vendredi 17 mai 2013

4 - Là haut dedans la tour


Une chanson d'amour qui finit bien ! Ce n'est pas si souvent.

C'est encore Abel Soreau qui nous offre cette version de la fille du roi Loys, collectée en 1897 dans le pays de Chateaubriant. La chanson reprend le thème moyenâgeux de la princesse enfermée dans la tour, déjà chanté par les trouvères au 13ème siècle. Elle est connue depuis sa première publication en 1842 par Gérard de Nerval qui pour cet air aurait donné « tout Mozart, tout Rossini, tout Weber... » Sans aller jusque là, remarquons que cette histoire a conquis tous les terroirs francophones, occitans, catalans, piémontais...

D'autres versions d'origine bretonne ont été publiées par Dastum. Celle recueillie par Daniel Giraudon à Plancoet (22) et reproduite sur le CD Grandes complaintes de Haute Bretagne (édition Ar Men SCM 040/041) ne va pas jusqu'au dénouement heureux. Mathieu Hamon a collecté auprès d'Eugénie Corbillé, du Dresny (44) une version qui zappe le début de l'histoire et débute alors que la fille du roi a déjà passé sept ans enfermée. Vous pouvez entendre Mathieu la chanter sur le disque Gouel 20 vloaz Dastum. Quand au collectage original il figure sur le double CD édité en 2012 par Dastum 44 Anthologie du patrimoine oral de Loire-Atlantique (voir à la page éditions).

Vous pourrez ainsi comparer avec notre chanson de la semaine.

 Là-haut dedans la tour by Dastumla
texte et commentaires:

LA-HAUT DEDANS LA TOUR

ou l'histoire de la fille du roi Loys, une chanson d'amour qui finit bien !
mais tout d'abord, les paroles:






Là-haut, là-haut, dedans la tour
Une princesse à mes amours
Elle a voulu tant bien m’aimer
Que son père la fit enfermer

Il y a bien cinq ou six ans
Que la belle est fermée dedans
Au bout de la septième année
Son père alla la visiter
Bonjour ma fille, comment ça va
Oh mon papa, ça ne va pas
J’ai un côté rongé des vers
Et les pieds pourris dans les fers
N’avez-vous pas dans vos monnaies
Cinq à six sols à me donner
Nous payerons le serrurier
Pour qu’il m’arrache les fers des pieds

Oui, oui, ma fille, nous en avons
Pour plus de cinquante millions
Si tu veux cesser tes amours
Nous te sortirons de la tour
J’aimerais mieux mourir dedans la tour
Oh, que de cesser mes amours
Eh bien, ma fille, tu y mourras
Sans que personne n’y vienne te voir
Son amant y vint à passer
Une lettre lui a jetée
Faites la morte ensevelie
Faites-vous porter à Saint-Denis
Elle fit la morte ensevelie
Elle fut portée à Saint-Denis
Cinq cents curés, autant d’abbés
Allèrent la princesse enterrer
Les prêtres allaient devant, chantant
Le roy allait derrière, pleurant
Quatre hommes portaient le cercueil
Et tout le monde était en deuil
Son amant il vint à passer :
Arrêtez tout, monsieur l’curé
Vous portez ma mie enterrer
Permettez-moi de l’embrasser
Il prit son petit couteau d’or
Et décousit le drap de mort
A chaque point qu’il décousait
Voilà la belle qui souriait
Tout l’monde autour sont étonnés
Et dit : la belle chose que d’aimer
J’menions la princesse enterrer
Son amant l’a ressuscitée.

source : collectage d’Abel Soreau auprès de F. Ledevin, à Châteaubriant, en novembre 1897
interprète : Martine Lehuédé
références : catalogue Coirault : La fille du roi dans la tour (01424) - catalogue Laforte : La fille du roi Loys (2-A-04)

« Filles et garçons qui veulent s'aimer, y'a personne pour les empêcher » ainsi se conclut la chanson reproduite dans notre double CD L'anthologie. « Nous la conduisions enterrer, maintenant allons la marier » chantent les prêtres et abbés dans d'autres versions.

Cette chanson fait partie des grandes complaintes qui ont traversé les siècles. Doncieux, dans le romancero populaire de la France, la rattache à un chant de trouvères du 13ème siècle. Une édition, sous le titre Belle Isambourg, est signalée en 1607 qui reprend la trame sinon le texte de l'histoire. Mais c'est Gérard de Nerval dans son ouvrage les filles du feu qui l'a fait redécouvrir.
Pendant ce temps la chanson a suivi le cours de toutes les complaintes traditionnelles. Elle a étendu son aire géographique. Si le nombre de versions entendues en Bretagne est relativement faible, les collecteurs du 19ème siècle l'ont retrouvée en Savoie (Tiersot), Franche Comté (Beauquier) Bresse (Guillon), Lorraine (Puymaigre) Agenais (Bladé), Nivernais (Millien), etc. Elle a franchi l'Atlantique jusqu'au Québec ou Marius Barbeau en a publié une version écourtée. Elle a passé les Pyrénées jusqu'en Catalogne, et les Alpes où elle a été notée, en Piémont, par Costantino Nigra (Figlia mia, come ti va ? - Padre mio, va tanto male...) Elle aurait aussi servi de base à une chanson anglaise, the gay gosshawk.

Un détail semble commun à toutes ces versions, le plus sordide bien sur : la fille, les pieds dans les fers, a les cotés mangés par les vers. La somme demandée à son père pour amadouer le geolier va d'un sou jusqu'à 20 francs (en Franche Comté). La richesse du père va de cent mille écus (pays de Metz) à soixante millions (dans le Gers). La formulation la plus fréquente étant « nous en avons des milles et des millions ».
Quelques versions diffèrent par une fin à suspens. La fille réaffirme sa volonté. Plutôt mourir que changer d'amant ; mais l'épisode de la belle ressuscitée est omis. C'est le cas pour la chanson du disque Grandes complaintes de Haute Bretagne, mais aussi pour la complainte canadienne chantée à Marius Barbeau dans la province de Charlevoix. Parfois c'est le début de l'histoire qui fait défaut. C'est le cas, entre autres, pour la version incluse dans notre Anthologie du patrimoine oral de Loire-Atlantique (20 €, c'est une affaire!).
Autre intérêt de notre chanson de la semaine : l'histoire semble racontée par l'amant lui même dans les premiers couplets. Mais il reste ici anonyme celui que plusieurs versions donnent comme le chevalier Déon. Enfin la conclusion tragique est évitée et tout finit bien pour cette belle qui a fait la morte et sourit à son amant. De la chanson du pays de Chateaubriant il manque juste la morale de l'autre version locale : « filles et garçons qui veulent s'aimer, il n' y a personne pour les en empêcher. »