vendredi 3 février 2017

186 - Sous un saule

Les gens qui sont jeunes pourquoi dorment-ils ? Ce refrain fait étrangement écho à celui chanté par le coq sur le pont (1). Ah si seulement elle avait vu son ami, la fin de la chanson aurait été tout autre ; encore une occasion manquée !
Il lui a mis une rose dans la main. Nous laisserons aux spécialistes du langage des fleurs et des relations amoureuses le soin de décoder ce geste. Nous nous contenterons de relever dans cette chanson un autre détail, vestimentaire, qui peut passer aujourd'hui pour anachronique.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Cette chanson a été collectée au dix neuvième siècle dans le Pays de Retz. Connue et répertoriée à cette époque dans à peu près toute la francophonie, elle est, en revanche, peu présente dans les collectes plus récentes. On peut y voir deux explications :
1 - Elle présente des traits caractéristiques d'une période révolue. Ce n'est pas tant l'attitude de l'amoureux qui n'ose pas éveiller sa belle. Aujourd'hui il hésiterait moins, quitte à se prendre une baffe. Mais là n'est pas l'essentiel. La belle éveillée reconnaît son ami grâce à la description de son vêtement :
Il a l’habit vert, les parements gris
Cette phrase nous reporte à une époque où le vêtement était coloré. Des fresques anciennes aux tableaux de la renaissance, il ne manque pas d'illustrations pour le rappeler. L'habit vert ne semble connu que dans notre région ; ailleurs le galant porte plus fréquemment :
Les bas rouges et un pourpoint gris...
Les bas rouges et l'habit cramoisi...
Un habit rose doublé de satin gris...
etc
Conrad Laforte (2) suppose la chanson originaire du moyen-âge où « on sait que les couleurs avaient une signification emblématique au temps de la chevalerie et que l'amant portait les couleurs de sa belle ». Sans remonter jusque là, il faut bien admettre que la mode a considérablement évolué. De nos jours cette reconnaissance par le vêtement ne serait plus possible. Nous avons opté depuis longtemps pour des couleurs ternes. Dans le milieu des affaires même le costume bleu marine a laissé place à des nuances qui vont du gris souris au gris anthracite, avec cravate assortie. Si vous croisez aujourd'hui un quidam habillé en couleurs vives, c'est probablement un supporter de football aux couleurs de son équipe.
2 - Elle devait servir à faire danser en rond. Ces rondes chantées ont été assez bien préservées dans des territoires proches (Noirmoutier, Yeu, Guérande). Dans le pays de Retz, comme en de nombreux endroits, elles ont pratiquement disparu avant que le mouvement folklorique ne puisse s'en emparer. Les rares exemples actuels ne sont généralement que des tentatives de reconstitution.
Tel n'est pas le cas dans le Berry, où le revivalisme a préservé les ronds dits d'Argenton. Une version de cette chanson a été enregistrée par Mic Baudimant sur le CD Hommage à Barbillat et Touraine, paru en 1998.
Désuète ou pas, cette chanson garde tout son intérêt avec son refrain qui rappelle que la vie est trop courte pour passer son temps à dormir.

notes
1 – vive la jeunesse qui ne vit que d'amour. C'était il y a deux semaines, la chanson n° 184. Vous aviez déjà oublié ?
2 – Survivances médiévales dans la chanson folklorique – Corad Laforte – Presses de l'univertité de Laval (Canada) 1981

interprètes : Jean-Louis Auneau avec Daniel Lehuédé, Jean Auffray et Dominique Juteau
source : quatre vingt chansons du Pays de Retz, cahier de chansons du ménétrier Poiraud, compilé par Michel Gauthier
Catalogue Coirault 1604 – endormies : la belle endormie sur ces côtes
Catalogue Laforte : 1, G-9, la belle dormeuse et la rose

Sous un saule (les gens qui sont jeunes)

Là bas sous un saule la belle s'endormit (bis)
Par le chemin passe Colin son ami
Les gens qui sont jeunes pourquoi dorment-ils (bis)

Par le chemin passe Colin son ami
Cueillit une rose, dans la main lui mit
L’odeur de la rose, la belle s’éveillit
Ah grand Dieu dit-elle, qui m’a mis ceci
Votre amant la belle, passant par ici
Mon amant dit elle, quel habit a-t-il
Il a l’habit vert, les parements gris
Ah grand Dieu dit-elle, c’est bien mon ami
Maudite soit l’heure où j’ai tant dormi
Qui m’a empêché de voir mon ami


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