Les bergères d'avant « me too » savaient tout de même se défendre des messieurs un peu trop entreprenants. Cette chanson pourrait aussi bien s'intituler « Ah que les filles ont de la malice » tant cette sentence revient avec insistance dans une majorité des exemples que nous avons pu lire ou entendre. Les chansons de bergères donnent un véritable catalogue des moyens utilisés par la jeune fille pour se défaire du galant insistant. Celle ci est une des plus radicales et expéditives.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Nous avons déjà expliqué précédemment la place des chansons de bergères. Elles illustrent à leur manière la confrontation entre les classes dominantes, figurées par un Monsieur (possédant, noble, cavalier, etc) et le personnage de plus représentatif de la classe dominée, la bergère. Ce rôle, dévolu aux très jeunes filles, personifie la pauvreté. C'est aussi une opposition entre bourgeois, citadin et ce tiers-état essentiellement rural. Enfin, ce sont les rapports hommes – femmes en général qui sont décrits par ces chansons. Tout cela nous l'avons déjà dit et nous n'y reviendrons pas.
Revenons donc à nos moutons, ou plutôt à ceux de la bergère. Dans cette chanson du répertoire de Mme Tattevin, ce sont trois cavaliers qui abordent la jeune fille. Ce ne sont donc pas les cavaliers de l'apocalypse et si ils cheminent par trois c'est sans doute une simple figure de style. Nous avons déjà commenté cette prégnance du chiffre trois dans les chansons, nous reviendrons donc pas là-dessus non plus.
Pour se défaire d'un Monsieur obsédé par l'idée de profiter d'une jeunette « sans défense », les arguments et autres stratagèmes utilisés sont nombreux et variés. Cela va de la fausse soumission à la ruse ; on ne compte pas le nombre de galants trompés par de fausses promesses. D'autres filles ont recours à des expédients plus radicaux. Ces jeunes bergères ont de la répartie. L'une d'elle conseille au vieux barbon de consulter un apothicaire pour calmer ses ardeurs. Une autre lui recommande carrément de se tremper le fondement dans l'eau froide de la rivière. Notre jolie bergère adopte une conduite bien plus risquée, mais efficace.
Comme pour bien des chansons, la consultation d'autres versions nous fournit des détails qui manquent ou peuvent faciliter la compréhension. Ainsi, notre version passe un peu rapidement du deuxième au troisième couplet, avec le sentiment d'avoir loupé un épisode. C'est qu'entretemps le cavalier s'est fait pressant, utilisant comme argument la promesse de l'argent qu'il transporte dans sa valise. La ruse utilisée par la bergère va donc consister à détourner son attention en faisant semblant de céder. Ce qui parfois se traduit ainsi :
Mon père est là-haut, il nous verrait !
Montez la haut dans ce grand arbre
Et dites moi si vous voyez
Mon père aussi ma mé ? (1)
Il arrive quelquefois l'intervention d'un autre personnage, le chien de la bergère, qui facilite son départ et s'en prend au cavalier, lui déchirant son habit. Décidemment, c'est pas son jour ! Hors de portée de l'intrus, la bergère se permet d'ironiser en lui conseillant de prendre sa place et lui promettant un régime alimentaire auquel il n'est pas habitué. Dans d'autres versions elle ajoute :
...et moi soir et matin je boirai du bon vin (2)
Cette chanson est assez répandue dans le répertoire francophone. Davenson, dans son « livre des chansons » en suggère une origine lettrée : « cette pastourelle a pour auteur Favart (1710-1792) et constitue l'air n°6 de la comédie Annette et Lubin, jouée et publiée en 1762 » . Il est vrai que certains couplets reprennent presque mot à mot l'original. Toutefois Davenson précise : « Je... supposerai volontiers qu'il n'a fait que rédiger à sa façon un pastiche sur un thème qu'il avait reçu de la tradition orale ». Donc une origine sans doute plus ancienne pour ce thème qui aura fait un aller – retour rapide entre l'oral et l'écrit puisque Davenson, toujours lui, constate que la chanson est « ...passée dans la tradition orale dès la fin du 18è siècle ».
J-L. A.
notes
1 – par exemple dans : Maurice Chevais, Chanons populaires du Val de Loire (1925), page 74.
2 – Virginie Granouillet, des chansons tisées aux fuseaux, par Eric Desgrugillers (AMTA – 2014) page 305
interprète : Barberine Blaise
source : répertoire de Mme Marie-Louise Tattevin, de Mesquer – publié dans le tome 1 du Trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande, par Fernand Guériff, page 254
catalogue P. Coirault : La bergère qui s'enfuit sur le cheval du galant (Bergères et monsieur joué – 4008)
catalogue C. Laforte : II, F-36, Le galant volé par la bergère
Jolie bergère au paturage
Reconnue par son grand renom
En gardant ses moutons
Tout près d'un bois sur la verte prairie
Par là vint à passer
Trois jeunes cavaliers
Le plus jeune et le plus hardi
De la belle il s'est approché
En lui disant jolie bergère
L'éclat de tes beaux yeux
Rend mon cœur amoureux
La belle s'est hardie, du cheval
Du cheval elle s'est approchée
Elle a sauté dessus
Comme une
aimable cavalière
A piqué de l'éperon
Comme un vaillant dragon
Arrête , arrête, belle bergère
Rendez, rendez moi mon cheval
Rendez moi mon cheval
Mon cheval et ma valise aussi -
Mon or et mon argent
Qu'est renfermé dedans
Gardez les moutons à ma place
Vous êtes un fort joli berger
Mon père est un bon fermier
Il vous nourira de beurre et de fromage
Le lait de mes brebis
Pourra vous rafraichir
Ah que les filles ont de la malice
Ah dit ce drôle en soupirant
Tout le monde fait l'amour
Pour moi je perds courage
Tout le monde fait l'amour
Ah, pour moi quel triste jour
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