vendredi 5 juillet 2019

303 - C’est un jeune militaire


Serait-ce avec un bel esprit d'à propos que nous aborderions la fête nationale en chantant les militaires ? Non point ; Si le jour du quatorze juillet vous restez dans votre lit douillet et que la musique qui marche au pas cela ne vous regarde pas, inutile de vous alarmer. Cette chanson parle de militaires mais sans arrière pensée militariste.
Ce n'est même pas un chant de marche ; plus souvent ses paroles ont servi à faire danser en rond, en particulier en pays nantais. C'est une histoire d'amours contrariées en un temps où les parents s'imaginaient mettre fin à une liaison en enfermant une jeune fille au couvent ou dans une tour. La chanson traditionnelle n'hésite pas à fustiger ces méthodes archaïques et leur inutilité.
Pour écouter la chanson et lire la suite


Il est vrai que les personnages militaires hantent les chansons traditionnelles avec plus ou moins de bonheur. C'est rarement positif pour le simple soldat. Les combats, quand il en réchappe, lui laissent rarement le loisir de passer voir ses proches lui faisant plutôt passer l'arme à gauche ! Et quand par hasard il revient chez lui c'est pour trouver sa femme remariée.
Des caporaux et des sergents, chargés de la discipline, la tradition ne retient guère que des aspects négatifs, comme pour celui qui essuie son visage avec un mouchoir blanc alors qu'il va fusiller son camarade déserteur. Faut-il rappeler le triste sort du porte-enseigne (ou du colonel ; c'est selon) qui agonise sur le champ de bataille, au désespoir de revoir sa blonde. Une catégorie d'officiers échappe cependant à cette sinistrose et se trouve souvent mise en valeurs : les capitaines.
On vous entend d'ici dire que vous avez bien écouté la chanson et n'y avez trouvé aucune allusion à ce gradé. C'est vrai avec cette version apprise à Saint Lyphard, en Brière, de Mme Gouesmat. Mais quand on la compare avec les nombreuses autres occurrences de ce texte force est de constater qu'il évoque le plus souvent :
Un jeune capitaine, revenant de guerre, cherchant ses amours...
Le capitaine serait-il le gendre idéal ? Rien n'est moins sur si on se fie aux chansons. Il en est qui traitent leur amie de « vilaine ». D'autres qui la traînent dans une hostellerie l'obligeant à faire la morte pour « son honneur garder ». Ces attitudes machistes ne semblent pourtant pas décourager la jeune fille à qui on propose un mariage avec le plus beau des soldats qui est dans nos armées et qui répond dédaigneusement qu'elle ne s'intéressera qu'à un capitaine.
C'est peut-être pourquoi le maréchal de France (1), qui connait bien l'esprit de ces militaires, cherche à enfermer sa fille. Oui mais voilà, dans les chansons traditionnelles les amours contrariées ne sont là que comme des épreuves pour le blanc chevalier qui doit délivrer sa belle des griffes de son dragon de père. L'abominable vieillard menace de noyer sa fille. C'était sans compter sur la bravoure de l'amoureux et tout est bien qui finit bien. Cette comparaison avec un thème chevaleresque plus ancien n'a rien d'impossible si on se souvient, entre autres, de la chanson de la belle enfermée dans la tour. C'est la même histoire avec des moyens différents utilisés par les amoureux pour se retrouver.
La mélodie de notre chanteuse, bien que différente du standard habituel, est apparentée au timbre original (2). La chanson est si connue que deux écrivains du 19è siècle s'en sont fait écho dans leurs ouvrages: Gérard de Nerval et Honoré de Balzac (3).
Les derniers couplets de la chanson font penser aux habits de noces. Bien des versions l'expriment plus clairement:
A la troisième ville
Son amant l'habille
En épousements
Compte tenu de l'attitude du beau-père on imagine bien l'ambiance au mariage: glaciale !
En attendant c'est encore au régiment que la plupart des chansons se terminent:
Elle était si belle
On chantait pour elle / on ne voyait qu'elle
dans tout le régiment
ou bien
Elle passait pour reine
dans tout le régiment
Et pour nous faire mentir, il est des versions aux allures guerrières:
Allons partons belle,
Partons pour la guerre,
Partons il est temps
Ce qui a permis à certains historiens (Doncieux, Davenson...) d'affirmer qu'on tenait là une chanson de soldats. Au risque de les contredire nous préférons rester sur le thème de la chanson d'amours. La guerre dont il est question est plus surement celle qui se déroule sous les draps de lit avec des combats plus proches du corps à corps que de la bataille rangée.
C'est sur cette morale qui ne l'est pas que nous vous quittons. Les semaines prochaines ne verront peut être pas une parution aussi régulière comme chaque fois que reviennent les vacances d'été. Rassurez vous, la source n'est pas près de se tarir nous n'avons publié à ce jour qu'à peine plus de trois cent chansons. Il en reste des milliers d'autres.
Profitez bien des vacances

notes
1 - Maréchal de France ou tantôt: Général, Sénéchal, ou encore beau Roi de France. Ce qui n'explique pas pourquoi dans certains textes la fille s'en va à Bruxelles ou devient Reine de Belgique
2 – d'après P. Coirault le timbre serait un vieil air de chasse datant de 1764. Coirault a publié une étude complète sur cette chanson dans “formation de nos chansons folkloriques”, tome 2 pages 305-315
3 – vieilles chansons du Valois, dans la Sylphide en 1842 pour Nerval – Les chouans en 1827 pour Balzac

interprète : Aurélie Aoustin
Source : Antoinette Gouesmat, née Legal, enregistrée au Pélo, en Saint-Lyphard (44) le 3 octobre 1991 par Yves Maurice
catalogue P. Coirault : Brave capitaine (Traverses – N° 1425)
catalogue C. Laforte : La fille du maréchal de France (2-A-75)

C’est un jeune militaire
Revenant de la guerre
En cherchant ses amours

Il les a tant cherchées
Qu’il les a retrouvées
Hélas, dans un couvent

Dis-moi donc, la belle
Le cœur plein de peine
Qu’est-ce qui t’a mis là

Amant, c’est mon père
Amant, c’est ma mère
Pour l’amour de toi

Demande à mon père
Demande à ma mère
Quand je sortirai

Maréchal de France
Votre fille me demande
Quand elle sortira

Brave militaire
Ne pense pas tant de peine
Car tu n’l’auras pas

Je l’aurai sur terre
Sur terre ou sur mer
Ou par trahison

Le père en colère
Il attrapa sa fille
Il pense la noyer

Mais l’amant si brave
Se jette à la nage
La rattrape aussitôt

A la première ville
Son amant l’habille
Tout en satin blanc

A la seconde ville
Son amant l’habille
Tout en diamants

A la troisième ville
Son amant l’habille
En or et en argent.


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