chansons vantant les mérites de l'eau de boisson vous risquez de rester à sec. Tout au plus, l'une d'elle fait dialoguer le vin et l'eau pour comparer leurs mérites respectifs (1). Seules quelques boissons chaudes, café, chocolat...arrivent à se faire une place dans le répertoire. Le simple fait d'associer les grenouilles à la dégustation suffit à nous faire préférer toute autre boisson.

pour écouter la chanson et lire la suite :

Cette chanson, recueillie par Abel Soreau auprès d'un chanteur de Bouguenais, aux environs de Nantes, figurait déjà sous cette forme dans les textes rassemblés par Armand Guéraud au temps de l'enquête Ampère – Fortoul, au milieu du 19è siècle. Rien d'étonnant à cela puisque Soreau, qui avait connaissance des manuscrits de Guéraud, a recherché certains de ses informateurs pour ses propres collectes.

Malgré son coté plaisant, elle n'a pas été souvent notée, ni dans notre région ni ailleurs. On en trouve un extrait dans le recueil d'Angélina Duplessix (2) qui n'a recopié que deux couplets, dans la même période que Soreau. Si cette chanson nous est aujourd'hui assez familière, on le doit surtout au groupe Mélusine qui l'a puisée dans les collectes Franc-comtoises de Garneret (3) et enregistrée sur le CD « Voix contrevoix » en 1998.

Comme bien des chansons de ce répertoire, celle ci semble être l’œuvre d'un lettré plutôt que d'une tradition populaire. En atteste la présence d'un vocabulaire recherché. Avant que vous ne vous précipitiez sur le dictionnaire, sachez que le terme « buveur d'eau » aurait ainsi été préféré à celui d' « hydropote » (4). L'origine de la chanson se trouve dans un vaudeville de Charles Pannard en 1763. Vous pouvez en consulter le texte sur Gallica. Le texte de Panard insiste plus sur les mérites du vin. Cet aspect bachique n’apparaît plus que dans le premier vers du dernier couplet dans la version populaire.

Cette création hors des milieux populaires explique sans doute pourquoi on en trouve si peu d'exemples dans les collectes. Cependant, ce thème a migré vers une autre tradition en se transformant en chant à la dizaine. Exit les couplets trop savants pour ne retenir que le refrain et sa référence aux batraciens. Vous pouvez en écouter un exemple sur notre CD « chants à la marche en Loire-Atlantique » :

Y'a plus que dix navires à Bordeaux

Boirons nous toujours de l'eau

Le vin qui bouille

Boirons nous toujours de l'eau comme les grenouilles ?

Une chanson collectée par Pierre Guillard auprès de Pierre Amossé, aux Touches.

La mauvaise foi est un trait caractéristique des chansons qui encouragent à boire des breuvages euphorisants. Celle ci n'échappe pas à la règle. Accuser les grenouilles de boire de l'eau alors qu'elle vivent dedans ou les poissons d'en être avides quand elle est indispensable à leur survie, c'est un peu fort. Les animaux aquatiques n'ont pas souvent le beau rôle dans les chansons anciennes. Nous en avons un bon exemple avec les aventures du petit gueurnouillon (chanson n°345, juin 2020). En revanche et de toute évidence, ce sont les onomatopées coassantes du refrain qui nous font retenir l'air, bien avant qu'on s'intéresse au texte.

Autre habitude des chansons à boire, les médecins en prennent pour leur grade. Le peu d'efficacité des médecines au 18è siècle rendait la critique plus facile. Les prôneurs de tisanes vont se faire chanter pouilles, expression désuète qui signifie, au mieux, se faire couvrir de reproches ou, au pire, se faire injurier.

La mélodie bouguenaisienne notée et harmonisée par Abel Soreau est à la fois proche et différente de celle que les productions discographiques nous ont habitué à entendre. Une raison supplémentaire pour s'intéresser à cette interprétation, à consommer et à chanter sans aucune modération.

J-L A


Notes

1 – L'eau et le vin, chanson n°256 de ce blog, en juillet 2018. L'eau n'y est pas vraiment à son avantage.

2 - Angélina Duplessix, chansons et contes de Haute-Bretagne - Dastum et Presses Universitaires de Rennes (2015) chanson n° 112, page 161

3 – Jean Garneret et Charles Culot, Chansons populaires comtoises – Folklore comtois (1972) tome 2, page 566 – cette version a aussi été reprise par le groupe « chanson plus bifluorée ».

4 – une autre raison de ne pas vous précipiter dans les pages du dico c'est qu'il s'agit d'un terme très ancien que vous ne trouverez pas dans les éditions récentes.


interprètes : Hervé Dréan et Daniel Rebière

Source :chanté par Théodore Bertho, à Bouguenais (44) le 26 Septembre 1897 – recueilli par Abel Soreau (chanson n°273 – cahier 28 - Bibliothèque Municipale de Nantes)

catalogue P. Coirault : Sommes nous des grenouilles (10811 – pour faire boire)



Refrain:

Pourquoi boirions-nous de l’eau ?

Sommes-nous donc des grenouilles ?

Pourquoi boirions-nous de l’eau ?

Sommes-nous donc des grenouilles ?

Oui, pourquoi, quoi, quoi, quoi, quoi,

Oui, pourquoi, quoi, quoi, quoi, quoi ?

Sommes-nous donc des grenouilles ?

Pourquoi boirions-nous de l’eau ?


1. L’eau n’est bonne, sur la terre,

Que pour les fleurs d’un parterre,

Les concombres, les melons,

Les oignons et les citrouilles !


2. Fuyons ce triste liquide,

Dont le poisson est avide.

J’ose le dire, c’est un fléau,

Qui n’est fait qu’pour les niqu’douilles.


3. Dieu des Mers, tout ton empire

N’a vers toi rien qui m’attire ;

J’aime mieux un noir caveau

Que le trône où tu patouilles.


4. Maudit prôneur de tisane,

Médecin, tu n’es qu’un âne !

Nous devrions tous, bourreau,

Tous ensemble te chanter pouilles !


5. Le bon vin nous ravigote,

Mais pour toi, pauvre hydropote,

Plus triste qu’un noir tombeau,

Dans tes ondes tu t’embrouilles.


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