Meuniers et meunières occupent le devant de la scène dans les chansons populaires. De toutes les professions c'est la plus représentée. Cela nous donne régulièrement des chansons un peu lestes où l'âne se fait dévorer par le loup pendant que le petit sac se remplit de grain, et autres métaphores. Mais quand le diable s'en mêle on peut craindre le pire. Son intervention est beaucoup moins fréquente dans les chansons que dans les contes, ou il est souvent ridiculisé. Aujourd'hui, il prend sa revanche...et du bon temps.
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La première version publiée de cette chanson apparaît dans le recueil de Jérôme Bujeaud (1) à la fin du 19è siècle. Elle porte le titre « le moulin de Saint-Jean de Monts ». Bujeaud résidait à Sainte-Hermine, en Vendée. Dès 1861, il avait communiqué des chansons à Armand Guéraud, l'imprimeur nantais qui participait à la collecte des poésies populaires de la France, connue sous l'appellation « enquête Ampère - Fortoul ». Guéraud avait retenu ce chant pour son propre recueil qui n'aboutit pas mais fut repris près de 140 ans plus tard (2).
Comment ce texte a-t-il été adopté (et adapté) par les habitants de Campbon ? Nous ne le savons pas, mais cette reprise a tout son sens dans une commune où l'histoire de la meunerie traditionnelle est toujours bien vivante. Sur les quelques 670 moulins à vent répertoriés en Loire-Atlantique, seuls huit sont encore en état de marche. Parmi eux, le moulin de la Bicane, à Campbon est un des rares à produire de la farine depuis sa remise en activité après quelques décennies d'arrêt.
La chanson de Campbon présente sept couplets soit deux de plus que la version de Bujeaud. Ce sont les deux derniers. Ils ne laissent que peu de doute sur les mœurs dissolues de la meunière, vendant son âme au diable.
Les aventures de diables au moulin sont bien plus présentes dans les contes et légendes que dans les chansons. Selon une tradition bien établie, le diable apporte son concours à la construction de l'édifice en échange de l'âme de son occupant. Comme de bien entendu le malin trouve plus malin que lui et le meunier invente un stratagème pour échapper à sa malédiction. C'est l'histoire qui se raconte, par exemple, pour un moulin situé non loin de là, à Guérande, et baptisé « moulin du diable ». Le meunier aurait subtilisé une pierre et remplacé par une statuette de la vierge, annulant ainsi les pouvoirs de Satan qui disparut dans un tourbillon de feu en proférant moult imprécations.
La situation est ici différente. L'objet de l'intervention satanique n'est pas tant le moulin que sa propriétaire elle même. La transaction n'a pas seulement porté sur son âme ; le « monsieur à belle mine » a aussi profité de l'hospitalité de « la jolie meunière ». Ce que la chanson ne nous dit pas c'est la raison qui a mis fin à cette aventure. Lequel ou laquelle des deux s'est lassé le premier ? Quoi qu'il en soit il est toujours dangereux de faire un pacte avec ce personnage. La meunière aurait peut être du s'inspirer des légendes et s'assurer d'un moyen de le duper.
En dehors des sources déjà citées cette chanson n'a pas eu une grande diffusion, si on excepte deux enregistrements par les groupes vendéens Yole et Tap dou païe. Cependant, dans les collectes de Gaston Dolbeau (3) figure une version traduite en langage maraîchin, provenant d'une source « non mentionnée ». Étant donné la proximité de ce thème avec l'univers des conteurs, on ne peut s'empêcher de penser à l'intervention de ceux-ci, Étienne Verroneau pour la version de Bois de Céné et Stéphane Glotin (4) pour celle de Campbon. Ce ne sont, bien sur, que des suppositions qu'aucun des deux ne pourra désormais confirmer.
Si vous souhaitez visiter un vrai moulin à vent produisant de la farine (de froment et de sarrasin issues de blés bio cultivés localement) encore aujourd'hui, nous vous conseillons vivement celui de la Bicane à Campbon (5). Rassurez-vous : la meunière actuelle n'a pas vendu son âme au diable.
J-L. A.
notes
1 – chants et chansons populaires des provinces de l'ouest, Jérôme Bujeaud, édité à Niort en 1895 – tome 2, page 165 : « le moulin de Saint-Jean de Monts ».
2 – chants populaires du Comté nantais et du Bas Poitou, édition critique de Joseph Le Floc'h, FAMDT éditions (1995) – chanson dans le tome 1, page 107.
3 - « Répertoire musical recueilli en marais breton-vendéen » par Gaston Dolbeau (L'Harmattan – 2009), page 316
4 – voir notre page à son sujet dans ce blog (février 2017)
5 - contacts : 06 01 02 54 65 - moulindelabicane@outlook.fr site :https://moulindelabicane.wixsite.com
Les photos sont extraites du site du moulin de la Bicane
interprète : Hugo Aribart (chant et guitare)
source : Répertoire de Pierre et Marie Orain, de Campbon (Loire-Atlantique) enregistré le 29 avril 2016 par Janig Juteau
Catalogue Patrice Coirault : Satan dans le moulin à vent (08123)
Catalogue Conrad Laforte : La meunière et Satan (II, B-53)
1. En revenant de Campbon, on passe par un village
On passe par un village où y’avait un moulin à vent
Qui faisait farine à tous vents
2. Et dans ce moulin y’avait une tant jolie meunière
Une tant jolie meunière qui appelait les passants :
Entrez dans mon moulin à vent
3. Puis un jour on vit passer un monsieur à belle mine
Un monsieur à belle mine qui dit s’appeler Satan
Entra dans le moulin à vent
4. Depuis ce jour le moulin, le moulin tournait sans cesse
Le moulin tournait sans cesse, la farine et le froment
Abondaient dans le moulin à vent
5. Puis un jour on vit r'passer le monsieur à belle mine
Le monsieur à belle mine et aussitôt un grand coup de vent
Emporta le moulin à vent
6. Depuis ce jour à Campbon, on disait que la meunière
Que la tant jolie meunière pour avoir de l’agrément
Avait vendu son âme à Satan
7. Dans la marmite de Satan partit la jolie meunière
Partit la jolie meunière qui appelait les passants
Il n’est plus le moulin à vent.
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