Les sujets de prédilection des chansons traditionnelles nous amènent à publier majoritairement des chansons d'amour. Les épisodes guerriers et les faits divers ne sont pas oubliés. Il est plus rare que la chanson populaire s'engage dans la politique, laissant ce domaine à des spécialistes. Mais, par périodes, quelques auteurs anonymes expriment les sujets de mécontentement. Nous avons déjà chanté mai 68 à Nantes (1). Remontons cette fois jusqu'en 1793. L'air vous est sans doute connu ; les paroles moins.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Tout avait plutôt bien commencé, sauf pour les tenants de l'ancien régime : réformes, abolition des privilèges, amélioration des conditions de vie. Mais Louis le seizième faisait sa mauvaise tête, au risque de la perdre. Les événements s’enchaînant la royauté fut déchue le 10 août 1792 (2). Une chanson composé pour railler la famille royale allait devenir un tube de la période révolutionnaire.
Vu la facilité de retenir l'air et d'y adapter des paroles, la Carmagnole devient un timbre fort répandu. Malgré l'interdiction de la chanson originelle sous l'Empire, la partition figure en bonne place dans la « clé du caveau » éditée par capelle en 1811 (air n°673). Chansons politiques, historiques, satiriques ou revendicatrices en tous genres utilisent ce timbre jusqu'à nos jours.
Dès les premières années de la période révolutionnaire, les chanteurs s'emparent donc de ce succès populaire pour l'adapter à leurs besoins ou à leur actualité. C'est le cas avec cette chanson qui relate les événements liés à la guerre de Vendée. L'an 1793 avec ses menaces aux frontières, entraînant la levée en masse de combattants, a été le déclencheur du soulèvement de provinces de l'ouest, dont la Vendée. La « carmagnole des brigands de la Vendée » célèbre l'échec des insurgés à prendre la ville de Nantes, bastion républicain, les 28 et 29 juin 1793. Ce texte a été recueilli soixante ans plus tard par Armand Guéraud. Dans le même temps, il notait aussi une « carmagnole des vendéens » qui prend le parti opposé :
La République a mal au cœur
II
lui faut un verre de liqueur.
Nous lui en donnerons
A grands
coups de canons.
A bas la République.
Vive le Roi! Vive le Roi! ...
Une chanson révolutionnaire détournée par les royalistes. C'est bien la preuve que ce timbre a dépassé le contexte idéologique pour devenir une musique de référence, apte à supporter toutes les opinions.
Quelle est l'origine de la Carmagnole ? Des avis très variés ont été publiés à ce sujet. Le plus sérieux nous semble celui de Claude Duneton dans son « Histoire de la chanson française » (tome 2, pages 139 à 142). Remarquant que personne n'a revendiqué la paternité de cette chanson, Duneton en soupçonne Mme Roland, femme d'un ministre lié à la prise des Tuileries. Le fait qu'elle fut guillotinée peu après et que son mari ne lui survécut pas longtemps expliquerait que personne n'en ait revendiqué les droits d'auteur. Le premier couplet de la carmagnole s'adressant à Marie-Antoinette et non à son époux renforcerait cette idée, en raison de la rivalité entre ces deux femmes.
Nous n'avons pas plus d'information sur les auteurs de couplets dénonçant les exactions et la déroute des brigands de la Vendée. Pas plus pour la version royaliste dont nous avons cité un extrait. De plus, il est fort probable que ces chansons soient des œuvres collectives.
L'inspiration serait elle venue de la capitale ? Quelques recherches sur internet permettent de découvrir l'existence d'une pièce de théâtre jouée à Paris en 93, intitulée « les brigands de la Vendée » (3). On y chante la carmagnole ; un couplet original dans la même veine que ceux-ci, mais non repris dans notre version. Il est vrai que dans cette période c'est par dizaines que les chansonniers ont utilisé ce timbre pour y adapter leurs couplets.
Pour finir, une précision sur l'origine du terme : dans une période où la tenue vestimentaire suffit à vous classer, les « sans-culotte » auraient aussi adopté cette veste courte à la mode du Piémont, connue sous le nom de carmagnole. En revanche rien ne permet d'affirmer que la musique soit d'origine italienne. Ni qu'elle soit une danse, même si des témoignages de l'époque évoquent des rondes ou des farandoles exécutées en chantant la Carmagnole.
J.L. A.
notes
1 – chanson n° 295, mai 2019
2 – loin de nous l'idée de fêter cet anniversaire, mais la date de publication tombe bien !
3 - Les brigands de la Vendée,: opéra-vaudeville, en deux actes, de Mathurin-Joseph Boullault – créé à Paris en octobre 1793, au théâtre des variétés amusantes, boulevard du temple (source : google books)
interprètes : Jean-Louis Auneau, Nicolas Pinel, Jean-Noel Griffisch, Alain Monneron
Source : Collectif, revue Signes N° 10 : Chansons-Révolutions ou l’esprit de 1789, Editions du Petit Véhicule, Espace culturel Capellia, 1989, page 23
Timbre : la carmagnole
Voilà l’aristocrate à bout - Bis
Et tous les brigands du Poitou - Bis
Leur armée est perdue
Les voilà confondus
Refrain
Vive la Carmagnole
Vive le son, vive le son
Dansons la Carmagnole
Vive le son du canon
A Nantes ils sont venus - Bis
Disant c’est l’armée de Jésus - Bis
Mais nos braves Nantais
Les chatouillent de près
De si loin qu’on les aperçut - Bis
On leur présente le salut - Bis
A grands coups de canons
Fusils et mousquetons
Refrain 2
Il fallait voir ces drôles
Tomber au son, tomber au son
Il fallait voir ces drôles
Tomber au son du canon.
Il fallait voir ces Poitevins - Bis
Se sauver le long des chemins - Bis
Ils quittent leurs sabots
Se sauvent au galop
Refrain 3
Craignant la Carmagnole
Même le son, même le son
Craignant la Carmagnole
Même le son du canon
Quand il passait quelque boulet - Bis
Vite, ils prenaient un chapelet - Bis
Mais nos coups de fusil
Les mènent au paradis
Refrain 4
Dansons la Carmagnole
Toujours au son, toujours au son
Dansons la Carmagnole
Toujours au son du canon.
Charrette n’en savait pas long - Bis
Ni son camarade Piron - Bis
Ils étaient désolés
Se voyant culbutés.
Refrain 5
La jolie Carmagnole
Que vous avez, que vous avez
La jolie Carmagnole
Que l’on vous a fait danser
Le feu dix-huit heures à duré - Bis
Plus de dix mille ont été tués - Bis
Ces cruels brigands
Disent en trépassant
Refrain 6
La f… Carmagnole
Que nous dansons, que nous dansons
La f… Carmagnole
F… du son du canon.
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