La place de la chanson dans le paysage urbain a considérablement évolué. L'apparition de moyens modernes de diffusion ne laisse guère de place à la musique vivante. Le paysage sonore ne laisse pas lui non plus de possibilités d'écoute. Le brouhaha causé par la circulation et les nombreux engins travaillant bruyamment sont une concurrence par trop déloyale. Les personnages qui sont mis à l'honneur par cette chanson n'auraient plus leur place, même dans les rues piétonnes ou souvent un fond sonore est diffusé, tant la société marchande semble avoir horreur du silence.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Joséphine Chérau (18 juillet 1798 – 9 mars 1875) et sa sœur cadette Magdelaine-Marie (13 février 1801 – 7 février 1880) étaient les filles de filles de Louis Chérau et Françoise Guérin, blanchisseurs, sur le cours St André, à Nantes. Il faut croire que les produits utilisés par les parents leur avaient un peu tourné la tête. Car leurs prestations mémorables et sortant de l'ordinaire leur ont au moins valu le qualificatif « d'originales », si ce n'est d'excentriques.
carte postale - collection dastum 44 |
D'après les commentaires d'époque, le nom d'Amadou leur vient du commerce tenu par leurs parents. Le père Chéreau aurait déjà gagné ce surnom en vendant ses produits dans les rues : « qui veut de l'amadou pour un sou, des pierrettes et des allumettes ». Les cris des rues ont eux aussi disparu des méthodes commerciales ; tout comme l'usage de l'amadou, détrôné par la fabrication industrielle des allumettes.
Au moment où ce commerce parental ferme ses portes les deux frangines ont déjà respectivement 45 et 40 ans. N'ayant appris aucun autre métier, elles auraient alors choisi d'utiliser leurs connaissances musicales pour assurer leur subsistance. Un pari risqué.
Les demoiselles Amadou font partie de toute une collection de figures nantaises, dont certaines ont été immortalisées par la carte postale. Le père Zim-zim, vielleux, et son comparse Gobe-la-Lune au début du 20è siècle; Réséda, chanteur de rues dans les années 30, sont les plus connus.
Quel pouvait être le répertoire de ces chanteuses de rues ? Des chansons à la mode, des airs patriotiques, des complaintes...dont certaines auraient pu trouver place dans notre blog. A vrai dire nous n'avons pas de témoignages précis sur ce répertoire. Alors que dans le même temps les anecdotes sur leur tenue vestimentaire, leur mode de vie et leur souci de rester demoiselles sont bien documentés, en particulier par ces couplets.
D'autres couplets, sur le même timbre, ont été publiés dans les « Annales de Nantes et de la Loire-Atlantique », revue de la société académique. Ils présentent une variation sur ce même thème.
Les deux sœurs répondaient au doux surnoms de Coquette (Magdelaine) et Papillon (Joséphine). Dans l'entre deux guerres, soit beaucoup plus près de nous, deux autres chanteuses de rues reprirent le flambeau du duo original, mais sans égaler leur réputation. En référence à leurs illustres ancêtres, les nantais les avaient affublées des sobriquets de « Topette » et « Carafon », ce qui donne une bonne idée de leur penchant pour la bouteille. Ces deux sœurs Du Pasquier, Marie Eugénie (1858-1917) et Émilienne Fernande (1863-1932). étaient d'origine bourgeoise.
Tous comme les chanteurs de complaintes, dont nous avons déjà évoqué la fonction, les chanteurs de rues ont progressivement disparu du paysage depuis le second conflit mondial. Il ne subsiste désormais que des occasionnels faisant la manche à la sortie du passage Pommeraye (1). Seuls quelques habitués sont de moins en moins présents alors que, par exemple, dans les années 60-70 un joueur de violon bidon faisait encore régulièrement grincer son instrument devant les « Dames de France ».
Qui pourrait imaginer de nos jours un duo improbable de jeunes filles affublées de chapeaux rigolos et de tenues démodées, chantant chaque jour au coin des rues pour faire la manche. Ce serait à coup sur pour voir débarquer deux représentants revêches de la maison Waldeck (2) leur intimant de circuler et cesser de troubler l'ordre public. Même l'attitude des passants à leur égard serait certainement moins amicale que celle des siècles passés.
Il ne reste aujourd'hui de cet improbable duo que le souvenir visuel passé à la postérité grâce aux cartes postales qui font le bonheur des collectionneurs. Ainsi, bien sur, que ces quelques couplets posthumes. Célébrons donc Coquette et Papillon.
J-L A.
notes (pour les non nantais) :
1 - Passage commercial couvert sur trois niveaux dont l'architecture fin 19è est un des endroits immanquables pour les touristes.
2 - le commissariat de police situé place Waldeck Rousseau est désigné par ce diminutif. Il subit un sort commun aux Rousseau. Si vous visitez Nantes, ne demandez jamais où se trouve la rue Rousseau. Ici on ne connaît que la « rue Jean-Jacques ».
interprètes : Janick Péniguel : chant – Dominique Garino : guitare – Jean-Louis Auneau : concertina
source : Fonds Abel Soreau – chanson n° 271 (bibliothèque municipale de Nantes)
A Nantes il y a dix ans, on pouvait rencontrer
Deux vieilles filles d'aspect comique
Parcourant de la ville les différents quartiers
En faisant une drôle de musique
Toutes deux avaient même extérieur
Ce qui prouve bien que c'étaient deux sœurs
Leur nom était connu partout
On les appelait les Amadou
Pourquoi ce nom d'Amadou, je vais vous l'expliquer
C'est qu'leur père travaillait cette substance
Sur une charrette qu'on lui voyait traîner
Ses filles lui prêtaient assistance
Entendez-vous le bonhomme crier :
Allons mesdames, l'amadou venez acheter
Qui veut de l'amadou pour un sou
On appela ses filles : Amadou
Mais pour leur âme altière, fi donc d'un tel métier
Avec ses recettes exiguës
Bien mieux vaut en artiste se poser
C'est ce qu'elles font chaque jour dans les rues
L'une d'elles joue d'une guitare
Qui n'a qu'une corde, ce qui est vraiment bizarre
L'autre fait entendre quelques glouglous
C'est la le concert des Amadou
Impossible de voir plus drôle accoutrement
Que celui de nos deux artistes
Vieilles robes fripées, soie fanée, vieux rubans
Ne sortant point de chez les modistes
Dentelles en loques, chapeaux jaune serin
Dont sans pitié se gausse le gamin
Voila la toilette de haut goût
Des demoiselles Amadou
Il est un autre objet qu'il ne faut pas oublier
Un riflard de noble élégance
Contre soleil et pluie s'il doit les protéger
C'est surtout l'arme de défense
Qu'un pal voyou l'prenne de trop haut
Pan ! Un bon coup asséné sur son dos
Le gars s'enfuit redoutant le courroux
De notre terrible Amadou
Faisons aussi mention de ce sac en taffetas
Que quelques uns nomment un « ridicule »
Que la sœur aînée portait toujours au bras
Des aliments c'était le véhicule
La dedans pêle mêle venait s'entasser
Tout ce que les gens voulaient bien leur laisser
Pain, viande, fromage, laitues et choux
Qui feront le dîner de nos Amadou
On entend souvent l’aînée dire à sa sœur
Baisse les yeux, un monsieur te regarde
Ça pourrait fort bien être un méchant séducteur
O cher ange que le ciel te garde
Suivant conseil de son aînée
La jeune prenait alors une mine guindée
Et c'est pourquoi c'est sans époux
que vécut la jeune des Amadou
Un affreux accident vint hélas bouleverser
Le calme et le bonheur de leurs vies
Un cocher maladroit se permit d'écraser
A moitié la pauvre Marie
Sur une charrette l'infortunée
Dut par sa sœur dès lors être voiturée
Mais les passants devinrent à ce coup
Pleins de pitié pour les Amadou
Elles sont mortes hélas, mais leur mémoire survit
Parmi les habitants de Nantes
Grâce à l'artiste habile qui en fit un croquis
Où toutes deux sont des plus ressemblantes
Non, non Coquette et Papillon
Jamais à Nantes on n'oubliera votre nom
Que de gloire déjà vont dans les dessous
On parle encore des Amadou
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