« Ne prenez point de femme dedans le mois de mai » affirme un adage populaire souvent repris par la chanson traditionnelle. Voilà pourquoi nous avons attendu début juin pour vous proposer cette chanson de mariage. Elle fait partie de ces rituels qui ponctuaient les mariages à l'ancienne (1). On ne sait si son but était de célébrer dans la joie l'union de deux jeunes gens, ou bien de titiller leur fibre émotive en jouant sur la peur de l'inconnu en ce moment qui marque une rupture dans leurs vies. On tente d'expliquer tout ça. Mais écoutez d'abord notre interprétation.
pour écouter la chanson et lire la suite :
Derrière ce titre « pagnolesque » se cache l'un des avatars de la fameuse chanson de la mariée. Il s'agit donc d'une de ces chansons spécifiquement réservée au jour des noces, dont l'interprétation n'aurait pas de sens en dehors de ce contexte. Le modèle le plus connu de la chanson de la mariée est bien présent dans tout l'ouest de la France (et au delà). Nous en avons enregistré un exemple : chanson n° 76 en octobre 2014. Elle doit beaucoup à la patte de l'abbé Gusteau, au 18è siècle. Mais elle existait avant lui et la folklorisation en a donné depuis de nombreuses versions. Vous pouvez aussi en écouter une autre, connue sous l'appellation de « chanson de l'oiseau » sous le n° 117 (août 2015).
Toutes ces chansons de la mariée ont plusieurs points communs : elles adressent des compliments aux époux, marquent une rupture avec la vie antérieure et prodiguent des conseils pour la vie future. Elles s'adressent bien plus à la jeune fille qu'à son époux. Elle s sont généralement associées à un rituel au moment du repas de noces : bouquet, gâteau, oiseau...
La présente chanson dérive d'un des couplets présent dans d'autres versions. Il y est donc question de quitter « le château de mon père ». Non pas que la chanson s'adresse uniquement aux châtelaines. On a là une métaphore du passage d'un état de sécurité dans un cadre familial, symbolisé par le château, à un grand saut dans l'inconnu de ce que peut être la vie maritale dans un nouveau milieu. Le plus souvent, dans la société rurale ancienne, la jeune mariée va s'installer chez son mari ; ce qui signifie en fait, dans la famille de celui ci. Si de nos jours les jeunes mariés ont déjà acquis leur indépendance, c'était loin d'être le cas précédemment. L'assimilation n'était pas toujours évidente et la jeune mariée était rarement maîtresse de son ménage. Aujourd'hui, au moins, les beaux parents sont des gens tenus à distance !
C'est probablement l'origine de l'ambivalence rencontrée dans cette chanson, comme dans ses cousines, entre la joie des épousailles et les regrets, voire l'inquiétude de la mise en ménage. Les chansons de la mariée sont volontiers moralisatrices et contiennent une forme de résignation. On lui promet autant de peines et de soucis que de joies. Les vers « La pensée du ménage sera ton désennui » résume bien l’ambiguïté de la chanson.
Le texte est tiré de l'ouvrage de Fernand Guériff consacré au folklore du mariage (2). Entre autres références, il y évoque le témoignage de Mme de Sévigné au 17è, ainsi que des réminiscences du mariage d'Anne de Bretagne (au 15è cette fois). Mais les rituels dont il est question semblent déjà présents dans des relations de mariages au temps des romains.
Çà ne nous rajeunit pas !
Notes
1 – Il y a, aujourd'hui, bien d'autres rituels dans les mariages. Preuve que la tradition évolue et a toujours besoin de repères convenus.
2 – ce tome 2 des collectes de Fernand Gueriff a été édité par Dastum 44 et le Parc Naturel Régional de Brière. Il est encore disponible mais il n'en reste plus beaucoup. Avis aux amateurs.
interprète : Liliane Berthe
source : Mme Boulard, dite « tante Nana », collectée le 12 juillet 1951 à Piriac, par Fernand Gueriff – publié dans « Le folklore du mariage » tome 2 du Trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande, page216 (Dastum 44 et Parc Naturel Régional de Brière – 2005)
catalogue P. Coirault : Nous sommes venus ce soir (5210 – les noces)
catalogue C. Laforte : la chanson de la mariée II, P-20
Adieu donc le château, le château de
mon père.
C'est un si beau château, il n'est fait que pour
plaire.
Il n'est fait que pour plaire, dis le moi cher ami
Serait-ce chez toi de même, chez toi dans ton logis ?
Le plaisir que t'auras, ma petite mignonne (bis)
La pensée du ménage, les peines et les soucis,
La pensée du ménage sera ton désennui.
Pourquoi m'as tu donc fait l'amour d'un si jeune âge ? (bis)
C'est ta bouche vermeille et tes jolis yeux doux,
Mignonne qui sont la cause que je t'ai fait l'amour.
Adieu donc le château, le château de mon père,
Où le soir les amants venaient m'y faire la chaire.
Adieu donc père et mère, frères, sœurs et parents.
Je rentre en mon ménage avec bien de l'agrément.
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