mercredi 17 mai 2023

440 - Chanson des Tanneurs

 Depuis longtemps certains d'entre vous nous tannent pour apprendre des chansons de métiers. En voilà donc une qui a le mérite de combler une lacune. En effet, la tradition a laissé de coté cette profession dont les effets ont provoqué de vives réactions bien avant que la pollution et le souci écologiste ne soient au premier plan de nos préoccupations. Chanter les mérites de gaillards qui troublent l'eau et empuantissent l'air c'est osé. Peut être convient-il encore une fois de ne pas le prendre au premier degré.

pour écouter la chanson et lire la suite :

C'est au docteur Jean Tricoire, pionnier de la collecte en pays de Chateaubriant, que nous devons d'avoir retrouvé ce texte. Ce n'est pas à proprement parler, une chanson traditionnelle, dans la mesure où on en connaît les auteurs. Cependant, la chanson datant d'une époque où les moyens modernes de diffusion (disque, radio...) n'existaient pas, on peut la classer dans les œuvres popularisées par la tradition orale.

Frédéric Barbier, son compositeur, fut chef d'orchestre à l'Alcazar d'été, à Paris. A son actif, il a quelques 300 pièces, saynètes et chansons. Celle ci n'est qu'un ouvrage mineur de ce grand répertoire influencé par l'opéra bouffe. Emile Duhem, auteur des paroles, était lui aussi un artiste des cafés concerts dans cette même époque du début de la 3ème république.

Malheureusement, nous n'avons pas pu retrouver l'intégralité des paroles originales de la chanson ; ne serait-ce que pour vérifier comment le processus de folklorisation avait déjà pu faire son effet. La chanson des tanneurs n'a pas été notée que dans notre secteur. Jean Choleau et Marie Drouart en présentent une version dans l'un de leurs ouvrages (1). Elle est référencée comme chanson d'un tanneur à Lamballe en 1872. Cette dernière précision est assez improbable, la composition datant de l'année suivante, 1873 (2).

Le métier de tanneur n'a jamais eu bonne réputation. On leur reproche de polluer l'eau des rivières avec les traitements qu'il font subir aux peaux d'animaux qui deviendront du cuir. Sans oublier, et pour paraphraser un ancien président de la république, « qu'en plus, il y l'odeur ! ». A l'origine installés au centre des villes, ils sont repoussés en périphérie. A Nantes c'est le quartier de Barbin - aujourd'hui si classieux et proche du centre – sur l'Erdre et celui Pont-Rousseau au confluent de la Sèvre. Même les chansons traditionnelles refusent de parler en bien des tanneurs. Les cordonniers, savetiers, tailleurs, couturières...sont très présents ; pas les tanneurs. Les lavandières qui fréquent elles aussi les bords de l'eau ont occasionné de nombreux couplets ; pas les tanneurs. Il fallait donc bien que cette injustice soit réparée. Mais cette chanson n'a certainement pas eu l'intention de redorer le blason de la profession. Plus qu'un hymne professionnel, c'est un sujet de moquerie. On n'en veut pour preuve que la précision donnée par les artistes au sujet de la dernière phrase du refrain : « ce dernier motif doit se chanter a pleine voix d'une façon très prétentieuse et ridicule et se terminer soit par une secousse soit en chantant très faux ».

Vous avez donc le droit de massacrer ce final, sachant que, justement, Saint Barthélémy est le patron des tanneurs (3).

Pour être tout à fait juste, il nous faut tout de même évoquer un usage de la tannerie dans plusieurs chansons traditionnelles. Il n'y intervient que de manière anecdotique et, là encore, ironique. Reportez vous donc à la chanson n°111, Quand Margoton sort de sa cour (juin 2015) ou la n° 417, Quand j'étais jeune (mai 2022). Répertoriées par P . Coirault sous le titre « l'édit d'écorcher les vieux maris » elles ont un écho dans l'avant dernier couplet de celle ci :

Je mènerai sa peau à la tannerie
Pour m'en faire une descente de lit...

Une utilisation qui ne semble pas attestée dans les usages professionnels !


notes

1 - Chansons et Danses Populaires de Haute-Bretagne, de Jean Choleau et Marie Drouart, (éd. Unvaniez Arvor, Vitré – 1938) Tome 1, p. 83

2 – d'après la notice biographique de F. Barbier, rédigée par la BnF, disponible sur le site Gallica.

3 - avec aussi Saint Philippe et Saint Jacques le mineur, fêtés ensemble le 3 mai. Il fallait bien qu'il s'y mettent à plusieurs pour protéger une profession aussi mal vue (et sentie).


Interprète : Jean-Louis Auneau

source : Alphonse Blais, enregistré par Jean Tricoire à Saint-Vincent-des-Landes (Loire-Atlantique) le 17 janvier 1965 – d'après une chanson composée en 1873 par Frédéric Barbier et Emile Duhem.

NB : le couplet originel en italique n'a pas été chanté par M. Blais.


D'tous les métiers j'peux dire que le plus chouette

Sans contredit est celui de tanneur

Aussi je veux dedans de ma chansonnette

Le célébrer et du fond de mon cœur


Refrain

La crème des travailleurs

Sont les tan, tan, sont les tanneurs

La crème des travailleurs

Sont les tan, les tanneurs

Sont les zou, zou

Les petits zou, zou

Les ouvriers tanneurs


Vous ouvriers et vous millionnaires

Je vous le dit pour que vous le sachiez

J' m'adresse à vous aussi soldats, notaires

Que seriez vous sans nous des va-nu-pieds


Y'a bien des gens qui nous font concurrence

Moi je connais de certains beaux parleurs

Qui de discours vous tannent d'importance

Et font des cuirs, bien qu'y n'sont point tanneurs


Y'a bien des gens qui font pas trop les cranes'

A quoi que ça sert de faire trop les malins

Ils le savent bien moi je tanne les peaux d'ânes

Ils pourraient bien me passer par les mains


Nous tannons par les froids de décembre

des tapis de bêtes dont on fait grand débit

Dans mon métier c'est ce que j'appelle pieaux de chambre

Et dans le grand monde ça se nomme descente de lit


Jadis nos pères sauvèrent la patrie

Lorsqu'ils gagnèrent la bataille d'Austerlitz

Le champ de bataille était leur tannerie

Puisqu'ils tannaient le cuir de l'ennemi


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