S'il est un domaine où la chanson traditionnelle assure la parité,
c'est celui de la boisson. Les femmes aussi savent lever le coude.
Toutefois, si l'ivrognerie masculine produit plus de situations
dramatiques c'est du coté de la gaudriole que penchent les excès de
ces dames.
Après avoir dépensé sans compter, l'une d'elles se trouve gênée au moment où l'aubergiste présente la note. C'est là qu'on
remarque les limites de la solidarité féminine. Heureusement
l'impécunieuse peut compter sur l'intervention de son ami qui, après
avoir bien profité de la scène, lui évite plus de désagréments.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Saillé, charmant village de paludiers, n'a pas l'exclusivité de
cette chanson. Le type en est répandu aux quatre coins de l'hexagone
(1). Toujours prêts à se moquer des voisin(e)s le chansonnier leur
attribue des caractères aptes à déclencher la moquerie. C'est le
principe du « blason populaire ». Remarquons tout de même
que cette chanson se moque toujours des habitantes de petites
communes voire de hameaux : Guérigny, Lorry, Maligné,
Luthenay, Riaumont, Tinténiac...parfois imaginaires comme ce Bonzin
introuvable en Charentes selon Jérôme Bujeaud qui y avait récolté
la chanson. C'est aussi le cas de Talenson, localité désignée dans
celle que nous avons enregistrée sur notre CD « chants des
plaisirs de la table ». Ce patronyme vient du pays de
Chateaubriant et fait écho au Balensac entendu un peu plus haut du
coté de Bain de Bretagne.
Certaines de ces chansons débutent tout simplement par la formule
« les filles de chez nous ». Ce n'est pas faire injure au
village de Saillé que de le classer dans ces endroits
« fantaisistes ». La réputation de Saillé n'est plus à
faire : haut lieu de traditions, il suffit pour s'en convaincre
de remarquer la fréquence de son apparition dans les chansons que
nous avons déjà publiées ; et pas seulement du fait de son
célèbre curé folkloriste.
Bref, les filles de Saillé se payent du bon temps. Parmi toutes les
pochardes repérées dans le répertoire traditionnel, elles tiennent
le haut du pavé :
Elles ont bu
trente six pots, pintes et chopines
Seules
les filles de Chantrans (2) font mieux : 80 pots pour faire
passer 80 pains et un fromage. Mais on ne sait pas combien elles
étaient à table ! Hormis ces exceptions, la norme habituelle
de ces beuveries c'est 14 pots, pintes ou chopines, 14 plats
différents et...une génisse. Ce chiffre quatorze paraît
symbolique. Il signifie uniquement « beaucoup ».
Probablement présent dans la chanson type originelle, ce chiffre a
été repris dans la pluspart des versions. Ce n'est là bien sur
qu'une supposition car nous ne connaissons pas l'origine exacte de
cette chanson. Tout au plus, grâce à Puymaigre (3), connaissons
nous l'existence d'une situation identique : « Auricoste
de Lazarque nous apprend que dans la Jeune Mercière, comédie de
Legrand, jouée à Lyon en 1694, on fait allusion à une aventure de
ce genre : Oui,
messieurs leurs galants les laissent en otage, Pour payer leur repas
elles mirent en gage une
bague, un collier, un cotillon fort beau, ne pouvant pas trouver
crédit chez Funereau. »
La Guerdiche – un terme dont nous n'avons pas trouvé d'équivalent
dans les parlers locaux (4) - c'est habituellement la plus jeune, ou
la plus petite. Dans certains endroits elle se nomme Catherine ou
Perrine. Peut-on imaginer un embryon de morale dans cette chanson qui
ne l'est guère ? Jeunes filles, ne suivez pas le mauvais
exemple de vos aînées débauchées ? C'est peut être donner
trop de signification à un simple amusement.
Pour les amateurs de danses traditionnelles, signalons qu'une des
versions collectées par Millien dans le Nivernais – Les filles de
Luthenay - connait aujourd'hui une certaine popularité grâce à
quelques groupes folk du centre-France qui en on fait une scottische.
Ce qu'elle n'était manifestement pas à l'origine. Notre version
paludière ne paraît pas se prêter à la danse ; juste à la
plaisanterie.
Voilà donc une aventure qui finit bien, tout comme pour d'autres
bonnes buveuses : Les filles de Campbon (chanson n°247 - avril
2018). Mais ici, pas besoin d'absolution, pas de pénitence où il
faut embrasser le curé, juste penser à remercier le petit ami ?
notes
1 – Oui, on sait ! Pas complètement nuls en géométrie.
C'est juste une figure de style
2 – c'est dans le Doubs. La chanson a été publiée par Garneret
(chansons populaires comtoises, vol. 2)
3 – cité par Puymaigre dans : chants populaires recueillis
dans le pays Messin (1881) page 75. Ernest Auricoste de Lazarque est
un collecteur ayant lui aussi travaillé sur la région de Metz.
4 – proche de godiche (pas dégourdie) et de guerdin
(avare), mais sans équivalent dans les différents lexiques de notre
connaissance
interprètes : Annick Mousset, Isabelle
Maillocheau, Béatrice Denoue
source : collecté par Gustave Clétiez,
vers 1880 – publié par Fernand Guériff dans le « trésor
des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande »,
tome 1, page 197
catalogue P. Coirault : 11002 le galant
généreux (Beuveries, ripailles de femmes et de filles)
catalogue C. Laforte : I, L-08, les filles
au cabaret
Ce sont les filles
de Saillé, Grand Dieu qu'elles sont jolies
Elles vont se
promener, Jusqu'au Croisic
Lon lonla dérida
Les Saillotines
Sont descendues
chez Chédanneau, pour boire chopine
Elles ont bu trente
six pots, pintes et chopines
Elles ont mangé un
bœuf gras, panse et les tripes
Tout le monde avait
de l'argent, hors la Guerdiche
Faut lui ôter son
jupon blanc, et sa chemise
Son amant qui était
là se mit à rire
J'ai de l'argent
dans mon gousset, c'est pour ma mie
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