dimanche 8 septembre 2019

309 - Les filles de Saillé


S'il est un domaine où la chanson traditionnelle assure la parité, c'est celui de la boisson. Les femmes aussi savent lever le coude. Toutefois, si l'ivrognerie masculine produit plus de situations dramatiques c'est du coté de la gaudriole que penchent les excès de ces dames.
Après avoir dépensé sans compter, l'une d'elles se trouve gênée au moment où l'aubergiste présente la note. C'est là qu'on remarque les limites de la solidarité féminine. Heureusement l'impécunieuse peut compter sur l'intervention de son ami qui, après avoir bien profité de la scène, lui évite plus de désagréments.
Pour écouter la chanson et lire la suite :

Saillé, charmant village de paludiers, n'a pas l'exclusivité de cette chanson. Le type en est répandu aux quatre coins de l'hexagone (1). Toujours prêts à se moquer des voisin(e)s le chansonnier leur attribue des caractères aptes à déclencher la moquerie. C'est le principe du « blason populaire ». Remarquons tout de même que cette chanson se moque toujours des habitantes de petites communes voire de hameaux : Guérigny, Lorry, Maligné, Luthenay, Riaumont, Tinténiac...parfois imaginaires comme ce Bonzin introuvable en Charentes selon Jérôme Bujeaud qui y avait récolté la chanson. C'est aussi le cas de Talenson, localité désignée dans celle que nous avons enregistrée sur notre CD « chants des plaisirs de la table ». Ce patronyme vient du pays de Chateaubriant et fait écho au Balensac entendu un peu plus haut du coté de Bain de Bretagne.
Certaines de ces chansons débutent tout simplement par la formule « les filles de chez nous ». Ce n'est pas faire injure au village de Saillé que de le classer dans ces endroits « fantaisistes ». La réputation de Saillé n'est plus à faire : haut lieu de traditions, il suffit pour s'en convaincre de remarquer la fréquence de son apparition dans les chansons que nous avons déjà publiées ; et pas seulement du fait de son célèbre curé folkloriste.
Bref, les filles de Saillé se payent du bon temps. Parmi toutes les pochardes repérées dans le répertoire traditionnel, elles tiennent le haut du pavé :
Elles ont bu trente six pots, pintes et chopines
Seules les filles de Chantrans (2) font mieux : 80 pots pour faire passer 80 pains et un fromage. Mais on ne sait pas combien elles étaient à table ! Hormis ces exceptions, la norme habituelle de ces beuveries c'est 14 pots, pintes ou chopines, 14 plats différents et...une génisse. Ce chiffre quatorze paraît symbolique. Il signifie uniquement « beaucoup ». Probablement présent dans la chanson type originelle, ce chiffre a été repris dans la pluspart des versions. Ce n'est là bien sur qu'une supposition car nous ne connaissons pas l'origine exacte de cette chanson. Tout au plus, grâce à Puymaigre (3), connaissons nous l'existence d'une situation identique : « Auricoste de Lazarque nous apprend que dans la Jeune Mercière, comédie de Legrand, jouée à Lyon en 1694, on fait allusion à une aventure de ce genre : Oui, messieurs leurs galants les laissent en otage, Pour payer leur repas elles mirent en gage une bague, un collier, un cotillon fort beau, ne pouvant pas trouver crédit chez Funereau. »
La Guerdiche – un terme dont nous n'avons pas trouvé d'équivalent dans les parlers locaux (4) - c'est habituellement la plus jeune, ou la plus petite. Dans certains endroits elle se nomme Catherine ou Perrine. Peut-on imaginer un embryon de morale dans cette chanson qui ne l'est guère ? Jeunes filles, ne suivez pas le mauvais exemple de vos aînées débauchées ? C'est peut être donner trop de signification à un simple amusement.
Pour les amateurs de danses traditionnelles, signalons qu'une des versions collectées par Millien dans le Nivernais – Les filles de Luthenay - connait aujourd'hui une certaine popularité grâce à quelques groupes folk du centre-France qui en on fait une scottische. Ce qu'elle n'était manifestement pas à l'origine. Notre version paludière ne paraît pas se prêter à la danse ; juste à la plaisanterie.
Voilà donc une aventure qui finit bien, tout comme pour d'autres bonnes buveuses : Les filles de Campbon (chanson n°247 - avril 2018). Mais ici, pas besoin d'absolution, pas de pénitence où il faut embrasser le curé, juste penser à remercier le petit ami ?

notes
1 – Oui, on sait ! Pas complètement nuls en géométrie. C'est juste une figure de style
2 – c'est dans le Doubs. La chanson a été publiée par Garneret (chansons populaires comtoises, vol. 2)
3 – cité par Puymaigre dans : chants populaires recueillis dans le pays Messin (1881) page 75. Ernest Auricoste de Lazarque est un collecteur ayant lui aussi travaillé sur la région de Metz.
4 – proche de godiche (pas dégourdie) et de guerdin (avare), mais sans équivalent dans les différents lexiques de notre connaissance

interprètes : Annick Mousset, Isabelle Maillocheau, Béatrice Denoue
source : collecté par Gustave Clétiez, vers 1880 – publié par Fernand Guériff dans le « trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande », tome 1, page 197
catalogue P. Coirault : 11002 le galant généreux (Beuveries, ripailles de femmes et de filles)
catalogue C. Laforte : I, L-08, les filles au cabaret

Ce sont les filles de Saillé, Grand Dieu qu'elles sont jolies
Elles vont se promener, Jusqu'au Croisic
Lon lonla dérida
Les Saillotines
Sont descendues chez Chédanneau, pour boire chopine
Elles ont bu trente six pots, pintes et chopines
Elles ont mangé un bœuf gras, panse et les tripes
Tout le monde avait de l'argent, hors la Guerdiche
Faut lui ôter son jupon blanc, et sa chemise
Son amant qui était là se mit à rire
J'ai de l'argent dans mon gousset, c'est pour ma mie


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