La « belle qui fait la morte pour son honneur garder » est une chanson emblématique de la tradition populaire. C'est peu de dire qu'elle est très connue. On ne compte plus le nombre de versions collectées ici où là, et publiées dans tous les recueils de chansons. Des artistes renommés et d'autres moins connus l'ont gravée sur disque à de nombreuses reprises. Pourtant, cette aventure intemporelle peut encore nous réserver des surprises. La preuve :
pour écouter la chanson et lire la suite :
« Trois jours j'ai fait la morte pour mon honneur garder » est la formule qui clôt habituellement ce texte. Un vers en forme de morale qui souligne la fin heureuse d'un épisode où la vertu finit par triompher du mal. Une « happy end » hollywoodienne avec grand orchestre symphonique pendant que le mot FIN grossit sur l'écran.
Sauf que, dans la version que nous vous proposons aujourd'hui, un couplet supplémentaire semble annoncer une suite. Pratique courante dans l'industrie cinématographique, elle est on ne peu plus rare dans la chanson. Allons nous assister au « Retour de la revanche des trois capitaines » ? Dans notre univers actuel ce dernier couplet est une véritable provocation. Dans la tradition orale, sa rareté confirme ce sentiment.
Plus fréquemment, si un dernier couplet est ajouté c'est pour promettre à la belle qu'elle trouvera le bonheur en épousant un jeune amant qui, fut-il capitaine, serait mieux à son goût. Ce type de final est assez présent dans les collectes en Haute-Bretagne.
Plusieurs auteurs de commentaires sur ce texte (Doncieux, Davenson...) voient son origine dans une chanson de marche pour soldats. Ce qui expliquerait aussi bien le final avec mariage que celui ci où les soudards envisagent une toute autre fin. Toujours est-il que la tradition populaire a plus largement conservé les versions exemptes de ces ajouts.
Qui sont donc ces capitaines au comportement douteux ? Le terme n'est plus guère utilisé que dans un sens respectable : gradé de l'armée, capitaine d'une équipe sportive, capitaine de soirée...Il faisait autrefois référence aux chefs de groupes armés sans distinction de classe. Il peut aussi bien s'agir de mercenaires ou de brigands que de militaires officiels. Ce sont des gens craints et méprisés par le peuple. Une version collectée par Patrice Coirault (1) nous en donne une définition qui va dans ce sens :
Ce sont ces grands seigneurs
Qui font payer des rentes
Au pauvres laboureurs
Nous ne nous étendrons pas sur toute la symbolique contenue dans ces vers. C'est un exercice toujours hasardeux (2). Cependant, la blancheur des fleurs ne laisse aucun doute sur les intentions de souligner la pureté de la jeune fille. Qu'elles soient lauriers, rosiers ou lilas dans l'incipit ou encore lauriers et souvent lys dans le jardin où on l'enterre, c'est une constante dans toutes les versions.
Petite précision : On peut vraiment dire que « La belle qui fait la morte pour son honneur garder » est la chanson traditionnelle la plus répandue, dans le mode chanson « à écouter ». D'après nos recherches toutes les chansons plus répandues dans le répertoire sont toujours des chants « à répondre » (les trois canards, la flamande, la claire fontaine, les navires de blé...).
Enfin, mis à part le coté moral de l'histoire, on ne peut s'empêcher de penser au symbole de la résurrection présent, entre autres (3), dans la foi chrétienne. Le succès d'une aventure où la belle revient après trois jours passés en terre ne serait-il pas un écho de la résurrection du Christ au troisième jour ? Le terme « la belle ressuscite » est fréquemment utilisé, à commencer par d'autres interprétations notées dans le même secteur.
Quoi qu'il en soit cette jeune fille qui se joue des trois capitaines n'a pas fini de nous faire chanter.
notes
1 - chansons françaises de tradition orale – 1900 textes et mélodies collectés par Patrice Coirault (révisé et complété par Marlène Belly et Georges Delarue – BnF 2013)
2 - en particulier parce que les symboles ont souvent varié entre la composition des textes et l'époque actuelle.
3 - les contes populaires donnent, eux aussi, de nombreux exemples de « retours à la vie »
interprète : Annick Mousset
source : Lucie Rastel, enregistrée par Raphael Garcia à Saint-Lyphard (Loire-Atlantique) – publié en 1981 dans « chants du pays nantais », recueil du Cercle Breton de Nantes
catalogue P. Coirault : la belle qui fait la morte pour son honneur garder (rapts – N° 01307)
catalogue Laforte : la belle qui fait la morte pour son honneur garder (II, A-25)
Là, dessous ces lauriers, il y a t’une princesse (bis)
Blanche comme la neige, belle comme le jour
Trois jeunes capitaines s’en vont lui faire l’amour
Le plus jeune des trois la prit par sa main blanche (bis)
Montez, montez, la belle, sur mon cheval-e gris
A Paris je vous mène dans un fort beau logis
A Paris arrivée, la belle se mit à table (bis)
Mangez, buvez, la belle, selon votre appétit
Avec nous, ce soir, vous passerez la nuit
Au milieu du repas, la belle est tombée morte (bis)
Qu’on sonne les tambours, clairons du régiment
Ma maîtresse, elle est morte, j’en saurai la raison
Où l’enterrerons-nous cette aimable princesse (bis)
Dans l’jardin de son père, sous les lauriers fleuris
Nous prierons dieu pour elle, qu’elle aille au paradis
Au bout d’trois jours après, son père il s’y promène (bis)
Ouvrez, ouvrez, mon père, ma tombe, si vous m’aimez
J’ai fait trois la morte pour mon honneur garder
Au bout d’six jours après, les trois capitaines passent (bis)
Va, va, petite coquine, nous t’y rattraperons
Nous t’y f’rons faire la morte, là-haut sur les gazons
très jolie version de la belle qui fait la morte! le dernier couplet amène une fin qui pourrait être totalement différente des précédentes
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