Nous aurions bien voulu trouver une
chanson collant à l'actualité, mais celle ci ne fait vraiment aucun
effort. Entre le rot de foute (1), la loi travail, daesch, brexit et
printemps pourri...Bref, nous sommes le 25 juin soit, pile poil, à
l'opposé des fêtes de Noël. C'est donc un texte en relation avec
le cycle de la nativité que nous vous proposons cette semaine :
la fuite en Egypte.
Malgré les personnages mis en scène,
cette chanson est bien loin du cantique ou du sujet strictement
religieux. Certes, les raisons de cette fuite, nécessaire pour
protéger le nouveau né, sont évoquées dans les évangiles(2).
Mais les premiers miracles qui l'accompagnent ne sont pas extraits
des textes du nouveau testament. Ils doivent tout à des légendes,
des traditions issues de l'imagination populaire. Ce qui nous ramène
dans notre domaine de prédilection.
Pour écouter la chanson et lire la
suite :
Deux miracles attribués à l'enfant
Jésus retiennent l'attention. Le premier fait se courber un arbre
chargé de fruits pour étancher la soif de la Vierge Marie. Le
second est destiné à décourager les poursuivants, soldats du roi
Hérode. C'est l'objet de cette chanson assez répandue dans la
tradition populaire de toutes les régions. Notre version est
extraite de l'ouvrage consacré aux noëls de la presqu'ile
guérandaise par Fernand Guériff. Nous l'avons complétée par deux
couplets d'une autre version, pour lui garder sa cohérence.
Ces épisodes ne proviennent donc pas
des évangiles, mais de textes anonymes habituellement appelés
« évangiles apocryphes ». Ces textes prétendent
compléter les récits des apôtres sur des points qui ne sont pas
abordés dans les évangiles, comme l'enfance de Jésus, par exemple.
En fait ils doivent beaucoup à l'imagination et au besoin de
croyances populaires. Ils contiennent des faits peu crédibles dans
un cadre religieux, mais qui présentent des similitudes avec des
légendes ou des contes dont l'origine, dans le temps comme dans
l'espace nous est inconnue. La religion est-elle la source de ces
péripéties ou bien a-t-elle été influencée par d'autres
sources ? C'est un peu la même problématique pour tous les
sujets religieux en marge des textes officiels ; l'histoire des
multiples saints bretons par exemple. Le folkloriste Conrad Laforte a
fort bien résumé le phénomène : pour lui, ces textes
apocryphes ont été intégrés depuis des siècles à une
tradition plus vaste, celle des croyances et des contes. Il n'en
demeure pas moins que la plupart de ces chansons participent à cet
esprit qui a animé les apocryphes et par lequel une foi certaine
s'exprime à travers des images simples dont on se souvient
facilement et qui stimulent l'imagination. ou encore qu' on
attribue à l'enfant Jésus des pouvoirs extraordinaires qui se
révèlent à la limite de la magie. Ce recours au merveilleux
désintéressé et concret paraît caractéristique du phénomène
religieux populaire dans lequel le rationnel est moins sollicité que
l'auditif ou le visuel (3).
Pour en revenir au sujet du jour, on
peut résumer l'histoire ainsi : Jésus et ses parents, Marie
et Joseph, rencontrent un paysan en train de semer. Jésus jette une
poignée de blé dans le champ. Le blé lève miraculeusement. Le
paysan est déjà en train de faucher lorsque des soldats d'Hérode
lui demandent s'il a vu passer une femme portant un enfant. Il répond
qu'ils sont passés quand il ensemençait son champ. Les soldats
renoncent alors à poursuivre les fugitifs qui doivent être déjà
très loin.
Une telle aventure rappelle par bien
des aspects certains contes populaires ou le héros est contraint
d'utiliser des subterfuges ou des pouvoirs surnaturels pour échapper
à un monstre ou au diable. Ici, c'est Hérode qui personnifie le
diable. Ce roi Hérode avait appris des mages venus à Bethléem la
naissance d'un « roi des Juifs ». Se sentant menacé il
envoya tuer tous les enfants de moins de deux ans dans cette ville.
Une action qui n'a rien a envier aux péripéties décrites dans
certains contes ! La chanson nous apprend que la sentence du roi
frappa même son petit fils.
L'évangile de Saint Mathieu nous
apprend que la sainte famille resta en exil jusqu'à la mort
d'Hérode, et encore méfiante, ne revint finalement pas à Bethléem
mais à Nazareth, en Galilée. Mais si ce texte est facile à dater,
son auteur étant connu, il n'en est pas de même pour toutes les
histoires inventées pour répondre aux besoins de la croyance
populaire. Henri Poulaille qui a consacré plusieurs ouvrages aux
noëls, ne date pas précisément la chanson qu'il classe dans les
« noëls régionaux »(4).
Nous reviendrons prochainement avec des
chants de saison (si le temps le permet) mais ne négligerons pas
pour autant les chants de noël qui constituent un genre particulier
des chansons traditionnelles. Enfin, ne voyez dans la publication de
cette semaine aucune allusion à la livraison de porte-hélicoptères
à l'Egypte par les chantiers de Saint Nazaire. Ce serait un peu trop
capillotracté.
notes :
1 – « Le rot de foute »
est l'appellation détournée par l'ami Pierre, qui héberge nos
sessions mensuelles de chant traditionnel dans son bistrot-grignotte
« Mon Oncle », rue d'Alger à Nantes
2 - La Fuite en Égypte et le Massacre
des Innocents sont racontés dans un passage de l'Évangile selon
saint Matthieu (Mt 2, 13-23)
3- de « chansons folkloriques à
sujet religieux » de Conrad Laforte et Carmen Robergue, presses
de l'université de Laval, Québec 1988
4 - La grande et belle bible des noëls
anciens – Henri Poulaille – Albin Michel, 1951 – p. 205
interprète : Janick
Péniguel
source : Fernand Guériff,
tome 5, la belle bible des noëls guérandais, page 101 – recueilli
à Saint Nazaire, de sa mère – complété par trois couplets
recueillis en Nivernais par Achille Millien (couplets en italique)
catalogue Coirault : la
fuite en Egypte 3 – 8713
catalogue Laforte : la
fuite en Egypte : le blé – I, A-02
La fuite de Marie (le miracle du blé)
L'ange Gabriel vint dire à Marie (bis)
Marie, Marie, il faut vous en aller
Car le roi Hérode cherche à vous tuer
Marie monta dans son cabinet
De bleu et blanc elle s'était habillée
Tenant dans ses bras son fils nouveau
né
Marie portant son enfantelet
S'est ensauvée sur un petit baudet
Courre, courre, courre à grands coups
de fouet
Marie passa au milieu d'un bois
Trois fois chanta le rossignol joli
Chante, rossignol chante, pour Jésus
mon fils
Marie passa au milieu d'un pré
Semez, semez laboureurs votre blé
Dans bien peu de temps, vous le
couperez
Elle ne fut pas aussitôt passée
Le roi Hérode avec toute son armée
Laboureur as tu vu une dame passer ?
Oui, roi Hérode, je l'ai vue passer
C'était pendant que je semais mon
blé
Et maintenant le voilà coupé
C' que nous cherchons ne s' trouve
pas ici
Tous les enfants que nous allons
trouver
Dans leur petit ber, nous allons les
tuer
Hérode fit tuer tous les innocents
Il fit tuer jusqu'à son petit fils
Car il croyait que c'était
Jésus-Christ
"ils sont passés quand il ensemençait son champ. Les soldats renoncent alors à poursuivre les fugitifs qui doivent être déjà très loin" => même motif dans la légende de saint Cornély/Corneille, pape en fuite... et l'armée romaine qui sera statufiée en autant de menhirs alignés à Carnac
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