vendredi 25 octobre 2013

27 - Le prisonnier de Nantes


De toutes les chansons traditionnelles qui ont pour cadre la ville de Nantes, c'est sans doute la plus connue. L'amour entre un prisonnier et la fille du geôlier, son évasion spectaculaire et ses promesses pour l'avenir ont été chantées sur tous les tons. Et pourtant il reste encore beaucoup à découvrir de ce fait divers romancé.

Si cette chanson est si populaire en France et au Canada, elle le doit aussi aux nombreux artistes de variété qui n'ont pas hésité à l'enregistrer. Depuis Yvonne Georges dans les années 1920 jusqu'à Nolwenn Leroy en 2010, sans oublier Yvette Guilbert, Édith Piaf, Édith Butler, Louise Forestier, Les Compagnons de la chanson, Nana Mouskouri, Colette Renard et les Tri Yann. Nos « Trois Jean an Naoned » ont marqué toute une génération avec une version acadienne des prisons de Nantes (1). Peut être auraient-ils été mieux inspiré de choisir une des nombreuses versions locales.
Il est probable qu'à l'origine de toute chanson traditionnelle il y ait un fond de vérité. Il est généralement impossible de le retrouver, nous en avons déjà fait la démonstration avec de précédentes chansons. Ce qui n'empêche pas plusieurs sites internet de soutenir que...
lire la suite et écouter la chanson


 
...cette chanson, apparue au XVIIe siècle, s'inspirerait de l'évasion au château de Nantes du cardinal de Retz, en 1654. Mais quand on regarde d'un peu plus près ces différentes productions on s'aperçoit que le même texte est reproduit mot à mot d'un site à l'autre. A force de reproduire une hypothèse devient-elle forcément la vérité ? Nos historiens du folklore, les Davenson, Doncieux, Tiersot... sont restés plus prudents sur ce sujet. Ils se contentent de noter la prédominance du texte dans les provinces de l'ouest et, par conséquence, sa transposition au Canada.

Quoi qu'il en soit les prisons de Nantes considérées du point de vue de la chanson traditionnelle font figure de passoire. Plusieurs autres chansons (la fille habillée en page, Les prisonniers sauvés par une chanson, Pierre et Françoise...) font état d'évasions de cet établissement carcéral ; avec à chaque fois une intervention féminine qui prouve que l'amour donne des ailes.

La prison dont il est question n'a rien à voir avec le centre pénitentiaire actuel. Le château en a fait office, nous l'avons vu. Sous la révolution les lieux de détention ont été multiples. Mais c'est sans doute la prison du Bouffay qui a pu être le théâtre de cette évasion. Située à l'époque en plein centre ville, au bord de la Loire tout comme le château (c'était avant les comblements) elle a disparu au 19ème siècle. La maison d'arrêt qui l'avait remplacée - et jouxtait les anciens locaux de Dastum – a elle même fermé, pour être transférée en périphérie nantaise.
Aujourd'hui la légende ne se vérifie plus. La spectaculaire prise d'otages de Georges Courtois en décembre 1985 n'échappe pas à la règle. Non plus la tentative d'un détenu en juin dernier avec barreaux sciés et draps de lit (un classique) qui lui a valu huit mois de plus

Notre prisonnier de la semaine a été chanté et collecté dans le pays de Retz. Ce texte est noté dans le manuscrit « Poiraud » un recueil d'une centaine de chansons compilé par un violoneux de la région de Pornic. Comme beaucoup de versions elle présente les caractéristiques d'un chant à danser. Il faudrait un ouvrage entier pour étudier toutes les interprétations de cette chanson. Nous nous contenterons de vous recommander deux autres versions remarquables en pays nantais : un rond paludier chanté par Jean Rivallant dont pouvez entendre la version originale sur deux disques (2) et une mélodie collectée en pays de Chateaubriant vers 1900 par Abel Soreau (3). A noter que cette dernière est la seule qui se risque à donner le nom du prisonnier : il s'appellerait Antoine !
Ce qui est remarquable c'est la quantité de refrains différents adaptés à ce texte. Au moins 70 dans l'ouest et plus de cent au Canada. La localisation change peu. Nantes est parfois devenue Rennes (en Ille et Vilaine) Avranches (en Normandie) ou encore Marmande (en vallée d'Ossau). En revanche la traversée de l'Atlantique, pourtant due aux marins nantais, a été fatale à la cité des Ducs de Bretagne. Les versions canadiennes qui situent l'action dans les prisons de Londres sont les plus nombreuses dans les interprétations maritimes, Nantes conservant son statut à l'intérieur des terres (4) .

Pour en finir (provisoirement) avec ce sujet vous trouverez à la suite des paroles de la chanson :
- une version « de montage » récapitulant les différentes péripéties,
- puis un grand classique de la chanson paillarde qui débute de façon identique mais finit sans évasion bien que dans une certaine allégresse
- et enfin le couplet inspiré à Georges Brassens pour « la route au quatre chansons ».


Notes
1 – version acadienne recueillie en 1958 auprès d'Albert Morneault et publiée sur un 33 tours intitulé Acadie et Québec (renseignement donné par Robert Bouthiller)
2 – sur : chants et veuze en presqu'ile guérandaise (Dastum – 1994) épuisé, et Chants dans la ronde (L'Epille / Dastum - 2007)
3 – sur Nantes en chanson (Dastum – 1998) épuisé ; désolés on vous met l'eau à la bouche avec des documents qui ne sont plus dans le commerce mais sans doute encore dans bien des médiathèques. La dernière plage de ce CD enchaîne sept versions différentes interprétées par Roland Brou, Sylvain Girault, Robert Bouthiller, Charles Quimbert, Mathieu Hamon et Gael Rolland.
4 – D'après Ernest Gagnon « chansons populaires du Canada »

Le prisonnier de Nantes

Dans les prisons de Nantes et roupioupiou déritra la la (bis)
Dans les prisons de Nantes il y a un prisonnier
Il y a un prisonnier, gué, gué, il y a un prisonnier (bis)

Personne ne va le voir et roupioupiou déritra la la (bis)
Personne ne va le voir que la fille du geôlier
Que la fille du geôlier, gué, gué…

Et qui lui porte à boire / A boire et à manger
Et aussi des chemises / Des chemises brodées
Un jour il lui demande / Quelles nouvelles apportez
La nouvelle que j’apporte / Vos beaux yeux vont pleurer
La nouvelle est en ville / Que demain vous mourrez
Ah, si demain, je meurs / Les pieds me déliez
La fille était légère / Les pieds a détachés
Le garçon tout alerte / Dans la Loire s’est jeté
Quand il fut dans la Loire / Il s’est mis à chanter
Que dieu bénisse les filles / Les filles à marier
Il y en a surtout une / C’est la fille du geôlier
Si je reviens à Nantes / Oui, je l’épouserai
Je lui f’rai porter robe / Robe de satin brodé
A chaque point d’aiguille / L’amour y s’ra gravé.

interprète : Jean-Louis Auneau
source : cahier de chanson de M. Poiraud, violoneux du pays de Retz
catalogues : Coirault (01427) le prisonnier de Nantes et la fille du geolier – Laforte (1-B-17) le prisonnier de Nantes

Le prisonnier de Nantes : version de montage

Dans les prisons de Nantes - Il y a t'un prisonnier
Personne ne vient le voire - que la fille du geôlier
Elle lui porte à boire – A boire et à manger
Et des chemises fraiches - Quand il faut en changer
Un jour il lui demande - Belle que dit on de moi
Les nouvelles que j'apporte – vos beaux yeux vont pleurer
Le bruit court par la ville - Que demain vous mourrez
Si c'est demain que j'meure - Déliez moi les pieds
La fille compatissante - Les pieds lui a délié
Le prisonnier alerte - Dans la Loire a sauté
Les bourgeoises de Nantes – sont à le voir nager
Elles lui ont dit Antoine – vous allez vous noyer
Ne craignez rien mesdames – c'est pour ma vie sauver
A la première plonge - A manqué de se noyer
A la deuxième plonge - la mer a traversé
A la troisième plonge - à terre il a monté
Quand il fut sur la rive - Il se prit à chanter
Je me fous de ces juges - de ces bonnets carrés
Que Dieu bénisse les filles - Surtout celle du geôlier
Car moi j'en connais une - Une fille à marier
Si je reviens à Nantes - Ce sera pour l'épouser
Je lui ferai porter robe - Robe de satin doré
A chaque point d'aiguille - L'amour y sera gravé
Toutes les cloches de Nantes - se mirent à sonner
Vivent les filles de Nantes - et vivent les prisonniers

Version paillarde...et sans évasion

Dans la prison de Nantes,
Y a des morpions qui m'emmerdent la nuit, sans bruit.
Dans la prison de Nantes,
Y avait un prisonnier, y avait un prisonnier
Y avait un prisonnier la bite au cul, les couilles pendantes,
Y avait un prisonnier la bite au cul bien enfoncée, ohé ohé ohé ohéééé.

Il ne voyait personne Que la fille du geôlier,
Un jour il lui demande, Les clefs pour aller chier,
La fille était jeunette, Les clefs lui a donné,
Arrivé sur le trône, Il y avait plus d'papier,
En attendant qu'ça sèche, Il se mit à chanter,
J'emmerde les gendarmes Et la maréchaussée,

La route au quatre chansons (Georges Brassens) extrait

Je me suis fait fair' prisonnier
Dans les vieilles prisons de Nantes
Pour voir la fille du geôlier
Qui, paraît-il, est avenante
Quand je lui'ai d'mandé que dit-on
Des affaires courantes
Dans la ville de Nantes
La mignonne m'a répondu
On dit que vous serez pendu
Aux matines sonnantes
Et j'en suis bien contente

Les geôlières n'ont plus de cœur
Aux prisons de Nantes et d'ailleurs
La geôlière de la chanson
Avait de plus nobles façons...


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