Une leçon de choses : voilà ce qu'on retient de prime abord de cette énumération chantée. Par rapport aux différents textes bâtis sur le même principe celui ci présente une particularité notable ; L'usage d'une langue peu courante dans le répertoire qui n'est ni le français, le gallo ou le breton, mais le latin. Habituellement seuls les oiseaux chantent en latin pour dire que les hommes (ou les femmes ; c'est selon) ne valent rien. Pas question d'amour dans ce chant, si ce n'est celui de la boisson. Le latin y tient donc une place différente.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Nous avons déjà eu l'occasion de parler des similitudes entre ces chansons qui célèbrent le vin, la bière ou le cidre, selon les régions. La plus connue dans nos contrées reste la fameuse « vigne au vin ». Outre Manche, c'est l'emblématique histoire de « John Barleycorn » qui reprend le même procédé.
Certes, il s'agit avant tout d'une chanson à boire, sans autre véritable prétention. Cependant on pourrait tout aussi bien la classer dans le même registre que les métamorphoses. Il y a dans ce processus de transformations aboutissant aux nectars qui font l'orgueil des vignerons, une métaphore du cycle de la vie humaine. De la naissance à la mort en passant par les contraintes de l'existence, à peu près tout y est.
Puisque nous avons fait le parallèle avec les autres transformations de l'orge, de la pomme ou du raisin, il faut aussi parler d'un élément commun à toutes ces chansons, malheureusement absent ici. En effet, bien des versions se terminent par un retour à la terre, exprimé d'une façon triviale. La finale « pissé je fus » est, sous une forme ou une autre, fréquemment entendue. En revanche, peu de collecteurs l'ont consigné dans leurs publications. Bien sur, l'approche d'un micro peut entraîner une autocensure.
Au cas présent on peut imaginer qu'Abel Soreau, ecclésiastique et chargé de l'éducation de jeunes lycéens, ait préféré une fin plus correcte. Il n'empêche que le dernier vers fait référence à la mort.
Ceux qui sont morts n'en boiront plus
S'agit-il d'une variante locale ou bien d'un ajout de Soreau lui-même ? A ce jour nous n'avons pas la réponse. Mais, l'originalité de ce « bois tortu » réside plutôt dans son refrain, préférant aux « vigni, vignons, vignons le vin » une formulation plus ésotérique.
L'utilisation du latin n'a rien a voir avec la vocation du collecteur. On retrouve ce type de refrains à plusieurs reprises ; c'est une caractéristique de ce « bois tortu » dont certaines versions ont été popularisées comme chant à danser (1). Dans la chanson, le latin est d'habitude le langage des oiseaux. C'est à dire un sabir incompréhensible pour la grande majorité. Très employé jusqu'à la fin du moyen-âge par les élites savantes ou religieuses, il a ensuite trouvé refuge essentiellement dans la liturgie. Il est aussi longtemps resté un marqueur du langage juridique. Dans un cas comme dans l'autre il était perçu comme un code réservé aux intellectuels pour marquer leur supériorité sur le vulgum pécus. Peut-être faut-il voir dans son utilisation au refrain une forme d'ironie pour une chanson populaire qui se donne des airs savants. D'autant que ce latin de cuisine relève plus de l'allitération musicale que d'un sens caché. L'utilisation d'une formule pseudo religieuse « Spiritum, sanctum (ou bonum) Dominum » (2) est aussi une façon d'obtenir l'absolution du péché d'ivrognerie. D'ailleurs, privés du péché de chair, les religieux ne se rattrapent-ils pas souvent sur le péché de gourmandise où l'usage immodéré de boissons fermentées n'est pas exclu.
Ces refrains en latin peuvent remonter au moyen-âge par imitation ou parodie des chants d'église. Vous en trouverez un autre exemple avec la reprise de timbres religieux comme l'Alléluia (cf. chanson n° 291 en avril 2019). De toutes façons même sans tenir compte de la présence d'une langue morte on peut supposer que ce thème remonte à fort loin. Par sa construction tout d'abord mais aussi en raison de la maîtrise ancestrale des techniques de production des boissons alcoolisées (3) et leur consommation à caractère festif.
Enfin, même si on tient compte de l'absence de la miction finale, le processus est sans doute incomplet. Rien ne vous empêche d'aller chercher ailleurs les passages qui vous manquent. L'essentiel, nous ne le répéterons jamais assez, c'est de chanter.
Notes
1 – voir par exemple l'interprétation du groupe Manglo - CD Sors de ton lit (2002)
2 – Les archives d'Abel Soreau font état d'une autre version avec la formule « Gaudinum, verum, cordium ». Latinistes distingués éclairez nous.
3 - Plus de 5000 ans avant notre ère pour le vin, plus de 10 000 ans pour la bière.
Interprète : Hervé Dréan
source : Léontine Masson – chanson recueillie le 25 août 1903 à Vallet (44) – Fonds Abel Soreau, chanson n°63
catalogue P. Coirault : la chanson du vin (10428 - énumératives diverses)
catalogue C. Laforte : Le vin (I, P-26)
Beau vin, beau vin d'é où sors-tu ?
Beau martinum, beau martinu !
Je sors d'un petit bois tortu
refrain
Spiritum, bonum, dominum
Beau martinum, beau martinum
Beau martinu
Je sors d'un petit bois tortu
Beau martinum, beau martinu
Dans un panier cueilli je fus
Dans un pressoir foulé je fus
Dans une cuve coulé je fus
dans une barrique versé je fus
Dans une bouteille gardé je fus
Puis dans les verres servi je fus
Par tous les hommes je fus bu
Ceux qui sont morts n'en boiront plus
Bonjour,
RépondreSupprimerIl me semble, avec le contexte, que "bois tordu " serait plus adapté que "bois tortu" pour faire référence aux vignes sinueuse paragraphe 6 et vers 3. Cependant si c'est bien tortu je veux bien savoir à quoi cela fait référence ^^
Merci pour le contenu
Il s'agit bien du "bois tortu", expression qui désigne la vigne. Tortu, en vieux français, signifie "de travers". On fait donc référence au cep de vigne qui refuse obstinément de pousser tout droit malgré les efforts de rationalisation. Dans le langage régional on entend parfois "torsu", mais c'est plus rare.
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