Rapt, enlèvement ou départ volontaire
? On peut voir de plusieurs façons l'aventure de ce garçon qui
profite de son activité pour emmener avec lui une fille du village,
au grand dam du galant qui le somme de rendre la fille.
On retrouve cette chanson un peu
partout dans le répertoire traditionnel. Elle fait systématiquement
référence à la Normandie, ce qui ne signifie pas pour autant
qu'elle y ait son origine. Avant que la bicyclette puis la voiture ne
viennent changer les habitudes de consommation, le petit métier de
marchand ambulant était présent partout.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Mercelot, mercier, mercillot,
merceron...d'un endroit à l'autre la dénomination du marchand
ambulant varie. Le fond de l'histoire reste le même. Autrefois, les
commerces de mercerie et autres articles n'existant que dans les gros
bourgs, cette profession répondait au besoin de ravitaillement d'une
clientèle rurale éloignée. Les détaillants confiaient leurs
marchandises à des merciers ambulants parcourant la campagne. C'est
dire que le petit mercelot de la chanson qui refuse obstinément
d'ouvrir sa valise au prétexte qu'il ne la déploie que dans les
grandes villes (Paris, Rouen, Nantes...) fait preuve d'une certaine
mauvaise foi.
Dans certaines régions c'est toute une
corporation qui s'est organisée autour du colportage, en particulier
dans les pays de montagne (1). Une variante de la chanson, publiée
par Jean Garneret (2), nous donne un aperçu plus complet du contenu
de la balle ou de la valise. Le vendeur y est connu comme le “petit
savoyard”. Comme dans toutes les versions de la chanson on y trouve
des couteaux et des ciseaux, des bagues pour les filles. Puis
il propose:
Je porte glace, peigne, et savon
D'la pommade pour ces filles
Les sept couplets suivants ajoutent:
tresse, fil et boutons, épingles, brosse, pinces à friser, bas
de laine et coton, jarretières, manchettes et corsets, ceintures,
croix et médaillons, colliers. La liste inclut aussi tire
bouchons et rasoirs mécaniques, et enfin:
Je porte romances et chansons,
Pour faire chanter ces filles.
L'intérêt de cette énumération est
de nous montrer que c'est une clientèle essentiellement féminine
que fréquente le petit mercelot. En outre, comme l'a bien noté
Simone Morand (3) le mercelot colportait aussi les nouvelles. “
Bien vus des jeunes filles et des dames ils servaient souvent de commissionnaires ou de porteurs de missives amoureuses”. C'est sans
doute cela qui lui vaut d'être brocardé par la chanson. Tout comme
pour le tailleur ou le couturier qui ont une trop grande proximité
avec femmes et filles (4), il est victime de la méfiance des maris,
fiancés ou amis. Dans la société rurale ancienne, on se fréquente
et se marie dans une zone proche du domicile. Une alliance avec un
garçon d'une autre paroisse ou d'un village voisin donne souvent
lieu à des railleries, voire des conflits. Alors, pensez donc, un
étranger venant soulever une conquête aux prétendants locaux !
C'est un sujet de fâcherie qui se traduit par cette chanson. Elle se
termine parfois le sabre en main pour défendre la fille. Il faut
dire que cette profession pouvait faire l'objet de convoitises et
d'agressions, en raison de la valeur des marchandises transportées.
Cette bagarre finale nous rappelle la scène vécue dans une autre
chanson “Pierre, mon ami Pierre” (N° 62 – mars 2014) au
dénouement tragique. Ici, le sang ne coule pas et la chanson nous
laisse espérer une conclusion plus heureuse.
La fille est-elle consentante ou pas ?
Rien ne permet de le dire quel que soit le déroulement de
l'histoire, qui laisse beaucoup de place à l'imagination. On a peine
à croire que la belle se laisse enfermer dans une malle sans y
prêter son concours. On est sans doute plus proche du désir de
changer d'air et de tenter l'aventure avec un voyageur que de rester
confinée dans son village.
Notre mercelot vient du répertoire de
M. Sébilot, chanteur et accordéoniste d'Herbignac, enregistré dans
les années 70 par Hervé Dréan. Bon nombre d'exemples de cette
chanson ont été collecté dans un rayon de 20 km autour de la
Brière. Vous pouvez, entre autres, écouter celle enregistrée à
Campbon chez Pierre et Marie Orain, qui figure dans notre “Anthologie
du patrimoine oral de Loire-Atlantique” (cf rubrique nos éditions).
notes
1 - il existe un très intéressant
musée du colportage à Soueix, en Ariège, qui explique cette
activité. A ne pas manquer si vous passez par le Couserans.
2 – chansons populaires comtoises –
Jean Garneret & Charles Culot – Folklore Comtois, Besançon
(1971) – tome 1 page 177 - collecte de H. Grospierre, début 20è
siècle
3 – Anthologie de la chanson de
Haute-Bretagne – Simone Morand – Maisonneuve et Larose (1976)
4 - écoutez, par exemple, la chanson
n° 165 le tailleur suspendu (septembre 2016)
interprète: Francis Boissard –
réponses: Jean-Louis Auneau, Dominique Juteau, Jean Ruaud
source: Edouard Sébilot,
d'Herbignac, enregistré en octobre 1978 par Hervé Dréan – publié
dans “Instants de mémoire” - éd. Musique Sauvage (2010) - vol.
1, page 64
catalogue Coirault :
Le petit mercelot (rapts - 01308)
catalogue C. Laforte :
La fille dans la valise (I, O-1)
C’était un petit mercelot , (bis)
Qui passait Normandie,
Don, don, diguedon,
Qui passait Normandie. (bis)
P'tit mercelot, beau mercelot
Qu’as-tu dans ta valise,
J’ai des couteaux, j’ai des
ciseaux,
Des bagues pour les filles
P'tit mercelot, beau mercelot
Défais moi ta valise
Là, il l'a prise il la poigna
La mit dans sa valise
Mais il l'a poigné trop long
Qu'on voyait sa chemise
Dans son chemin a rencontré,
Le galant de la fille
Qui lui as dit p'tit mercelot
Qu’as-tu dans ta valise,
J’ai des couteaux, j’ai des
ciseaux,
Des bagues pour les filles
Tu as menti p'tit mercelot
C'est une de nos filles
Tu la rendra p'tit mercelot
Ou tu perdras la vie
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