Guerre et amour sont les deux pôles de cette chanson de retrouvailles entre un soldat et sa belle. Un soldat qui manifestement hésite entre embrasser la carrière ou sa bien aimée. Celle ci lui reproche ouvertement d'avoir préféré les honneurs militaires à ses amours. Jusqu'au dernier couplet on devine que, si le beau militaire songe à se caser, rien n'est joué.
Cette chanson est assez rare dans nos archives. Plusieurs chansons du même type existent dans divers fonds, mais celle ci semble être la seule à mettre à l'honneur un « chasseur du roi ».
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Le chasseur est un homme de troupe dont la doctrine d'emploi est de « couvrir les flancs et éclairer la route » d 'une armée en campagne. C'est une fonction particulière et sans doute plus prestigieuse que simple fantassin. De plus, nous sommes à un époque où le prestige de l'uniforme a un sens. On n'a pas encore inventé la tenue de camouflage. Celui ci est donc coloré et plus destiné à impressionner. D'autant que ces régiments sont souvent de cavaliers, même si il existe des compagnies de chasseurs à pied. Le premier corps de chasseurs a été créé en 1740. Cela ne suffit pas à dater la chanson. Le terme chasseur du roi semble plutôt en vigueur au 19è siècle, avec la restauration de la monarchie. Quoi qu'il en soit, nombre de chansons traditionnelles qui évoquent l'armée et ses péripéties se sont adaptées aux époques : royauté, république ou empire.
Après ces digressions sans prétentions historiques, revenons à la chanson elle même. Sa coupe et ses rimes (1) ainsi que quelques phrases récurrentes la rattachent à une chanson composée par le dénommé « Belhumeur », poète ayant sévi vers le milieu du 18è siècle. C'est Patrice Coirault, dans le premier tome de « Formation de nos chansons folkloriques »(2), qui nous donne cette information.
Dans cette chanson, où le militaire s'appelle Jolibois et la fille Fanchon, le dialogue ne s'appesantit pas autant sur les reproches d'abandon que sur la joie des retrouvailles. Ainsi le dernier couplet est plein de promesses :
Cessez
Fanchon de vous lamenter
Il nous faut épouser
Il est bien question d'épousailles dans notre version chantée par M. Houssais de St Aubin des Châteaux (près de Chateaubriant). Mais la fille ou ses parents se méfient des intentions réelles du militaire. A-t-il bien reçu son congé ? On a trop vu de chansons où ce congé a été pris « sous la semelle de mes souliers » et d'autres où le garçon déçu de l'accueil qui lui est réservé ne pense qu'à se rengager.
Cette préoccupation qui n'est pas dans la chanson originelle est apparue avec la folklorisation de ce texte. Dans une des versions (3) c'est même carrément la fille qui incite son amant :
Mais tu n'es pas assuré avec ta liberté
retourne toi z'à l'armée
hélas
Quand tu auras ton congé
Tu me viendras trouver
De la chanson de Belhumeur, les versions folklorisées ont surtout retenu, comme ici, le début :
Qui frappe à ma porte à minuit...
C'est la voix de mon amant...
et les regrets du militaire pensant à sa belle :
J'ai pleuré tant de fois
Nuit et jour en faction, en étudiant ma leçon
Toutes ont conservé ce cinquième vers en forme de ponctuation : Hélas !
Ce qui entretien dans cette chanson toute l'ambiguïté entre le plaisir des retrouvailles et la crainte que ça ne dure pas.
notes
1 – sept vers à rimes masculines coupés : 8 8 7 7 2 7 7
2 - Patrice Coirault : Formation de nos chansons folkloriques – Ed. Du scarabée – Paris 1953. Le chapitre consacré au chansonnier Belhuemur, ou Belle-Humeur, va des pages 83 à 100.
3 – collecte de chansons effectuée en Velay et Forez par Victor Smith
interprète : Janick Péniguel
source : Eugène Houssais, à Saint-Aubin-des-Châteaux, enregistré le 28 septembre 1993 par Patrick Bardoul (enregistrement original consultable sur Dastumedia)
catalogue P. Coirault : Qui frappe à ma porte à minuit ? (retour de l'amant soldat – 3710)
catalogue C. Laforte : II, I-20 – le retour du soldat : la nuit à la porte de sa maîtresse
De vers minuit vient frapper à ma porte
Trois petits coups sans faire de bruit
C’est la voix de mon amant
Celui qu’mon cœur aime tant
Hélas
J’ai bien entendu son cœur
Qui me disait n’ai pas peur
Ah si c’est toi chasseur du roi
Ce que tu m’avais promis autrefois
Tant de lettres je t’écrirai
Tant de lettres je t’enverrai
Hélas
Si tu m’avais tant aimée
Tu n’m’aurais pas oubliée
Ah si c’est toi chasseur du roi
Pour qui j’ai tant pleuré de fois
Tant de fois que j’ai pleuré
Tant de fois j’ai regretté
Hélas
Je t’y croyais mort au combat
Tout comme un vaillant soldat
Ah si c’est toi chasseur du roi
Viens donc y souper avec moi
Et avec moi tu souperas
Et à papa tu parleras
Hélas
Si maman elle le veut bien
Nous fiancerons demain
Bonsoir papa bonsoir maman
Que vous avez de beaux enfants
Trois belles filles à marier
A la plus jeune j’vais m’adresser
Hélas
Je lui ferais mes compliments
Et elle ses agréments
Vous qui parlez de vous marier
Votre congé est-il signé
Il est fini, il est signé
Par trois de mes officiers
Hélas
Et aussi par mon commandant
Je suis mon maître à présent
Mais en montant la faction
En étudiant ma leçon
Quand je pense à cette faveur
Mon cœur est rempli de pleurs
En étudiant ma leçon
Quand je pense à cette faveur
Mon cœur est rempli de pleurs
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