Sur le marché on fait de bonnes affaires : cette semaine nous vous livrons deux chansons pour le prix d'une. Deux thèmes imbriqués dans une mélodie mais un seul sujet : méfiez vous des hommes les filles. On n'est pas loin de la dénonciation des violences conjugales. La chanson prend le parti de s'en moquer en relevant que les hommes ne valent pas le prix qu'on peut y mettre. Les comparaisons animalières ne manquent pas pour expliquer que la méchanceté est dans la nature des mâles. Encore une fois la chanson aborde un sujet sérieux sous la forme de moquerie plutôt que sous la forme d'une dénonciation brutale.
pour écouter la chanson et lire la suite :
En écoutant ou en interprétant cette chanson on ressent comme un malaise quand elle se fait hésitante, au sixième couplet. Passé ce moment de flou, le couplet suivant donne l'impression qu'on a changé de chanson. C'est probablement ce qui s'est passé. Le thème ainsi que la structure constante des vers de sept pieds assurent une certaine cohérence à l'ensemble. Mais nous sommes une fois de plus en présence d'une forme composite.
Les premiers couplets, qui donnent à la chanson son titre, présentent une certaine originalité. C'est un thème qu'on trouve rarement dans les collectes. En revanche, les derniers couplets apparaissent fréquemment dans d'autres chansons sous cette forme de dispute sur le caractère supposé des hommes, des femmes et des jeunes filles, avec des arguments réversibles. Celle ci est à sens unique ; c'est bien du fichu caractère des hommes changeant après le mariage qu'il est question.
La chanson vient du cahier du ménétrier Poiraud où nous avons déjà puisé quelques belles pièces. Nous savons peu de choses sur ce violoneux qui nous a livré un répertoire de quatre vingt chansons, transcrites vers la fin du dix neuvième siècle dans le Pays de Retz et plusieurs fois recopiées. Dans ce même secteur, autour de Pornic, cette chanson a été notée par le docteur Bellanger, l'un des informateurs d'Armand Guéraud aux temps de la fameuse enquête Ampère-Fortoul. En compilant les recueils de Poiraud et de Bellanger on peut sans doute avoir une bonne idée de ce qui se chantait dans cette région à cette époque. On trouve parmi ces chansons des thèmes immuables, mais aussi des chansons comme celle ci qui ont disparu des collectes plus récentes. Il est donc particulièrement intéressant de pouvoir disposer de ces témoignages anciens.
Deux autres versions sont signalées par Guéraud, venant toutes deux de Vendée (Montaigu et Fontenay le Comte). Mais l'histoire la plus complète de cet homme acheté au marché c'est en Wallonie qu'on la trouve (1). L'acheteuse se fait dérober son achat et regrette de ne pas avoir investi plutôt ses cinq sous dans des rubans !.
Dans le nord de la Mayenne (2) la transaction se résume à un seul couplet mais très explicite :
A deux liards sont les garçons
A cent écus les filles
et l'argument principal reste le même :
jamais souris n'a pris de chat
Jamais fille n'a fait de mal
L'argument constant dans toutes les chansons est celui de ce sixième couplet. Un message qui n'est pas particulier à cette chanson mais devient ici l'élément pivot entre la transaction du début et la morale de la fin. L'assonance en « euse » donne ailleurs des mains plus « outrageuses » que « vigoureuses » et sert d'avertissement à la jeune fille :
Tu te repentiras de ta jeunesse heureuse
Après cela, y-a-t-il encore des candidates au mariage ???
notes
1 – recueil d'airs de cramignons et de chansons populaires à Liège – Léonard Terry et Léopold Chaumont (1889)
2 – Ecoutez gens de la Mayenne (Mayenne culture/Aedam musicae – 2016) – reprise de « chansons traditionnelles de la Mayenne » - François Redhon (1983)
interprète : Armelle Petit
source : Quatre vingt chansons du Pays de Retz, cahier du violoneux Poiraud, (fin 19è siècle) compilé par Michel Gautier
catalogue P. Coirault : Les hommes ne sont bons que par aventure (2412- moqueries) et le galant acheté au marché (2413 - moqueries)
Au marché je suis allé
Au marché je suis allé
C'est pour un homme acheter
C'est de bonne grâce
Tout le monde fait l'amour
Et moi je m'en passe
C'est pour un homme acheter
C'est pour un homme acheter
On me l'a fait six deniers
C'est de bonne grâce
Tout le monde fait l'amour
Et moi je m'en passe
Six deniers sont pas assez
Six deniers sont pas assez
Car les hommes à marier
C'est de bonne grâce
Tout le monde fait l'amour
Et moi je m'en passe
Car les hommes à marier
Car les hommes à marier
Complaisants ils sont assez
C'est de bonne grâce
Tout le monde fait l'amour
Et moi je m'en passe
Mais quand ils sont mariés
Mais quand ils sont mariés
Sont des diables déchainés
C'est de bonne grâce
Tout le monde fait l'amour
Et moi je m'en passe
Ils disent je veux ceci
Ils disent je veux cela
Et tu passeras par là
Pauvre malheureuse
Et tu sentiras sur toi
sa main vigoureuse
Quand les hommes seront bons
les poules deviendront chapons (bis)
C'est contre nature
Jamais n'a rien fait de bien
Que par aventure
Quand les femmes feront mal
Les rats mont'ront à cheval (bis)
Drôle de nature
Jamais femme n'a fait de mal
Que par aventure
Quand les garçons feront bien
Les lièvres attrap'ront les chiens (bis)
C'est contre nature
Jamais garçon n'a fait bien
Que par aventure
Les filles sont toujours gaies (bis)
Comme roses dans les rosiers
Gai, gai, gai les filles
Les filles sont toujours gaies
Et toujours gentilles
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