dimanche 7 décembre 2025

492 - Mon gueurzillon est enragé

 Les chansons à la dizaine sont elles un genre mineur ? Leur fonction est avant tout d'accompagner la marche ou de mener le chant dans la ronde. Les comparer avec les complaintes, les histoires à couplets multiples, en laisse ou en strophe, c'est oublier que des textes courts ont parfois bien des choses à nous dire. La concision n'est pas toujours un défaut et la longueur ne fait pas obligatoirement la qualité d'un chant. Prenons quelques exemples, tous issus d'un même village où la tradition a attiré nombre de collecteurs.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Cet enchainement de chansons à la marche vient du village de Mayun, où toutes les trois ont été collectées. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'en trouve pas des exemples ailleurs. Pourquoi Mayun ? Une petite leçon de géographie s'impose pour celles et ceux d'entre vous qui ne sont pas familiers du secteur. Mayun est sur la commune de la Chapelle des Marais. C'est un de ces villages entourés par les marais de la Grande Brière, qui constituent autant d'iles en pleine terre. Le relatif isolement de ces villages a forgé au cours du temps des habitudes et des mentalités d'iliens. Il a aussi préservé des traditions et des savoirs faire qui ont attiré depuis bien des années les ethnologues et collecteurs de tous horizons. Ces savoirs faire concernent en particulier les activités de chaumier (un secteur à l'abri du chômage) et de vannier (1) qui utilisent les matériaux à disposition et ont acquis une solide réputation. Mayun avait reçu des visites de spécialistes dès 1940, bien avant le renouveau du collectage des années 70 – 80. Mais les formules brèves, les dizaines par exemple, n'avaient encore retenu l'attention. Celles que nous vous présentons ont été enregistrées dans les années 80.

Le premier de ces chants nous met aux prises avec un drôle de personnage à l'identité ambiguë. Le Gueurzillon, en gallo, c'est le grillon. Cette petite bestiole plus bruyante que mélodieuse sert aussi de métaphore pour désigner un individu plus ou moins chétif. Mais, au cas présent, il se rapporte vraisemblablement à une partie de l'anatomie qui supporte mal le qualificatif de chétif. On pourrait classer ce refrain dans la catégorie des « pressés de se marier ». Quand à la signification exacte des paroles nous vous laissons le soin de l'interpréter vous même.

Dans le second chant apparaissent les mayunnais, c'est à dire les habitants du lieu. Les paroles peuvent tout aussi bien se rapporter à des habitants d'un autre village selon l'endroit où il a été collecté. Il existe toute une série de chansons bâties sur ce même thème. Le plus souvent l'abandon de poste est justifié par une noce :

J'avais laissé ma charrue, mes rouelles (ou « mes moutons dans la plaine »)

Pour aller voir la mariée passer

Ce texte fait parler le chanteur à la première personne, alors que, placé dans un cortège de noces, il cherche plutot à inviter les curieux des alentous à venir voir la mariée. C'est d'ailleurs là l'une des principales caracrtéristiques du mariage : assurer la publicité (au sens de rendre public) d'une union. De la publication des bans à l'officialisation administrative, ces cortèges avaient aussi pour objet de faire en sorte que la communauté ne puisse ignorer le mariage. Outre le fait, bien sur, que jusqu'à une période pas si lointaine, personne ne se déplaçait en automobile. Cette partie de la tradition est restée sous la forme des concerts de klaxons qui accompagnent aujourd'hui ces déplacements.

Dans d'autres secteurs, la chanson utilise aussi des couplets pour attirer les badauds, du style

Sortez donc de vos maisons, bonnes femmes toutes mal coiffées

Sortez donc de vos maisons, pour voir la mariée

On finit la série avec une dizaine qui fait une nouvelle fois référence à la ville de Nantes. De ce thème des rosiers, le refrain le plus courant proclame :

Dans la ville de Nantes y'a dix rosiers d'amour

Il y a un coq qui chante la nuit comme le jour (ou « le rossignol y chante »)

Le cœur de ma mignonne est un rosier d'amour

La version mayunnaise, existant aussi dans d'autres communes proches, utilise la formule de refrain que vous pouvez retrouver dans une autre chanson de ce blog (chanson n°5 « Enfant petit » en mai 2013).

Ces trois chants se retrouvent, avec les variantes habituelles, dans tout le secteur partant de l'estuaire de la Loire vers celui de la Vilaine et bien au delà dans le morbihan gallo. Nous avons choisi les versions recueillies en Brière et à Mayun plus précisement pour les raisons évoquées ci-dessus.

C'est tout pour aujourd'hui, mais nous n'en avons pas fini avec les chants à la dizaine qui, en plus d'être fonctionnels, sont aussi le reflet de bien des aspects de la vie rurale.

J-L. A.


notes

1 – qui ne sont pas les gens qui font des vannes ; et puis deux dans la même phrase c'et bien assez. D'aiileurs les histoires de vannes (ouvertes ou fermées) sont trop sensibles en Brière pour qu'on plaisante avec.


Interprètes : Hervé Crusson, réponses : Roland Guillou, Yannick Elain , Nicolas Largy

Sources : Hélène Broussard, enregistrée par Guy Belliot à Mayun en 1983 pour les trois dizaines ainsi que de nombreux autres interprètes pour la seconde, dont Marcel Terrien enregistré à Mayun par Hugo Aribart en février 2004



Il est dix heure et demi sonné,

Mon gueurzillon est enragé (bis)

Il mord dans ma cheminse

Si j’me marie pas c’t’année

Il mangera tout mon linge


A sept heures dans la lande j’avais laissé (bis)

J’avais laissé mon sac et ma gamelle

Pour aller voir les mayunnais danser


Y a quatre rosiers dans Nantes qui sont fleuris (bis)

Qui sont fleuris belle voici votre ami

En fleurissant belle voici votre amant

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