vendredi 15 mars 2019

287 - Mon père avait une bique


Cette chanson est organisée comme une fable. En utilisant la farce qui conduit une chèvre devant la justice, c'est une satire de tout l'appareil judiciaire qui nous est présentée. Tout comme le clergé, les juges et les avocats sont souvent tournés en ridicule par des chansons aux allures innocentes. La présentation comique permet de critiquer des institutions dont il n'est pas possible de dénoncer ouvertement les travers. La littérature du 15è siècle nous en donne un bel exemple avec la farce de maître Pathelin. La « bique au parlement » fait partie des chants les plus souvent collectés (1) dans toutes les régions et particulièrement dans la notre.
pour écouter la chanson et lire la suite :


D'après l'étude réalisée par Patrice Coirault, c'est en 1701 que ce texte a été imprimé pour la première fois. Il apparaît dans les « chansons gaillardes et sérieuses » de Nicolas Parmentier. Une seconde publication en 1728 précise que c'est « une chanson qui n'a pas cent ans ».
Nous n'avions que l'embarras du choix entre les recueils anciens et les collectes récentes pour vous la présenter. La version que nous vous proposons est extraite du tome 3 du « Trésor des chants populaires du pays de Guérande » de Fernand Guériff. Il tenait cette version de sa grand mère paternelle Jeanne Barbier, qui la lui a chanté en 1936 alors qu'elle avait 78 ans. La grande diffusion de ce texte a donné tellement de versions différentes que nous pouvons faire quelques comparaisons.
Neuf fois sur dix le procès est intenté à une chèvre. Mais il arrive encore assez souvent que l'accusée soit une vache, un âne ou une ânesse. Les publications du 18ème siècle ont pour refrain des ritournelles en lantire lire lire ou mon enfant, qu'on retrouve parfois dans les collectes récentes. Toutefois, les refrain les plus courants sont basés soit sur la formule :
Elle a de l'entendement ma bique
Elle a de l'entendement
soit, comme ici, sur la ritournelle
En gragrinotant de la goule
Et grinçant des dents...
Des quasi onomatopées qui, selon les endroits, se déclinent en babinochant ou birebinottant pour les mouvements de la gueule et encore plus pour le grincement de dents : rechignant, guenochant, gringuenassant, gringuenaudant, grichotant, fringolentant, etc
Intéressons nous maintenant au déroulement de l'histoire, immuable, mais avec des épisodes plus ou moins mis en avant. Quel que soit le motif de son incartade (elle n'avait pas envie d'aller au champ ou bien voulait visiter ses parents) le motif du litige (quelques choux ou poireaux détériorés) entraîne une réaction disproportionnée : elle est assignée par quatre vingt sergents !
Celui qui est lésé dans l'histoire, et fait figure de procédurier, s'appelle le plus souvent Durand, patronyme tellement répandu que ce pourrait être n'importe qui. Mais c'est parfois chez Jean Bertrand ou Grand Jean que l'animal fait du dégât, quand ce n'est pas simplement chez un Normand, ou un Allemand.
La satire de l'appareil judiciaire ne s'arrête pas à la mise en branle de tout un système pour une broutille. Le principal reproche fait à la justice c'est que les gens du peuple y sont toujours perdants. Les juristes utilisent des formulations incompréhensibles et qui plus est, en latin. Des versions de la chanson, comme celle notée par Abel Soreau (2), nous le résument ainsi :
Avisant un grand livre
E' s'met à lire dedans
J'n'y comprend rien dit-elle
C'est du nèr' et du bianc
Mais j'vois ben qu'mon procès
N'ira point en maudrant (avançant)
Un autre épisode de l'affaire n'est pas mené à son terme dans notre version mais apparaît dans d'autres. Quand la bique enfonce ses cornes dans le cul du président :
elle en retire de l'onguent
pour en graisser la langue
aux avocats plaidant
On peut imaginer que la grand-mère de Fernand Guériff n'ait pas souhaité apprendre à son petit fils cette autre manière de chanter « j'emmerde les gendarmes » !
Les archives du moyen-âge nous apprennent que des procès d'animaux ont été organisés. Il s'agissait en particulier d'animaux s'étant attaqués à des humains. On cite le cas d'enfants dévorés par des porcs, solennellement condamnés à mort en représailles. Orain dans son « folklore de L'Ille et Vilaine » en donne un exemple jugé à Rennes où une truie fut pendue. La chanson semble plus récente que ces faits qui remontent au 14è siècle pour les plus proches.
Quoi qu'il en soit ce ne sont pas les procès d'animaux que dénonce cette chanson, mais bien le fonctionnement d'un appareil judiciaire dont les petites gens – représentés ici par la chèvre – sortent toujours perdants.

notes
1 - Coirault 116 occurrences dans le répertoire de la chanson de P. Coirault ; 121 versions recensées par C. Laforte
2 – vieilles chansons du pays nantais, fascicule 3 – Abel Soreau (1903)

interprète : Francis Boissard
source : La chèvre au parlement – Fernand Gueriff, chansons de Brière, de Saint Nazaire et de la presqu'ile guérandaise, tome 3 p 60 (édition : Dastum 44 et Parc naturel régional de Brière – 2009)
catalogue Coirault : 10607 – la chèvre au parlement
catalogue C. Laforte : I, C-11 - la chèvre au parlement

Mon père avait une bique
qui avait de l'entendement
Un jour lui prit envie
D'aller voir ses parents
R.
En gragrinotant de la goule
Et grinçant des dents

Elle a voulu passer Par le champ à Durand
Elle a mangé trois choux, en a cassé autant
Durand la fit appeler chez le juge au canton
Elle fut assignée par quatre vingt sergents
Elle s'asseoit sur un banc la queue toujours dressant
Elle a fait un gros pet pour monsieur le président
Et un panier de crottes pour messieurs les sergents
C'est pour les écoutants
Elle enfoncit ses cornes
dans l'derrière du président


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