dimanche 15 septembre 2019

310 - Le moine et le cordonnier


Pour notre plus grand plaisir, certaines chansons traditionnelles exploitent un filon qui a fait la renommée du théâtre « de boulevard » avec son triangle infernal : le mari, la femme, l'amant. Quand, en plus, ce dernier rôle est tenu par un ecclésiastique, personnage dont il est assez mal vu de se moquer ouvertement, il s'ajoute à la gaudriole une forme de satire sociale qui ne peut guère s'exprimer autrement.
Notre chanson est localisée dans le bourg d'Escoublac (Escoubia) qui n'est plus aujourd'hui qu'un quartier de la grande station balnéaire de la Baule. La saison estivale vient juste de se terminer. Gageons qu'à l'époque où a été composée cette saynète le front de mer était beaucoup moins fréquenté.
Pour écouter la chanson et lire la suite :

Au théâtre, le retour précipité du cocu, généralement ponctué d'un « ciel mon mari ! », se traduit par un jeu de cache-cache dont l'accessoire principal est la penderie. Dans la société rurale des siècles précédents, penderies, placards et dressing-room n'avaient pas encore été inclus dans l'habitation. En revanche chaque maison disposait, en guise d'ameublement principal, d'un coffre. La maie fait bien souvent office de fourre tout, de la garde robe au vaisselier, du moins avant que des meubles spécialisés ne remplissent ces fonctions. La maie sert parfois de table aussi bien que de buffet. Ce qui explique qu'elle soit d'une taille conséquente et permette d'y cacher un adulte.
Le père trouve au moins un allié dans cette chanson. Le petit enfant est tout fier de dénoncer la présence de l'intrus. Cette situation ne nous est pas inconnue. On la retrouve, de manière dramatique cette fois, dans la chanson de l'empoisonnement du mari (cf chanson n°224 en novembre 2017).
La vengeance du mari trompé se porte sur le religieux, tantôt présenté comme moine ou comme curé. Ceci prouve bien que ce sont les travers des hommes d'église qui sont principalement dénoncés. D'autres corporations sont régulièrement visées dans ces chansons, en particulier les meuniers ou les tailleurs dont le caractère débauché est souvent rapporté.
Dans d'autres versions de cette chanson quand ce n'est pas le petit enfant qui vend la mèche, c'est le chien qui flaire une présence étrangère. Mais à chaque fois l'aventure se termine par une transaction pécuniaire. Après avoir flanqué une trouille mémorable au moine, le mari est en position de force pour rentabiliser sa situation de cocu.
Si les amants sont généralement issus de ces mêmes milieux, d'une chanson à l'autre les maris appartiennent toujours à des corporations d'un milieu social très modeste : cordonnier ou sabotier le plus souvent. En matière de métiers peu valorisants, le folklore anglo-saxon nous offre une chanson similaire avec un taupier (the molecatcher). Surprenant l'amant de sa femme il veut lui aussi le faire payer. Mais devant la modicité de la somme l'amant se console en se disant que chaque visite ne lui a finalement pas coûté trop cher. Pas très moral ! Mais ce sera, pour aujourd'hui notre façon de protester contre le brexit.

interprètes : Annick Mousset et Isabelle Maillocheau
source : Fernand Guériff – le trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande, tome 3, page 158 - « chanté par Mme Villais, d'Escoublac, d'après sa grand-tante Mahé, et par la mère Morin, fermière ».
catalogue P. Coirault : 9209 le curé dans la maie

C'est au bourg d'Escoubiâ, p'tit cordonnier l'y a (bis)
Il a t'une femme qui n'est pas à lui (ou : qui est trop jolie)
Les curés et les moines sont tout le temps chez lui

Par un lundi matin le p'tit cordonnier s'en va (bis)
Prit une paire de bottes, la mit dans son bissâ (bis)

Pour lui jouer un tour, est revenu le même jour (bis)
« Ouvre moi la porte femme promptement !
J'ai la goutte à la jambe et la fièvre me prend ! »

N'est pas sitôt rentré, demande le curé (bis)
« Le curé mon père, il est dans la maie,
En place ordinaire où ma mère le met

Liez, liez mes bœufs, liez les promptement (bis)
Je par à Guérande, vendre la maie et tout dedans
J'en trouve six pistoles, ou je fous le feu dedans

Y'a pas de feuilles sur l'arbre qui tremblaient plus fort
Que le pauvre moine qui respirait la mort
« Ouvre moi la porte, p'tit cordonnier joli,
J'irai plus voir femme qui aura mari

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