S'il est un personnage qui a droit à toutes les considérations dans les chansons traditionnelles c'est bien le valet. Attention, nous ne parlons pas ici de Nestor au château de Moulinsart. Ecartons cette image du serviteur en livrée. C'est du principal employé d'une ferme de quelque importance qu'il s'agit. Celui qui seconde le maitre au point de parfois le dépasser comme le laissent entendre quelques unes de ces chansons. Il a souvent des défauts, dont celui de vouloir supplanter son patron. Mais cette fois nous chantons ses qualités.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Le bon valet est le titre donné par Patrice Coirault à ce thème, pas vraiment très répandu dans les collectages. La catégorie « maitres et valets » du catalogue Coirault comporte pas moins de vingt quatre thèmes. Les chansons qui expriment la satisfaction du devoir accompli par le valet sont minoritaires : trois seulement ; et encore, derrière ces compliments semble poindre une certaine ironie.
Ce valet qui fait tout bien serait à ranger dans la même catégorie que « l'homme sans pareil » (cf chanson n° 105 en mai 2015). il est expert dans toutes les tâches, au point d'en faire le gendre idéal. Toutefois, si on ne se contente pas de prendre le texte au premier degré, le doute s'insinue dans les propos ; c'est trop beau pour être vrai. Quelques autres exemples de cette chanson ajoutent un couplet qui présente le revers de la médaille. Ainsi dans le Marais breton-vendéen (1) :
O l'est bé li qu'a tôt fait un bon repas
Six livres de pain, trois livres de viande
Un kilo de beurre en moins d'un quart d'heure
En clair : un modèle performant mais avec une forte consommation, qui coûte autant qu'il rapporte..
Il est même permis d'y trouver des sous entendus, comme dans la version recueillie par Abel Soreau à Machecoul (2).
C’est lui qui bèche notre vign’
Avec sa raclette, I’ racle bé net ;
Et son p’tit outil va dret devant lui.
La version chantée à Roland Brou par Constance Crusson confirmerait cette hypothèse. Au dernier couplet la promesse du futur gendre n'est pas « un p'tit habit » mais bien « son p'tit outil ».
Mais trève de spéculations et d'esprit mal tourné, revenons aux qualités du valet. Il a été recruté à la foire ; c'est l'usage. Ici c'est à Guérande, en Vendée c'est à Challans. Peut-être la chanson veut-elle montrer que le patron a su bien choisir l'employé adéquat. Celui ci a tellement bien su se placer qu'il va épouser la fille du patron. La promotion sociale est en marche.
Nous disions précédemment que ce « bon valet » a été peu collecté. En fait toutes les versions que nous connaissons proviennent de Vendée (bocage et marais), du Pays de Retz et de la Presqu'ile guérandaise. Elles présentent autant de similitudes que de différences, ce qui rend son origine difficile à déterminer.
Elle est fort bien adaptée à la danse. Ici nous retrouvons la structure du « rond paludier ». En Vendée elle a pu servir à la grand' danse.
Enfin, quelques précisions pour faciliter l'écoute et la reprise de cette chanson : les surlots seraient de grosses gerbes qui, assemblées, donnent des mulons (meules). Les tricots sont gros bâtons ou rondins (de la famille de trique, en français).
Notre chanson figurait sur le CD « Chansons à danser en Presqu'île guérandaise » édité par Dastum en 1999.et qui est désormais épuisé.
J-L. A.
notes :
1 – répertoire musical recueilli en marais breton-vendéen par Gaston Dolbeau (l'Harmattan – 2010) page 252
2 – chanson n°98 du volume 1 des Vieilles chansons du pays nantais, publié par Dastum 44. Si vous ne l'avez pas encore, tous les détails sont dans la rubrique «éditions »
interprète : Janig Juteau + réponses des danseurs
source : enregistrement pour le CD Chansons à danser en Presqu'île guérandaise – Dastum DAS135 « tradition vivante en Bretagne » n° 11 (1999)
Catalogue P. Coirault : Le bon valet (maitres et serviteurs - 06301)
C'est mon bon valet de la foire de Guérande (bis)
Il a du courage, il s'en va t-à l'ouvrage
Tout en travaillant, il nous gagne de l'argent
C'est lui qui laboure notre jardin
Avec sa grande pelle, il nous plante des salades
Les plus belles laitues que nous n'ayons point vues
C'est lui qui coupe notre foin
Avec sa grande faux il nous fait quiaux surlots
Faisant quiaux mulons gros comme nos maisons
C'est lui qui coupe notre grain,
Avec sa faucille, qui va, qui veurzille
Tout en veurzillant, il nous gagne de l'argent
C'est lui qui coupe notre bois
Avec sa serpette, il nous fait [quiaux] bichettes
Et les gros tricots, il les met en fagots
Par un beau mardi gras, il nous fît des crêpes
Il nous fît des crêpes, elles étaient parfaites
En faudrait bien cinq cents pour faire notre content
Tu seras mon gendre ou y aura pas moyen
À ma fille Nanette qui en est fort inquiète
De son p'tit habit que tu lui as promis
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