C'est la deuxième fois depuis le début de l'année que nous mettons en ligne une chanson au titre guerrier. N'y voyez là aucune intention. Celle ci est à ranger dans la catégorie des chansons d'amour. Elle nous reporte bien avant la création de la Poste. Habituellement les amoureux confient leurs messages au rossignol ou à l'hirondelle, que la Poste a d'ailleurs longtemps conservée comme logo. Ici, c'est directement à une personne qu'est confié le message. A charge pour le facteur de se débrouiller avec un détail, en lieu et place de l'adresse.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
La version que nous vous proposons est le résultat d'un montage entre deux chansons recueillies par Armand Guéraud dans les années 1850 : les paroles de l'une sur la mélodie de l'autre. Elles proviennent de deux informateurs situés l'un Châtellerault, l'autre à Fontenay le Comte.
Nous complétons cette publication par le texte de la version recueillie en pays de Guérande par Gustave Clétiez (1), toujours dans la seconde moitié du 19è siècle. La cocarde au bras y est remplacée par un ruban vert, signe de ralliement des partisans de la Duchesse de Berry (2). Mais ce n'est pas la seule différence. Quelques couplets prolongent l'histoire, incitant la jeune fille à passer à l'acte avec « le plus jeune des trente » : aller au bois cueillir un bouquet !
Cette supplique amoureuse dérive d'une chanson du 15è siècle « Gentils galants de France » dont vous trouverez également les paroles après celle-ci. L'argument y est inversé puisqu'il s'agit de la demande d'une jeune fille aux soldats en partance de saluer son ami. Seule la version notée en Poitou par Jérôme Bujeaud retiens la même formule :
Quand vous passerez par Nantes
Saluez mon amant
Pour le reconnaître il faudra chercher quelqu'un avec des bas rouges et des souliers cirés. Pas si simple ! Car l'une des caractéristiques invariable de cette chanson c'est l'existence de signes distinctifs permettant d'identifier l'amie du soldat. Des signes qui n'en finissent pas de changer d'une version à l'autre : fleur de lys, presque toujours, cocarde, très souvent, mais aussi la rose à son corsage, une croix d'or, des rubans blancs, des falbalas et autres détails vestimentaires ou anatomiques.
L'autre élément caractéristique de cette chanson (quand elle est complète) c'est le choix de la jeune fille à qui on propose le mariage. Simple soldat ou le roi lui même, peu lui importe ; son choix est déjà fait. Pour cela elle a eu le temps de comparer les prétendants, ayant eu un nombre conséquent d'amants. Notre chanson les situe entre vingt et trente. Mais la plupart des chansons sont plus précises, hésitant entre trente deux et trente trois, en fonction des besoins de l'assonance. Bien entendu c'est le plus jeune qui aura ses faveurs.
Ce qui est intéressant c'est aussi de voir avec quelle constance son choix s'opère dans un secteur géographique qui ne peut nous laisser indifférent. Même si vous n'avez pas, comme nous, la chance de résider dans cette belle région, force est de constater encore une fois l'importance prise par la ville de Nantes dans la chanson traditionnelle. Quelle que soit le lieu de collecte de la chanson, c'est entre Paris et Nantes, ou entre Rennes et Nantes que la belle accomplit ses amours (3)
Enfin, pour faire un tour complet de ces ressemblances il faut bien s'intéresser au refrain. Il n'apporte rien à l'histoire mais revient invariablement à la formule :
Et lon lon la...
Cet élément n'est pas présent dans la chanson du 15è siècle. Ce qui laisse supposer qu'une version intermédiaire a du être popularisée, avant que la tradition ne diffuse cette chanson messagère à travers tout le répertoire francophone.
notes
1 - publiée par Fernand Gueriff dans le volume 1 du « Trésor des chansons folkloriques recueillies au pays de Guérande », page 163
2 – précision apportée par Gaston Le Floc'h dans ses commentaires sur cette chanson
3 – une seule exception : de Paris jusqu'en Flandre. L'assonance reste la même.
interprète : Jean-Noël Griffisch
source : chants populaires du Comté nantais et du Bas-Poitou, recueillis par Armand Guéraud, édition critique de Joseph Le Floc'h (FAMDT – Modal – 1995) page 141
catalogue Coirault le salut à la maitresse (405 – messages)
Catalogue Laforte : le message à l'amie - I, I-4
Petit soldat de guerre, (bis)
Dans la guerre tu t'en vas et lon lon la
Dans la guerre tu t'en vas
.
Si tu vois ma maîtresse, (bis)
je t'en prie, salue-la et lon lon la
Je t'en prie, salue-la,
Comment la saluerai-je,
Moi qui ne la connais pas.
Elle porte la croix blanche,
La fleur de lys au bras.
Le cheval qui la mène
Est couvert de lilas
Le roi est aux fenêtres
Qui la regarde passer
Petite nourrigeonne
Êtes vous mariée ?
Nenni, monsieur, dit-elle,
Moi, j'ai des amants pour ça
Entre Paris et Nantes,
J'en ai bien vingt ou trente
Le plus jeune des trente
C'est celui qui m'épousera
version recueillie par Gustave Clétiez
Brave soldat de guerre, on dit que tu t'en vas.
On dit que tu t'en vas, et tralala, on dit que tu t'en vas.
Si tu vois ma maîtresse, je t'en prie, salue-la.
Comment la saluerai-je, je ne la connais pas.
Elle porte cocarde, le ruban vert au bras.
En passant la grand ville, la reconnaît au bras.
Marguerite, ma mie, veux-tu te marier ?
Comment m'y marierais-je, tant d'amoureux que j'ai !
Entre Paris et Nantes, j'en ai bien trente-trois.
Le plus jeune des trente sera mon amoureux.
Marguerite ma mie, faut lui faire un bouquet.
Comment lui en ferais-je, moi qui n'ai rien cueilli ?
Marguerite, ma mie, il faut aller au bois.
Gentils galants de France (chanson du XVème siècle)
Gentils galants de France
Qui en la guerre allez
Je vous prie qu'il vous plaise
Mon ami saluer
Comment le saluerai-je
Quand point ne le connais ?
Il est bon à connaître,
Il est de blanc armé.
Il porte la croix blanche
Les éperons dorés
Et au bout de sa lance
Un fer d'argent doré
Ne pleurez plus la belle
Car il est trépassé
Il est mort en Bretagne
Les bretons l'ont tué
J'ai vu faire sa fosse
L'orée d'un vert pré
Et vu chanter sa messe
A quatre cordeliers.
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