Le moins qu'on puisse dire de cette
chanson c'est qu'elle est énigmatique. Ce n'est pas dans le sens
d'énigme policière comme la complainte de la semaine dernière,
encore qu'ici aussi il soit question de tuer. Mais, justement, cette
façon de vouloir se débarrasser d'un rival amoureux nous paraît
trop abrupte pour qu'on puisse l'interpréter au premier degré.
Cette histoire a, sans doute, une autre origine difficile à déceler.
L'air que nous interprétons est lié à
une variante de rond du pays paludier, dansée au Croisic. La chanson
semble très connue dans la presqu'ile guérandaise où elle a été
recueillie de plusieurs sources et à plusieurs époques. Une de ces
sources figure dans notre Anthologie du patrimoine oral de
Loire-Atlantique (1), publiée en 2012.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Le sens exact des paroles nous échappe
aujourd'hui. Il semble faire référence à des coutumes qui non
seulement n'ont plus cours mais étaient déjà obsolètes au moment
ou ce texte a pu être collecté. Nous ne parlons pas seulement des
collectes de Fernand Guériff dans les années 50. Les premiers à
publier cette chanson au 19è siècle s'interrogeaient aussi sur sa
signification. Par exemple, les versions entendues en Poitou par Léon
Pineau et Jérome Bujeaud (2) font plus ou moins explicitement
référence au rituel des journées de noces et à l'importance des
couleurs dans le vêtement. Bujeaud parle de la coutume des livrées
qui débutait jadis la journée des noces : « la fiancée
distribuait la livrée aux invités, rubans de couleur d'amour (rose)
ou d'espérance (verte) que les filles accrochaient à leur ceinture
et les garçons à leurs chapeaux. » Le dernier couplet de sa
version dit :
j'ai perdu ma fiancée
Dès le soir du jour
Où je l'aurais trouvée
je la déceinturerais
de sa ceinture dorée
et la receinturerais
de la mienne argentée
Dans celle imprimée par Léon Pineau
la couleur change :
les filles de ton village ne
sont-elles pas gentilles
Tu dois bien le savoir, tu les as
fréquentées
T'en as bien gardée une sept ans
enfermée
au bout de sept ans la belle s'en
est allée
...
Ce n'est plus temps galant, les
livrées sont données
Y'en a plus qu'une noire, une noire
livrée
Je la mettrai à mon chapeau, je la
ferai parivoler
La chanson citée par Bujeaud était
interprétée « sur un air mélancolique ». Après cette
coutume des livrées « on se mettait en marche en chantant
d'une voix lente » ces couplets.
Hormis cet exemple, toutes les autres
versions sont associées à des danses. Ainsi, une chanson très
proche a été recueillie dans les Pyrénées (3) où elle était
chantée sur un air de branle de la vallée d'Ossau. Le fait que la
chanson serve de support à la danse n'a pas de signification en lui
même. Ce n'est pas la première fois qu'on rencontre un texte à
danser qui évoque des événements tragiques. Cela vient renforcer
l'idée qu'il ne faut pas prendre au premier degré cette envie de
meurtre sur la personne du rival. Pas plus que le fait de tenir la
fillette enfermée sept ans dans une chambre. Nous sommes
probablement en présence d'une chanson qui marquait une rupture
définitive avec d'anciens prétendants au moment de la cérémonie
du mariage. On retrouve cette fonction dans une autre chanson
interprétée dans ce blog (le bouquet de saulde – chanson n° 194,
mars 2017). Ceci n'est bien sur qu'une hypothèse. Nous n'avons pas
la prétention d'expliquer ici ce que les chercheurs n'ont pas pu
nous affirmer avec certitude.
Certaines versions trouvées en
Loire-Atlantique ont des couplets supplémentaires qui vont bien dans
les sens d'un second degré. Celle notée pour Armand Guéraud à
Blain précise:
Je m'en irais dansant,
Je m'en irais chantant
avant de passer à l'action contre le
marié. Dans une version du Pays de Retz la finale donne :
J'enlèv'rais la mariée
Tous les gens de la noce
Seraient bien attrapés
Le plus souvent la chanson se termine
avec le couplet je tuerai le marié...
A partir de là, les derniers couplets de notre chanson s'articulent différemment des précédents. Ce qui
laisse supposer un ajout effectué par une personne qui ne trouvait
pas très moral de finir sur un meurtre et un enlèvement !
notes
1 - Anthologie du patrimoine oral de
Loire-Atlantique – double CD/livret édité par Dastum 44 pour ses
20 ans en 2012 (cf. page éditions)
2 – J. Bujeaud, chansons populaires
des provinces de l'ouest, tome 2 page 4 (1895) – L. Pineau, le
folklore du Poitou, page 221 (1892)
3 – J. Poueigh, chansons populaires des
Pyrénées françaises, page 287 (1926)
interprète : Janig Juteau, avec
Janick Péniguel, Liliane Berthe et Christine Dufourmantelle
source : Janig Juteau –
chanson apprise de son père, Maxime Hervy, au Croisic - Ce rond du
Croisic figure dans le tome 4 (p. 77) des chansons du pays
guérandais, de Fernand Guériff , édité en 2013 par Dastum 44 et
le Parc naturel régional de Brière.
catalogue P. Coirault : La
fille que l’on a gardé sept ans enfermée (Demandes en mariage…
- N° 4812)
Gai rossignolet du bois
(rond du Croisic)
Gai rossignolet du bois, ô gué lon la
( bis )
Apprends-moi ta chanson, lire lon lire
Apprends-moi ta chanson, lire lon la
Dis-moi s'il fait bon aimer
Fillette à marier
J'en ai gardé une sept ans
Dans ma chambre enfermée
Ah, si je savais le jour
Qu'elle serait mariée
Je prendrais mes beaux gants blancs
Ainsi qu'ma belle épée
Je tuerai le marié
J'aurais sa mariée
Le soir à mes côtés
Mais si tu voulais, fillette
Me laisser t'épouser
Je n'aurais pas à tuer
La fillette était trop belle
Mon rêve trop insensé
D'en faire ma mariée
Le rossignolet du bois
S'est remis à chanter
Et moi, j'en ai pleuré.
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