vendredi 24 juin 2016

158 - La fuite de Marie (le miracle du blé)

Nous aurions bien voulu trouver une chanson collant à l'actualité, mais celle ci ne fait vraiment aucun effort. Entre le rot de foute (1), la loi travail, daesch, brexit et printemps pourri...Bref, nous sommes le 25 juin soit, pile poil, à l'opposé des fêtes de Noël. C'est donc un texte en relation avec le cycle de la nativité que nous vous proposons cette semaine : la fuite en Egypte.
Malgré les personnages mis en scène, cette chanson est bien loin du cantique ou du sujet strictement religieux. Certes, les raisons de cette fuite, nécessaire pour protéger le nouveau né, sont évoquées dans les évangiles(2). Mais les premiers miracles qui l'accompagnent ne sont pas extraits des textes du nouveau testament. Ils doivent tout à des légendes, des traditions issues de l'imagination populaire. Ce qui nous ramène dans notre domaine de prédilection.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Deux miracles attribués à l'enfant Jésus retiennent l'attention. Le premier fait se courber un arbre chargé de fruits pour étancher la soif de la Vierge Marie. Le second est destiné à décourager les poursuivants, soldats du roi Hérode. C'est l'objet de cette chanson assez répandue dans la tradition populaire de toutes les régions. Notre version est extraite de l'ouvrage consacré aux noëls de la presqu'ile guérandaise par Fernand Guériff. Nous l'avons complétée par deux couplets d'une autre version, pour lui garder sa cohérence.
Ces épisodes ne proviennent donc pas des évangiles, mais de textes anonymes habituellement appelés « évangiles apocryphes ». Ces textes prétendent compléter les récits des apôtres sur des points qui ne sont pas abordés dans les évangiles, comme l'enfance de Jésus, par exemple. En fait ils doivent beaucoup à l'imagination et au besoin de croyances populaires. Ils contiennent des faits peu crédibles dans un cadre religieux, mais qui présentent des similitudes avec des légendes ou des contes dont l'origine, dans le temps comme dans l'espace nous est inconnue. La religion est-elle la source de ces péripéties ou bien a-t-elle été influencée par d'autres sources ? C'est un peu la même problématique pour tous les sujets religieux en marge des textes officiels ; l'histoire des multiples saints bretons par exemple. Le folkloriste Conrad Laforte a fort bien résumé le phénomène : pour lui, ces textes apocryphes ont été intégrés depuis des siècles à une tradition plus vaste, celle des croyances et des contes. Il n'en demeure pas moins que la plupart de ces chansons participent à cet esprit qui a animé les apocryphes et par lequel une foi certaine s'exprime à travers des images simples dont on se souvient facilement et qui stimulent l'imagination. ou encore qu' on attribue à l'enfant Jésus des pouvoirs extraordinaires qui se révèlent à la limite de la magie. Ce recours au merveilleux désintéressé et concret paraît caractéristique du phénomène religieux populaire dans lequel le rationnel est moins sollicité que l'auditif ou le visuel (3).
Pour en revenir au sujet du jour, on peut résumer l'histoire ainsi : Jésus et ses parents, Marie et Joseph, rencontrent un paysan en train de semer. Jésus jette une poignée de blé dans le champ. Le blé lève miraculeusement. Le paysan est déjà en train de faucher lorsque des soldats d'Hérode lui demandent s'il a vu passer une femme portant un enfant. Il répond qu'ils sont passés quand il ensemençait son champ. Les soldats renoncent alors à poursuivre les fugitifs qui doivent être déjà très loin.
Une telle aventure rappelle par bien des aspects certains contes populaires ou le héros est contraint d'utiliser des subterfuges ou des pouvoirs surnaturels pour échapper à un monstre ou au diable. Ici, c'est Hérode qui personnifie le diable. Ce roi Hérode avait appris des mages venus à Bethléem la naissance d'un « roi des Juifs ». Se sentant menacé il envoya tuer tous les enfants de moins de deux ans dans cette ville. Une action qui n'a rien a envier aux péripéties décrites dans certains contes ! La chanson nous apprend que la sentence du roi frappa même son petit fils.
L'évangile de Saint Mathieu nous apprend que la sainte famille resta en exil jusqu'à la mort d'Hérode, et encore méfiante, ne revint finalement pas à Bethléem mais à Nazareth, en Galilée. Mais si ce texte est facile à dater, son auteur étant connu, il n'en est pas de même pour toutes les histoires inventées pour répondre aux besoins de la croyance populaire. Henri Poulaille qui a consacré plusieurs ouvrages aux noëls, ne date pas précisément la chanson qu'il classe dans les « noëls régionaux »(4).
Nous reviendrons prochainement avec des chants de saison (si le temps le permet) mais ne négligerons pas pour autant les chants de noël qui constituent un genre particulier des chansons traditionnelles. Enfin, ne voyez dans la publication de cette semaine aucune allusion à la livraison de porte-hélicoptères à l'Egypte par les chantiers de Saint Nazaire. Ce serait un peu trop capillotracté.

notes :
1 – « Le rot de foute » est l'appellation détournée par l'ami Pierre, qui héberge nos sessions mensuelles de chant traditionnel dans son bistrot-grignotte « Mon Oncle », rue d'Alger à Nantes
2 - La Fuite en Égypte et le Massacre des Innocents sont racontés dans un passage de l'Évangile selon saint Matthieu (Mt 2, 13-23)
3- de « chansons folkloriques à sujet religieux » de Conrad Laforte et Carmen Robergue, presses de l'université de Laval, Québec 1988
4 - La grande et belle bible des noëls anciens – Henri Poulaille – Albin Michel, 1951 – p. 205

interprète : Janick Péniguel
source : Fernand Guériff, tome 5, la belle bible des noëls guérandais, page 101 – recueilli à Saint Nazaire, de sa mère – complété par trois couplets recueillis en Nivernais par Achille Millien (couplets en italique)
catalogue Coirault : la fuite en Egypte 3 – 8713
catalogue Laforte : la fuite en Egypte : le blé – I, A-02

La fuite de Marie (le miracle du blé)

L'ange Gabriel vint dire à Marie (bis)
Marie, Marie, il faut vous en aller
Car le roi Hérode cherche à vous tuer

Marie monta dans son cabinet
De bleu et blanc elle s'était habillée
Tenant dans ses bras son fils nouveau né

Marie portant son enfantelet
S'est ensauvée sur un petit baudet
Courre, courre, courre à grands coups de fouet

Marie passa au milieu d'un bois
Trois fois chanta le rossignol joli
Chante, rossignol chante, pour Jésus mon fils

Marie passa au milieu d'un pré
Semez, semez laboureurs votre blé
Dans bien peu de temps, vous le couperez

Elle ne fut pas aussitôt passée
Le roi Hérode avec toute son armée
Laboureur as tu vu une dame passer ?

Oui, roi Hérode, je l'ai vue passer
C'était pendant que je semais mon blé
Et maintenant le voilà coupé

C' que nous cherchons ne s' trouve pas ici
Tous les enfants que nous allons trouver
Dans leur petit ber, nous allons les tuer

Hérode fit tuer tous les innocents
Il fit tuer jusqu'à son petit fils

Car il croyait que c'était Jésus-Christ

1 commentaire:

  1. "ils sont passés quand il ensemençait son champ. Les soldats renoncent alors à poursuivre les fugitifs qui doivent être déjà très loin" => même motif dans la légende de saint Cornély/Corneille, pape en fuite... et l'armée romaine qui sera statufiée en autant de menhirs alignés à Carnac

    RépondreSupprimer