La jeune fille qui s'exprime dans cette chanson ne sait pas trop quel
est son sentiment dominant. Son amant lui fait un cadeau qu'elle sait
sans équivoque. Elle ne sait pas encore si elle doit s'en réjouir
ou s'en inquiéter. Elle nous fait partager ses hésitations, ses
craintes et, finalement, son contentement. Cette chanson recueillie
au milieu du 19è siècle n'est plus chantée de nos jours. Dommage,
car son aspect suranné fait tout son charme, mais nécessite quand
même quelques explications.
pour écouter la chanson et lire la suite :
Le présent d'une ceinture à
l'occasion d'un mariage est une coutume liée à l'évolution du
vêtement féminin. Elle n'avait probablement déjà plus de
signification au moment de la collecte de cette chanson. Cet usage ne
survit donc plus que par quelques chansons et le fameux dicton
« bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée ». Parmi
les chansons, il en est une beaucoup plus connue que celle ci. La
jeune fille y attend son ami qui lui apportera « une ceinture
dorée, une alliance en or et sa foi jurée ». Cette chanson
est liée à des fêtes calendaires et débute tantôt par « Voici
la Saint Jean, la grande journée » ou par « Voici la
Toussaint, le temps des veillées ». Le présent d'une
ceinture, dorée ou pas, orné de pierreries ou simplement ouvragée
est donc sans équivoque. Son acceptation par la jeune fille est le
prélude à une relation sérieuse.
Pour en revenir à la situation
présente, ce qui semble l'inquiéter c'est d'être obligée de
coucher avec lui « nue dans sa chemise ». Nous ne savons
pas auprès de qui cette chanson a été recueillie. L'informatrice a
fait preuve d'un excès de pudibonderie recopié tel quel par le
« ménétrier Poiraud ». Tous les autres exemples de
cette chanson que nous avons pu glaner ici ou là ne laissent aucun
doute possible (1). Ce n'est pas « dans » mais « sans
« qu'il faut entendre. Si cette chanson nous rappelle encore
un autre texte c'est celui de la fille qui couche pour la première
fois avec un mari avocat (cf remue tes canettes – chanson n° 182
en janvier 2017). Elle appelle sa mère qui la rassure d'un
sentencieux « on ne meurt pas de ça ». Ici la fille
n'appelle pas sa mère mais dans d'autres versions c'est sa sœur qui
lui prodigue les conseils :
Tu coucheras avec lui dépouillée
toute nue
La tête sur le chevet et le corps à
l'aventure
La phase d'inquiétude est bientôt
remplacée par un contentement exprimé d'une façon très imagée.
On pense, bien sur, à la période de mue où les oies canards et
autres volatiles se font très discrets, ne pouvant voler pour
échapper à un éventuel prédateur. Pourtant la mue dont il est
question ici n'a rien à voir avec ce phénomène naturel. Dans le
language populaire du Pays de Retz (3) la mue désigne un enclos où
on parque les volailles pour finir leur engraissement. Si l'oie
manifeste son contentement en sortant de la mue c'est qu'elle ne se
doute pas que sa libération ne présage rien de bon pour son avenir.
Le seul parallèle entre les deux situations, celle de la jeune fille
et celle du volatile, c'est que dans les deux cas une oie blanche
passe à la casserole. Si cette comparaison vous paraît choquante,
souvenez vous que ce blog a une réputation à tenir ; et que ce
n'est pas demain la veille qu'on va se prendre au sérieux !
Puisque nous avons évoqué l'existence
d'autres versions de cette chanson, il en est une recueillie par P.
Coirault (2), dont la fin utilise une semblable comparaison
animalière :
Et j'avais le cœur aussi gai
Comme un pigeon qui sort de fue
La fue ou fuie étant un colombier,
cela conforte l'idée de notre version locale.
L'une des chansons notées par Coirault
possède un refrain qui résumerait assez bien la situation :
c'est la nuit, c'est le jour / c'est
la nuit que le temps m'y dure
Tout cela est d'un romantisme... !
notes
1 - mais qui aurait pu en douter ?
2 – publiée dans : Chansons
françaises de tradition orale – 1900 textes et mélodies collectés
par Patrice Coirault. Compilation de Marlène Belly et Georges
Delarue (BnF – 2013)
3 – définition donnée par Eloi
Guitteny dans « le vieux langage du Pays de Retz » (éd.
Plaisance - 1970)
interprètes :Christine
Dufourmantelle et Liliane Berthe
source : Quatre vingt
chansons du Pays de Retz, cahier du violoneux Poiraud, (fin 19è
siècle) compilé par Michel Gautier
catalogue P. Coirault : la
belle et la ceinture (2221 – larcins II)
De bon matin me suis levé
Ferlintintin hou la la la
Plus matin que de coutume, hé là
Plus matin que de coutume
Je suis allée dans mon jardin
Ferlintintin hou la la la
Pour cueillir l'herbe menue, hé là
Pour cueillir l'herbe menue
J'en ai pas cueilli trois brins
Ferlintintin hou la la la
Que mon amant est venu (e), hé là
Que mon amant est venu (e)
Dedans sa main il (e) tenait
Ferlintintin hou la la la
Une ben jolie ceinture, hé là
Une ben jolie ceinture
Mais la ceinture que c'était
Ferlintintin hou la la la
Elle me fut ben cher vendue, hé là
Elle me fut ben cher vendue
C'était de coucher avec lui
Ferlintintin hou la la la
Toute nue dans ma chemise, hé là
Toute nue dans ma chemise
Et quand ce fut sur les minuit
Ferlintintin hou la la la
Ah je me croyais perdue, hé là
Ah je me croyais perdue
Mais quand ce fut le matin jour
Ferlintintin hou la la la
Ah, j'étais bien éveillée, hé là
Ah, j'étais bien éveillée
Alors j'ouvrais des yeux si grands
Ferlintintin hou la la la
Comme une oie qui sort de mue, hé là
Comme une oie qui sort de mue
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